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Iconographie de l’« Exemplar » du dominicain Henri Suso [2/2]

Terminons notre étude de l'iconographie de l'Exemplar, ouvrage regroupant quatre œuvres d'Henri Suso. Ce manuscrit enluminé daté du XIVe siècle, riche de onze dessins en pleine page, est conservé à la Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg.
Publié le 18 octobre 2018
Écrit par Martine Petrini-Poli

Voir le volet 1 de l’analyse iconographique de l’Exemplar.

8. Le Christ-séraphin © BNUS, Fol. 65 v

Il s’agit d’une vision de Suso, inspirée d’Isaïe, rapportée au chapitre XLIII de sa Vie : Un jour que le Serviteur s’était adressé à Dieu en grande ferveur et lui demandait d’apprendre à souffrir, une image du Christ lui apparut dans une vision spirituelle sous la forme d’un séraphin à six ailes : deux à la tête, deux aux pieds ; avec les deux autres ailes, il volait. Sur les deux ailes les plus basses était écrit : « Accepte volontiers la souffrance » ; sur celles du milieu : « supporte patiemment la souffrance » ; sur les plus hautes :« apprends à souffrir en conformité avec le Christ ».

Plaque d’un reliquaire de François d’Assise et du Christ-séraphin, Musée de Cluny, Paris

Comme François d’Assise, le Serviteur reçoit les stigmates de la Passion et dialogue avec le Christ en croix. En hébreu, séraphin veut dire « brûler ». Les séraphins sont les anges brûlants d’amour évoqués dans la vision d’Isaïe, auxquels l’iconographie du Christ est assimilée dès le XIIIe siècle.

01 L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur qui siégeait sur un trône très élevé ; les pans de son manteau remplissaient le Temple. 02 Des séraphins se tenaient au-dessus de lui. Ils avaient chacun six ailes : deux pour se couvrir le visage, deux pour se couvrir les pieds, et deux pour voler. 03 Ils se criaient l’un à l’autre : « Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur de l’univers ! Toute la terre est remplie de sa gloire. » 04 Les pivots des portes se mirent à trembler à la voix de celui qui criait, et le Temple se remplissait de fumée. 05 Je dis alors : « Malheur à moi ! je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures : et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l’univers ! » 06 L’un des séraphins vola vers moi, tenant un charbon brûlant qu’il avait pris avec des pinces sur l’autel. 07 Il l’approcha de ma bouche et dit : « Ceci a touché tes lèvres, et maintenant ta faute est enlevée, ton péché est pardonné. » 08 J’entendis alors la voix du Seigneur qui disait : « Qui enverrai-je ? qui sera notre messager ? » Et j’ai répondu : « Me voici : envoie-moi ! »

– Isaïe 6, 1-8

9. La chevalerie spirituelle, © BNUS, Fol. 67 r  

Suso, écuyer, est adoubé chevalier spirituel comme dans les romans courtois, et il endure pour le Christ toutes les épreuves. Dans la partie inférieure, des anges revêtent le Serviteur des atours du parfait chevalier : chausses, surcot, heaume et écu. Á droite, on voit trois chevaliers sur leurs destriers, portant le monogramme du Christ et emblème de Suso : IHS. Dans la partie supérieure, Suso, après la lutte qu’il a menée en tant que chevalier spirituel, est accueilli par des anges à l’entrée du paradis, représenté par une échelle conduisant à la Vierge et au Christ trônant dans les cieux. Des anges musiciens font résonner leurs instruments dans les deux parties de l’image.

10. La Sagesse au manteau, © BNUS, Fol. 68 v

La Sagesse, couronnée et portant un sceptre, accueille sous son manteau le Serviteur et ses disciples : « Je prendrai sous ma protection divine ceux qui portent mon nom Jésus dans leur désir ».

11. La voie mystique, © BNUS, Fol. 82 r   

Cette image, qui figure à la fin de la Vita, propose une synthèse du parcours spirituel et mystique selon Suso. Une sorte de cordon ombilical relie les différents protagonistes, conduisant de la Trinité (en haut à droite) et y revenant. Après les épreuves que l’âme a dû subir jusqu’à l’effondrement d’elle-même (en bas à gauche), cette dernière remonte grâce à l’identification au Christ crucifié, avant de rejoindre la Trinité et, de là, d’entrer par la porte étroite dans la Déité, figurée en haut à gauche par un disque blanc inscrit dans un large cercle noir. En bas à droite, un couple représente ceux qui s’écartent du droit chemin, avec à leur côté la mort figurée avec une faux dans les mains.

Gravure sur bois colorée, Suso en Serviteur de la Sagesse éternelle, © BNUS, K7, et Ulm, fin XVe siècle

Dans cette gravure, Suso est représenté en Serviteur de la Sagesse éternelle, agenouillé devant elle, en habit dominicain. C’est une référence au chapitre 4 de la Vita, dans lequel le Serviteur raconte comment il a incisé le monogramme du Christ IHS sur son coeur en signe d’amour de Dieu. Un autre épisode de la Vita relate ceci : alors qu’il était dans sa cellule, le Serviteur entendit une voix lui conseillant de regarder par la fenêtre. Il aperçut alors un chien s’acharnant sur un morceau de tissu. Il comprit que ses frères agiraient de la même manière avec lui. Le Serviteur se résolut donc à accepter ces souffrances avec détachement mais sans les rechercher. L’Enfant-Jésus grimpé dans l’arbre tresse une couronne de roses rouges au Dominicain symbolisant les souffrances endurées au cours de sa vie. Celui-ci va ainsi passer d’une longue période de mortifications qu’il s’infligeait dans un désir d’Imitation du Christ à l’abandon de soi (Gelassenheit) à Dieu comme l’avait enseigné Maître Eckhart.

 

Martine Petrini-Poli

Bibliographie 

Benoît Beyer de Ryke, Des mortifications à la chevalerie spirituelle chez Henri Suso, Université libre de Bruxelles.

Marie-Anne Vannier, L’iconographie d’Henri Suso dans l’Exemplar, Mémoires de l’Académie nationale de Metz, 2015.

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