La cinquième vision du Livre des Œuvres divines est une illustration de la « justice divine ». Elle présente toujours le cercle du cosmos, mais éclaté en compartiments où se croisent les élus nageant dans le bonheur et les damnés dévorés par les flammes. Entre eux se déploie la création avec ses plantes et ses animaux aquatiques. La moitié droite de l’image semble dévorée par un monstre diabolique ; la moitié gauche est couverte par les ailes divines qui protègent le carré d’une forteresse, l’Eglise. Hildegard, dans sa cellule, « reproduit ce qu’elle voit et entend dans la vision ».
Hildegard montre l’union, dans l’homme, de l’âme et du corps, et, tout d’abord, le rôle des sens : « L’homme est conduit au salut de son âme par les cinq sens qui lui permettent de satisfaire tous ses besoins. » p.124 « Les quatre sens animent et confortent le toucher qui est leur milieu. » p.125. Hildegard démontre alors ce qu’est une « âme juste » et une « action juste », éloignée de toute démesure et puisant sa force dans l’Esprit-Saint :
« L’âme apparaît tel un feu et la raison, en elle, est comme une lumière ; l’âme est pénétrée de la lumière de la raison comme le monde est illuminé par le soleil. Par la raison, elle peut prévoir et connaître toutes les oeuvres de l’homme. L’homme possède en lui le goût et le désir, ces deux forces émeuvent le sang dans ses veines, tout comme la chaleur médullaire. C’est pourquoi l’homme agit comme une roue qui tourne une fois qu’on lui a donné l’impulsion : le corps, qui possède le goût et le désir, pousse l’âme de-ci de-là, et cette dernière suit souvent les impulsions pour diriger ses pas. L’âme raisonnable est issue de Dieu qui a insufflé la vie à la forme première. Elle n’est certes ni la chair ni le sang, mais elle emplit la chair et le sang pour leur donner vie.
L’âme et le corps sont donc une oeuvre unique de double nature. Voilà comment l’homme est composé depuis ses débuts, dans les domaines supérieurs comme dans les inférieurs, dans son action extérieure comme à l’intérieur : partout il est corporel, telle est sa nature. Lorsque l’homme agit avec justesse, les éléments (de l’univers) suivent aussi de justes voies ; dans le cas contraire, c’est lui qui est dominé par les éléments. Lorsqu’elle aura quitté l’atelier de son corps et sera confrontée à Dieu, l’âme juste découvrira sa nature et ses anciennes dépendances corporelles. L’âme de l’homme est affermie par le feu de l’Esprit Saint pour accomplir le bien, mais le froid de la paresse et de la négligence la débilite alors que le feu de l’endurance et la componction de l’esprit, se mêlant, font produire à l’homme de bons fruits : ils le confortent et l’ornent en tout ce qui est utile pour que rien ne puisse le séparer du service et de l’amour de Dieu. Les tâches du corps et celles de l’âme diffèrent, les actes du corps se déroulent en quelque sorte en périphérie, conscients de leur insuffisance.
L’âme apparaît tel un feu et la raison, en elle, est comme une lumière ; l’âme est pénétrée de la lumière de la raison comme le monde est illuminé par le soleil.
Le corps et l’âme n’en sont pas moins, pour ainsi dire, à l’unisson, car c’est l’âme qui fournit à l’homme, dans une pleine mesure, l’énergie vitale de son corps et de ses sens. Lorsque le corps vacille, ses oeuvres aussi vacillent. Lorsque, au contraire, l’âme maintient son corps, les réalisations du corps trouvent un soutien. Le corps de l’homme et ses actions servent au maintien de l’homme en vie, alors que l’âme édifie l’homme intérieurement. Le corps donne donc une meilleure place à l’action juste quand il est animé par le calme repos de la conscience. Mais lorsqu’il doute, l’homme donne à son corps une place plus grande qu’il n’agrée aux soupirs de son âme. C’est que l’âme aspire à la rectitude, alors que le corps de l’homme, livré à lui-même, cède souvent à la démesure. L’homme est pour ainsi dire inhabitable, tant qu’il ne comprend pas ce qu’est le corps, ce qu’est l’âme, ce que sont les œuvres, tant que l’homme n’a pas encore acquis le discernement dans la juste mesure. » LOD p.126.
Le second conseil d’Hildegard est de se garder de l’orgueil, de l’autosuffisance, car « qui voudra tenir sans moi (Dieu) ira à la ruine » :
« Il vaudrait mieux pour toi que tu te sentes inutile et pécheur que d’être dans la tiédeur… si tu comprenais que tu es pécheur, tu t’arracherais aux mauvaises actions… Mais tu es comme un vent tiède qui n’apporte pas d’humidité aux fruits et ne leur donne pas de chaleur. Tu es celui qui commence et non celui qui achève, tu effleures le bien au commencement, mais tu ne te nourris pas de lui dans son achèvement, semblable à un vent qui caresse le visage, mais qui ne nourrit pas le ventre. Qu’est-ce qui vaut mieux, un vain bruit ou un ouvrage porté à son terme ? … Dès lors, agis dans le silence de l’humilité et ne t’élève pas avec orgueil, car il sera compté pour rien celui qui s’efforce d’obtenir par un orgueil de feu ce qu’il dédaigne d’accomplir dans un abandon d’amour. Vains et sots, ceux qui placent en eux-mêmes leur confiance… Ceux qui, dans leur orgueil, mettent leur confiance en eux-mêmes, désirent paraître plus sages que leurs pères et ne veulent pas marcher selon leur pacte, mais, dans leur grande instabilité, se donnent à eux-mêmes des lois selon leurs caprices… Car ce qui paraît parfois bon aux hommes est une erreur de leur esprit … »