Au sud de la grande cité carrée, la Jérusalem céleste, se tiennent, sur la Fontaine de vie, les allégories des trois vertus divines montrant le chemin du salut : l’Amour, l’Humilité et la Paix. Le sens en est donné à Hildegarde en ces termes : “Les trois figures que tu aperçois, ce sont, dans la force d’une ardente justice, au nom de la sainte Trinité, ces trois vertus : amour, humilité et paix. L’amour et l’humilité sont ancrés dans la divinité la plus pure, ils sont les sources des fleuves de la béatitude (…). Amour et humilité descendirent sur terre avec ce même Fils de Dieu, et c’est eux qui l’accompagnèrent, quand il rejoignit le ciel”. Les trois jeunes femmes allégoriques ont, comme témoins, les saints entourés d’un nuage. Amour et Humilité sont enracinés dans la Fontaine de Vie, Paix se tient sur la margelle et doit se ressourcer auprès d’Amour et d’Humilité. Elles sont l’expression de la création nouvelle, la source de la fontaine de vie, de la cité de Dieu, en communication avec la communion des saints, comme le montre la miniature qui illustre la vision.
La vertu théologale de l’Amour ou Charité parle en premier en une prosopopée, discours fictif prononcé à la première personne : « Je suis l’Amour, clarté du Dieu vivant. Je fus aux côtés de la Sagesse quand elle accomplit son œuvre. L’humilité qui plonge ses racines dans la fontaine de vie m’a assistée et la paix l’accompagne. Par la clarté que je suis, naît, telle la foudre, la lumière vivante des anges bienheureux, elle ne peut que resplendir, car il n’est point de lumière sans rayonnement. C’est moi qui ai écrit l’homme. »
On comprend que l’initiative revient à l’Amour qui s’entoure de deux compagnes, l’Humilité et la Paix. Puis on voit l’action conjuguée de deux éléments : l’eau et le feu.
« En moi, en mon ombre, il a trouvé ses racines : L’eau recèle toujours l’ombre des objets. Je suis la fontaine de vie, en moi, telle une ombre, j’ai enfermé toutes les créatures et cette ombre a servi de modèle à la création de l’homme par le feu et l’eau.
C’est que je suis à la fois le feu et l’eau, l’eau qui est vie. L’homme possède en son âme la faculté qui lui permet de tout ordonner selon sa volonté ; tout être vivant a une ombre : ce qui vit évolue en lui telle une ombre. Ceci n’est vrai que pour l’animal raisonnable et non pour les animaux sauvages : ils ne font que vivre… seule l’âme est la raison que Dieu a insufflée.»
L’humilité, librement acceptée, donne toute sa dignité à l’être humain et le distingue du règne purement animal : « Par l’humilité victorieuse… nous prenons visage d’homme, nous nous détachons de l’existence bestiale pour vivre conformément à la dignité de notre nature… alors nous rayonnons de l’éclat le plus clair ».
L’Amour, Verbe de Dieu, est la source de la Création et de toute création : « Le Verbe de Dieu brille dans la forme de l’homme… L’homme, lui, reflète la lumière du Verbe… Dieu fit la forme de l’homme à sa propre ressemblance, parce qu’il voulut aussi couvrir la sainte divinité comme de la forme de l’homme, et c’est pourquoi il représenta aussi dans l’homme toutes les créatures… L’amour a créé l’homme, l’humilité l’a délivré. L’espoir est comme l’œil de l’amour ; l’amour du céleste est son soutien intérieur. La foi est de même l’oeil de l’humilité, l’obéissance son coeur. L’amour existe de toute éternité et a fait sortir dès l’origine toute la sainteté des créatures. »
Cette création divine poursuit son œuvre sous le souffle de l’Esprit-Saint : « Je suis la clarté qui a couvert les prophètes de son ombre : par ma sainte inspiration ils ont prédit l’avenir. La fontaine de vie, c’est l’Esprit de Dieu qu’il répand dans toutes ses oeuvres. Par cette fontaine, ils possèdent la vie qui donne vie, de même que l’ombre de tout objet apparaît dans l’eau. Rien cependant ne peut voir la source de vie, on sent seulement la cause du mouvement.
De même que l’eau jaillit et fait couler tout ce qui est en elle, de même l’âme, souffle de vie, n’abandonne jamais l’homme et le fait s’épancher, en quelque sorte, par la connaissance, la pensée, le langage et l’action. La Sagesse fut avant le commencement des commencements, elle demeurera après la fin du monde avec toute son énergie et sa force, irrésistible. Elle n’a besoin d’aucune aide, ne manque de rien, elle est la première et la dernière…
Cette fontaine qui de partout jaillit, pureté du Dieu vivant, resplendit en sa clarté. En sa splendeur, Dieu embrassa de son grand amour la totalité de ses créatures, et leur ombre apparut dans cette source vive, avant même qu’il ne leur donne forme. En moi, Amour, toutes les créatures ont resplendi. Ma splendeur a révélé leur forme. »
Hildegard von Bingen considère l’humilité comme la « reine des vertus », car elle est l’expression-même de l’Incarnation du Fils de Dieu qui « ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu » : « L’humilité ne détient rien, elle maintient tout au sein de l’amour, c’est en son sein que Dieu se penche vers la terre, et c’est par elle qu’il rassemble toutes les vertus »
« Les vertus ne sont pas plus séparées de la divinité que la racine de l’arbre : Dieu, qui est amour, conserve son humilité dans toutes ses oeuvres et dans tous ses jugements. Amour et humilité descendirent sur terre avec ce même Fils de Dieu et c’est elles qui l’accompagnèrent quand il rejoignit le ciel. L’amour brûle dans l’ardeur des cieux comme la pourpre, et l’humilité, dans la candeur de la droiture, écarte toute souillure de la terre. Ce qui est céleste persiste éternellement dans la plus stable unanimité, mais ce qui est terrestre ne fait que changer, titubant de-ci de-là, ballotté en tous sens. » (LOD 8)