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6e vision du Livre des Œuvres divines d’Hildegard von Bingen

Dans la sixième vision du Livre des Œuvres Divines apparaît le changement de forme géométrique représenté : on est passé du cercle au carré, qui englobe la Cité de Dieu de S. Augustin. Hildegarde décrit « un miroir qui recèle de nombreuses merveilles ». Ce miroir est l’imprégnation de cette science divine qui lui est donnée dans cette vision et qui lui permet de comprendre la dimension trinitaire de l’Eglise.
Publié le 01 juin 2017
Écrit par Martine Petrini-Poli

Hildegard von Bingen, Liber divinorum operum, Codex latinus 1942 (vers 1230) vue d’ensemble et détail © Lucques, Bibliothèque d’Etat (vision 6, fol. 38)

La démarche d’Hildegard von Bingen est toujours similaire : elle commence par une description, ici de la Cité de Dieu, suivie de l’explication, donnée par la voix céleste elle-même :

« À nouveau j’aperçus comme une grande cité, en forme de carré, ceinte d’un mur à la fois de splendeur et de ténèbres, une cité qu’ornaient aussi des collines et des figures. Sur le côté est de la cité se dressait une grande et haute montagne, d’une pierre blanche et dure, qui ressemblait à un volcan. À son sommet resplendissait un miroir, dont la clarté et la pureté paraissaient même dépasser celles du soleil. Une colombe apparut dans ce miroir, les ailes écartées, prête à prendre son vol. Ledit miroir, qui était le lieu de merveilles cachées, projetait un éclat qui s’élevait et qui s’étendait, et au sein duquel se manifestaient de nombreux mystères, et plusieurs formes et figures. En cette splendeur, et en direction du midi, apparaissait un nuage, blanc dans sa partie supérieure, noir dans sa partie inférieure. Au-dessus de ce nuage resplendissait toute une cohorte angélique (…). »

Chaque élément décrit est alors repris et commenté par une voix surnaturelle :

« J’entendis une voix descendue du ciel qui me disait : « Dieu en sa prescience a tout su. Avant que les créatures ne revêtissent leurs formes, il les a prévues : aucun événement, du début jusqu’à la fin du monde, ne lui est caché. C’est ce que veut proclamer la présente vision. La grande cité carrée représente l’oeuvre stable et ferme de la prédestination divine, et, si elle est entourée tantôt de splendeur, tantôt de ténèbres, comme d’un mur, c’est que les croyants et les incroyants, séparés par un juste changement, sont destinés tantôt à la gloire, tantôt au châtiment. Si elle est ornée de montagnes et de figures, si elle est protégée, rehaussée de merveilles, de vertus et de grands prodiges, c’est que Dieu, qui a accompli toutes ses oeuvres dans la vérité et la justice, a conforté ces oeuvres avec une énergie telle qu’aucune impulsion fallacieuse ne peut les exterminer. La montagne que tu vois à l’est et qui a la forme d’un volcan montre que Dieu est présent dans l’énergie de sa justice.

Dieu est juste, Dieu extermine totalement l’injustice, sur lui reposent le ciel et la terre, il soutient le firmament tout entier comme une pierre d’angle soutient un édifice tout entier. Si le sommet de la montagne resplendit d’une telle clarté, d’une telle pureté, qui paraissent dépasser la splendeur du soleil, c’est que la prescience divine, dans son excellence, est si lumineuse, si avisée, qu’elle dépasse tout l’éclat des créatures. La colombe qui apparaît dans le miroir et qui est prête à prendre son vol signifie que cette même prescience est le lieu dans lequel s’épanche l’ordonnance divine, dans lequel elle tend à se manifester. Si cette colombe, perchée au-dessus de la montagne, réfléchit sur la direction à prendre, si elle a besoin de deux ailes pour voler, c’est qu’elle représente : la volonté et le désir d’agir (…). Aussi aucun homme n’est-il capable de réaliser son oeuvre sans l’incarnation du Verbe de Dieu.

Le miroir qui recèle de nombreuses merveilles et qui projette un éclat large et élevé signifie que la science divine, qui recèle de grands mystères et des mystères inconnus, épanchant et élevant l’ostension de ses merveilles, procède selon son bon plaisir (p.145). Le nuage blanc et noir qui s’élève vers le midi montre qu’en cette ostension de l’ardente justice de Dieu seront mises à nu l’intention des esprits bienheureux, digne de louange, et celle des esprits déchus, odieuse. »

 

Le chœur des anges chante la louange incommensurable de Dieu :

« Au-dessus de ce nuage resplendit une grande cohorte angélique (…). Les anges content donc la divinité par les échos vivants de leurs voix parfaites, plus nombreuses que le sable des bords de mer, que tous les fruits qui germent sur terre, que tous les bruits des animaux. Louange qui dépasse toute cette splendeur que le soleil, que la lune et les étoiles font miroiter dans les eaux. Louange qui dépasse tous les chants de l’éther que lancent les souffles de ces vents qui soulèvent et qui soutiennent les quatre éléments. Et cependant : malgré la multitude de leurs louanges, les esprits bienheureux sont incapables d’embrasser d’aucune manière la divinité. Aussi renouvellent-ils toujours leur chant de louanges (…). »

 

Hildegard analyse le mal radical qui peut séparer l’homme de Dieu : ne vouloir exister que par soi-même.

« La connaissance en effet, quelle assise pourrait-elle avoir, elle qui n’existe pas par elle-même, si elle n’élevait pas le concert de ses louanges vers celui qui est sa source, et si elle voulait tirer son origine d’elle-même ? Or c’est ce que fit Satan, dès le début de son existence : sa louange ne tint aucun compte du créateur, il ne voulait exister que par lui-même. Aussi s’effondra-t-il, séparé de la divinité, broyé, comme l’on sépare le grain de l’ivraie avant de le broyer. L’homme ne peut puiser en soi-même la joie pleine de son utilité particulière : il faut qu’il la reçoive de quelqu’un d’autre. Quand cet autre lui aura permis de comprendre cette joie, ce sera en son coeur une grande exaltation (…). Ces mêmes voix ont engagé le combat contre le dragon noir. C’est Michel en effet, qui, dans les échos des trompettes du jugement caché de Dieu, a frappé à mort le serpent qui désirait connaître la clarté de Dieu (…). »

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