Le Sermon 23 de Jean Tauler suit la fête de l’Ascension et prépare la Pentecôte. Les principaux thèmes des homélies du dominicain y sont présents : naissance de Dieu dans l’âme, amitié avec Dieu, découverte du Dieu trinitaire :
« Tout ami de Dieu doit célébrer, tous les jours et à toute heure, cette aimable fête, en recevant à chaque heure le Saint Esprit… La mission du Saint Esprit, qui s’est faite en faveur des disciples, le jour de la Pentecôte, se renouvelle spirituellement, tous les jours, chez tous ceux qui s’y préparent à fond. »
Jean Tauler a médité ces paroles de l’évangile de l’apôtre saint Jean qui rapporte, au chapitre 15, les paroles du Christ sur l’amitié :
14 Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande.
15 Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître.
16 Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera.
On voit ainsi se dessiner les contours de la notion d’ami de Dieu. Tout d’abord l’amitié est un don de Dieu, une grâce : « c’est moi qui vous ai choisis ». Elle fait pénétrer dans le mystère de Dieu trinitaire : « tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître ». Cependant une fois entré dans le mystère divin, l’ami de Dieu est appelé à l’observance de ce que Dieu commande. En effet, cette amitié invite le disciple à « aller » et à « porter un fruit qui demeure ». L’union à Dieu précède et accompagne l’envoi en mission.
Tout homme est appelé à cette amitié avec Dieu. Toutefois, Jean Tauler montre, de façon imagée, que l’édifice du Royaume de Dieu exige le recours au Christ, « pierre angulaire ». Il y a, en effet, en l’homme, « un mal de nature, le péché, cette inclination empoisonnée de retour à soi, et c’est soi-même que l’homme cherche dans toute son activité ». D’où l’exhortation du prédicateur à la « prudence du serpent » qui se râpe aux pierres lors de sa mue : « Considérez d’abord comment le Fils éternel de Dieu, la Sagesse du Père, a, de tout temps, caché l’ineffable resplendissement de sa sagesse, sous de simples et frustes comparaisons. C’est parce qu’il était tout à fait humble, que son enseignement a toujours été humble et simple. Voyons donc ce qu’est la prudence du serpent. Quand il remarque que sa peau commence à vieillir, à se ratatiner et à sentir mauvais, il cherche une place où il y ait deux petites pierres rapprochées l’une de l’autre, et là, il se râpe entre ces deux pierres, jusqu’à ce que sa vieille peau se soit entièrement écaillée ; et voici qu’en dessous s’est formée une peau nouvelle. Voilà précisément ce que l’homme doit faire de cette vieille peau, c’est-à-dire de tout ce qu’il a reçu de sa nature… »
Ainsi l’ami de Dieu doit « râper » la peau du vieil Adam, qui repousse sans cesse, à deux pierres : « L’une est l’éternelle divinité qui est la vérité, l’autre est l’aimable humanité du Christ, qui est la voie essentielle. Entre ces deux pierres, l’homme doit faire passer et râper toute sa vie, son être, ses œuvres… ». La métaphore de la mue du serpent est à la fois réaliste et symbolique du mal présent dans l’homme. Elle évoque la Genèse et la chute d’Adam « le terreux », archétype de l’autosuffisance et de l’orgueil humain.
Jean Tauler a rencontré à Bâle Henri de Nörlingen, prêtre du diocèse d’Augsbourg, qui a soutenu la papauté d’Avignon en conflit avec l’empire, et a été chassé par l’empereur Louis de Bavière. Il vécut comme prédicateur itinérant en Bade et en Alsace, apportant son sens de la direction spirituelle aux couvents où il passait. Autour de lui s’est rassemblé le groupe des Amis de Dieu, une des mouvances du courant de la mystique rhénane.
Martine Petrini-Poli