L’ouvrage de Marie-Anne Vannier est essentiel pour la connaissance des mystiques rhénans : les principaux textes de maître Eckhart, de Jean Tauler et d’Henri Suso sont réunis pour la première fois depuis que le corpus des rhénans est édité, en un seul volume, avec des introductions explicatives, une présentation substantielle de chaque auteur et des orientations bibliographiques. Cet ensemble de textes permet de restituer rigoureusement les traits et les caractéristiques de la mystique rhénane.
« Pourquoi Dieu s’est-il fait homme – ce qui fut le plus sublime ? – Je dirais : pour que Dieu naisse dans l’âme et que l’âme naisse en Dieu. C’est pour cela que toute l’Écriture est écrite, c’est pour cela que Dieu a créé le monde » Maître Eckhart, Sermon 38.
Jean Tauler, disciple de maître Eckhart, se réfère à lui comme à son « très cher maître ». Si Eckhart recourt à une mystique spéculative qui conduit à « devenir par grâce ce que Dieu est par nature », Tauler va centrer sa réflexion sur l’expérience spirituelle et sur l’humanité du Christ, annonçant ainsi l’Imitation de Jésus-Christ de Thomas a Kempis et le courant de la devotio moderna. Il va volontiers recourir, à la différence de son maître, à des images empruntées à la vie quotidienne, à la nature ou aux actes concrets de la liturgie, pour dévoiler le sens du mystère chrétien.
Quelle fut la vie de Jean Tauler ?
Né en 1300 à Strasbourg dans une famille aisée, Jean Tauler entre à 15 ans chez les dominicains. Il y a peut-être rencontré Eckhart qui séjourne à Strasbourg en 1313 et en 1323-1324. Il a sans doute suivi le cursus de son ordre, car sa culture est solide, mais on ignore quelle fut sa formation, et il ne reçut jamais le titre de Maître ou de Docteur en théologie. Ce qui l’amena d’emblée à être un Lebemeister, « maître de vie », plutôt qu’un Lesemeister, « maître en lectures ». Il commence sa prédication à Strasbourg en 1323, l’année de la canonisation de Thomas d’Aquin, en prêchant dans les nombreux monastères de dominicaines et béguinages de la ville.
L’église protestante Saint-Pierre-le-Jeune de Strasbourg abrite dans une niche de sa façade sud une statue de Jean Tauler. Le sculpteur en chef de l’Œuvre Notre-Dame, Ferdinand Riedel, a pris modèle sur la dalle funéraire gothique de Jean Tauler pour sa création.
Au XIVe siècle, à la suite des luttes entre Louis de Bavière et la papauté, les dominicains doivent quitter Strasbourg pour se réfugier à Bâle. Tauler se retrouve ainsi tout d’abord à Cologne, puis à Bâle. Durant ce séjour, il rencontre deux personnalités marquantes de la spiritualité rhénane du XIVe siècle : Henri de Nördlingen et la dominicaine Marguerite Ebner, tous deux associés à la mouvance des « Amis de Dieu », en quête de mystique et d’absolu évangélique. Revenu à Strasbourg en 1348, Tauler ne repartira plus, sauf, peut-être pour un hypothétique voyage en 1350 à Paris, où il aurait rencontré Ruysbroeck. Seuls 81 sermons, écrits de sa main en moyen haut-allemand, sont authentifiés.
Quelques œuvres, sans doute de Rulman Merswin, notable banquier strasbourgeois et un des plus fervents disciples du dominicain Jean Tauler, sont considérées comme apocryphes. Il mourut subitement en 1361 à Strasbourg dans le jardin du couvent des dominicaines Saint-Nicolas in Undis, où sa sœur était religieuse.
Cette dalle funéraire se trouvait, à l’origine, dans le cloître des Dominicains de Strasbourg. Elle a été transférée dans l’ancienne église des Dominicains, devenue le Temple Neuf de Strasbourg, qui fut détruit en 1870 et reconstruit en 1877. Comme Jean-Baptiste, Jean Tauler désigne de son doigt l’Agneau mystique brandissant la croix de la Résurrection devenue hampe de bannière ; c’est celle que le Christ aurait tenue en main, sortant du tombeau après son ensevelissement. Cette représentation exprime la victoire de la Vie sur la mort.
Martine Petrini-Poli