Voir toutes les photos

Poème Grain de Sénevé (Granum Sinapis) de Maître Eckhart

Maître Eckhart est l'auteur d'un unique poème, où se trouve l'essentiel de ses thèmes et de sa doctrine : Grain de Sénevé (Granum Sinapis), « un des sommets de la poésie du Moyen Age ». Le titre est un emprunt à la parabole évangélique et à une homélie de saint Jean Chrysostome. Le poème de Maître Eckhart, écrit en haut moyen allemand, comporte 8 strophes de 10 vers, 8 dizains. Il est suivi du commentaire latin anonyme intitulé Granum Sinapis qui comporte huit chapitres correspondant aux 8 strophes et qui en explicite le sens.
Publié le 21 septembre 2017
Écrit par Martine Petrini-Poli

Granum Sinapis, oeuvre calligraphique de l’artiste Gilles Alfera

Voilà ce qu’écrit l’artiste Gilles Alfera pour présenter son travail, basé sur la traduction du père Antoine de Vial : « Granum Sinapis (Grain de Sénevé) est un témoignage de la connaissance intuitive propre au mystique. Ce poème, né dans la vallée du Rhin au quatorzième siècle, est le seul poème attribué sans nul doute à Maître Eckhart. Rédigé en Haut-Allemand, l’auteur a ainsi confié à la langue commune le soin de véhiculer jusqu’à nous ce joyau. Dante, à pareille époque, fit de même en choisissant l’italien pour confier au  » plus ordinaire  » le soin d’accueillir, préserver, voiler et transmettre les traces du  » plus Haut  » ! Cette traduction est celle d’un prêtre-poète – Antoine de Vial – qui fit déjà celle du  » Cantique des Créatures  » montrant ainsi que la rigueur de la poésie permet à la théologie d’effectuer sa percée. Au regard de chaque strophe figure la composition originale du manuscrit Hs. K1222 de la Landesbibliothek de Karlsruhe (…) »

La parabole du Grain de Sénevé se trouve dans l’Evangile de Marc 4,31, de Luc 13,19 et 17,7, et dans celui de Matthieu : « Le royaume des Cieux est semblable à un grain de sénevé, qu’un homme a pris et semé dans son champ. C’est la plus petite de toutes les semences ; mais lorsqu’elle a crû, elle est plus grande que tous les autres légumes, et elle devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent habiter sur ses branches. » Matthieu 13, 32. « Car en vérité, Je vous le dis, si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : Transporte-toi d’ici là, et elle s’y transporterait ; et rien ne vous serait impossible. » Matthieu 17,20.

La parabole évangélique du grain de sénevé, qui montre la croissance du Royaume de Dieu et l’enracinement de la foi, a servi d’inspiration pour le titre de ce poème.  « Pour Eckhart, le tout petit grain de sénevé représente l’image de lui-même que Dieu le Semeur a déposée et bien enfouie dans les profondeurs de l’âme humaine, et qui ne demande qu’à germer, à naître, pour Sa plus grande gloire.

Il me plaît de penser que la réalité du saint Enfant nouveau-né déposé dans une mangeoire entre le boeuf et l’âne, devient le modèle vivant du fils engendré au creux de l’âme, entre la vie charnelle et ses puissances. Eckhart développe ici toute la beauté et le mystère de la vie trinitaire : Père, Fils, Esprit : Mystère indicible d’union jamais atteinte par les seules forces humaines, mais qui s’accomplit par la grâce au plus secret de l’âme « anéantie », c’est-à-dire dans le détachement de ce qui n’est pas son essence la plus intime » écrit Gilles Alfera, qui donne au poème de Maître Eckhart la forme d’un calligramme, poème où les vers sont assemblés de manière à figurer un objet, en l’occurrence un Grain de Sénevé. La qualité de la calligraphie centrale, en écho des strophes, met en valeur l’essence-même du poème. Les quatre premières strophes portent sur la sainte Trinité, évoquée par l’image du fleuve, du flux continu à la strophe 2 :

« Des deux se noue un fleuve
Flux du doux esprit
à leur même mesure
et que rien ne sépare
Car les Trois ne font qu’un. »

Cette métaphore filée, doublée de l’image abyssale, se retrouve à la strophe 8 :

« Que sombre tout mon être
en ce Dieu de non-être
dans Son fleuve sans fond. »

La strophe 4 développe l’image de la Montagne, que l’on atteint par la voie du Désert :

« Ce point est la montagne
à gravir sans agir (…)
la voie te conduit
au Désert admirable (…). »

La métaphore du chemin est filée sur trois strophes (4,5,7) :

« Trouve au sentier étroit
(sans le vouloir chemin)
l’empreinte du Désert.
»

Dans la strophe 3 domine l’image de la boucle, de la ronde et de l’anneau qui enlacent le nom de DIEU, comme un cercle qui n’a ni commencement ni fin :

Ainsi les quatre premières strophes présentent l’union des trois Personnes de la sainte Trinité par des images poétiques, car seule la poésie peut approcher du mystère de Dieu. Les quatre strophes suivantes dévoilent la nature ineffable de Dieu (strophes 5 et 6) et révèlent ce qu’est l’union à Dieu (strophes 7 et 8).

La notion que Dieu est l’Ineffable a pris le nom de « théologie négative ». C’est l’idée que Dieu Est, au-delà de toute assertion (affirmative et même négative). Aucun terme ne sera jamais suffisant pour le définir, car il est transcendant et dépasse les facultés de notre entendement. D’où le recours à la figure de style de l’antithèse aux strophes 5 et 6 :

« C’Est ici et c’Est là
C’Est loin et c’Est bien
C’Est profond et c’Est haut
Et si c’Est donc ainsi
Ce n’Est ni ça ni ci (…)
C’Est lumière et clarté
C’Est aussi la ténèbre (…)
»

L’union à Dieu est le parfait détachement de soi et la découverte de la plénitude de l’Etre :

« Si je deviens ma perte
C’est toi seul que je trouve
Toi le Bien sans mesure
»

 

Ces textes ont eu quelques échos dans la musique contemporaine, retrouvez-en un exemple sur le blog Ils ont des oreilles, qu’ils entendent en cliquant ici.

Contenus associés
Commentaires
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *