La prière authentique est une véritable ascension en Dieu, qui élève totalement l’esprit, en sorte que Dieu peut en vérité pénétrer dans le fond le plus pur, le plus intime, le plus noble, le plus intérieur, où seul il est une vraie unité, à propos de laquelle Augustin dit que l’âme est en soi un abîme caché qui n’a rien à voir avec le temps et avec toutes les choses de ce monde. Dans cet abîme noble, délicieux, dans ce royaume céleste, là s’immerge la douceur, là est sa place éternellement, et là l’homme devient tellement silencieux, primordial et sage, et toujours plus détaché, plus intériorisé et plus élevé dans une pureté et une passivité plus importante, toujours plus abandonné en tout, parce que Dieu lui-même est venu s’établir dans ce noble royaume. Il est là, présent, en ce noble royaume, il y opère, il y demeure et il y règne… C’est alors un délicieux été… C’est la fête. C’est vraiment la fête. L’homme alors acquiert une vie toute divine, et là l’esprit se fond complètement, s’enflamme en toutes choses et se laisse attirer dans le feu ardent de la charité qui est essentiellement Dieu même par nature.
De cet état, ces hommes privilégiés redescendent ensuite vers tous les besoins de la sainte chrétienté. Ils se tournent par une prière et un saint désir vers tout ce pour quoi Dieu veut être prié, et au bénéfice de leurs amis, ils vont vers les pécheurs et s’emploient en toute charité à trouver remède aux besoins de chaque homme de toute la sainte chrétienté… Puis, à leur tour, ils s’abîment eux-mêmes dans l’amour, dans la flamme d’amour, dans la fournaise d’amour… Ils s’y reposent et encore se replongent dans cette ardente flamme d’amour. De nouveau ils se tournent vers tous ceux qui sont dans le besoin à travers la sainte chrétienté. Et encore se replongent dans l’amoureux repos et les silencieuses ténèbres de l’abîme divin… C’est ainsi qu’ils entrent et sortent tout en demeurant toujours dans l’aimable et silencieux abîme. Ils habitent en Dieu et Dieu habite en eux.
Le Christ n’abolit pas l’ancienne loi du Décalogue, mais « apporte un commandement nouveau », celui de l’Amour de Dieu et du prochain. Ainsi l’Église s’est inspirée des textes bibliques, et de la vie et des paroles du Christ. Dès le Moyen Age, elle a réparti quatorze œuvres de miséricorde entre sept œuvres corporelles et sept spirituelles. Les sept œuvres corporelles reprennent les indications des Evangiles, notamment le chapitre 25 de Matthieu :« Donner à manger aux affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, assister les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts ».
Les sept œuvres spirituelles remontent aux Pères du Désert du IIIe et VIe siècle. Reprises par Thomas d’Aquin au XIIIe, elles touchent tous les domaines de la vie : « Conseiller ceux qui sont dans le doute, enseigner les ignorants, avertir les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes ennuyeuses, prier Dieu pour les vivants et pour les morts ».
Le récit de la parabole du Bon Samaritain illustre à la fois les œuvres de miséricorde corporelle et spirituelle. C’est la mise en scène d’un homme en voyage attaqué par des brigands, qui le dévêtent, le rouent de coups et le laissent à demi-mort. L’action se situe sur la route menant de Jérusalem à Jéricho. Un « prêtre » (cohen, en hébreu) passe empruntant ce même chemin qui descend, il passe outre. En effet, il est dit dans la loi que tout fils d’Israël qui touche un cadavre est impur durant sept jours (Nb 19,11), et particulièrement un prêtre, à moins qu’il s’agisse d’un proche parent (Lv 21,1). Le sang même d’un blessé peut rendre impur. A son tour un lévite passe outre. Il n’accomplit pas de sacrifice comme le prêtre, mais il est servant du prêtre au Temple et suit comme lui les prescriptions de pureté. Ils craignent tous deux une souillure rituelle les rendant impropres au culte.
Le samaritain, lui, est pris de compassion, remué jusqu’aux entrailles, dit le texte grec. Il panse l’homme dévêtu et blessé, le hisse sur sa bête, l’amène à l’hôtellerie, laisse de l’argent pour les soins et prendra soin de lui à son retour. Tous les détails du traitement et du coût sont indiqués. Mais le samaritain n’escompte ni réciprocité ni récompense. Jésus reformule à son tour la question pour savoir « qui a été le prochain de l’homme tombé au milieu des brigands ». Le légiste est mis à l’épreuve et répond sans nommer le samaritain par une périphrase : « Celui-là qui a exercé la miséricorde envers lui ». En effet les Samaritains formaient une communauté sociale et religieuse habitant dans l’ancien royaume d’Israël, dont la capitale était Samarie. Leur sanctuaire était le mont Garizim, près de Sichem (aujourd’hui Naplouse) et non le Temple de Jérusalem. Aussi étaient-ils considérés par les Juifs à la fois comme des étrangers et des pécheurs, ne sacrifiant pas au Temple. Les Juifs n’avaient donc pas de relation avec eux. Par cette parabole Jésus entend élargir la notion de prochain.
Martine Petrini-Poli