Le sermon 52 de maître Eckhart porte le titre de la première béatitude du Sermon sur la montagne du Christ à ses disciples : « Beati pauperes spiritu = Bienheureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux ». La pauvreté intérieure du mystique est la voie négative du non-vouloir, du non-savoir et du non-avoir. La théologie négative est l’essence-même de Dieu dans un face à face avec l’âme humaine qui s’abandonne à Lui : « Le don que je reçois dans cette percée, c’est que moi et Dieu, nous sommes un ». Ce sermon 52 a inspiré à l’artiste contemporain, Gilles Alfera, une oeuvre picturale « Dire-Dieu », où l’écrit mystique de maître Eckhart est inséré dans une mandorle, sous les bras de la croix. Le sang rédempteur du cœur blessé est précieusement recueilli dans le calice du sacrifice eucharistique offert pour le rachat de l’humanité. Le visage du Crucifié a inscrit ses traits indélébiles sur le « voile de Véronique », selon l’étymologie de ce prénom qui signifie « la vraie icône ».
Un artiste contemporain : Gilles ALFERA
« Gilles ALFERA, peintre et graveur de spiritualité chrétienne, montre par ses peintures symboliques, ses gravures et ses livres d’artiste, que les images du symbolisme traditionnel qui est le langage de tout Art Sacré ou religieux, peut encore aujourd’hui constituer la source d’une intuition créatrice tout en évitant les pièges des pseudo-ésotérismes contemporains. «
Gilles Alfera peint par aplats dans des teintes au sens symbolique et liturgique : le bleu de la croix, couleur du ciel, évoque l’immatériel et l’infini, tandis que le violet de l’autel est la couleur des temps de préparation, d’attente et de pénitence de l’Avent et du Carême. Le mauve du voile et du calice, équilibre entre le bleu et le rouge, signifie, dans l’iconographie chrétienne, l’union parfaite dans le Christ de l’humain et du divin.
Calligraphie du Sermon 52
Dans une calligraphie bleutée qui épouse les contours de la mandorle, en forme d’amande, l’artiste a sélectionné deux paragraphes sur le non-vouloir, essence du Sermon 52 de maître Eckhart. La théologie négative enseigne de se déprendre de sa volonté-même jusqu’à celle de vouloir accomplir la volonté de Dieu lui-même, car « seul est un homme pauvre celui qui ne veut rien et ne désire rien ».
Théologie négative et 1ère Epître de Jean
Aux angles du tableau de Gilles Alfera, les quatre lettres hébraïques forment le tétragramme ineffable du nom de Dieu.
Toutefois la théologie négative s’inscrit, en fait, dans l’histoire de la philosophie chrétienne : le non-vouloir, le non-savoir et le non-avoir répondent par leur négation à la triple concupiscence dénoncée par Jean dans sa première Epître (2,16) : « Tout ce qu’il y a dans le monde – la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, l’arrogance de la richesse –, tout cela ne vient pas du Père, mais du monde. » Il s’agit de retrouver ce que nous étions dans la pensée divine avant d’être créés, libres, vides de toutes choses. C’est un retour à l’unité originelle avec Dieu. Rappelons que ce sermon est prêché le jour de la Toussaint et qu’il est un des derniers de maître Eckhart, son testament spirituel à ses frères dominicains. C’est pourquoi il est bon que l’artiste ait placé le texte de maître Eckhart sous les bras de la croix, car ce refus de la triple libido (sentiendi, sciendi, dominandi) exprimée par saint Jean constitue la triple tentation du Christ au désert, auquel il ne succombe pas, ouvrant la voie à une multitude de frères.
« Le Christ est donc la première désappropriation de la Déité, qui se dépouille de son invisibilité pour se donner dans une forme connaissable. Il est un moi qui n’est extérieur à aucun autre, et qui n’exclut aucun autre. Toute particularité, toute propriété est consumée par la divinité, unie dans le Christ à l’humanité. Autrement dit, la divinité s’est unie à l’humanité, à tout homme, et non à un homme à l’exclusion des autres. En Jésus-Christ, l’humanité est unie à Dieu comme à son vrai moi » écrit Olivier Boulnois.
Exhortation finale
Cependant dans le dernier paragraphe du Sermon 52, maître Eckhart a l’humour de rassurer son auditeur qui n’aurait pas encore atteint les sommets de la mystique, de l’unité parfaite de Dieu avec l’esprit : « Que celui qui ne comprend pas ce discours ne s’en afflige pas dans son cœur. Tout le temps que l’homme n’est pas semblable à cette vérité, il ne peut pas comprendre ce discours, car c’est une vérité sans voile qui est venue directement du cœur de Dieu. »
Bibliographie : Boulnois Olivier, « Le moi et Dieu selon Maître Eckhart », Article in Théologiques vol.16 n°2 2008.