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Carlos Kusnir, l’art de l’irrévérence

Rafraîchissante, l’exposition Carlos Kusnir qui se tient actuellement à Marseille ! Né en 1947 à Buenos Aires, installé en France entre Paris et Marseille depuis le début des années 1980, le peintre argentin y dévoile en une sélection non chronologique sur deux lieux - le FRAC Paca et la Friche Belle de Mai - plus de trente années d’une création foisonnante, teintée d’humour et d’auto-dérision.
Publié le 17 avril 2018

Carlos Kusnir, Sans titre , 2018, acrylique sur bois, gants, 70×38 cm. © Courtesy de l’artiste  Carlos Kusnir et ADAGP Paris 2018 / Photo JC LETT

Ne jamais se prendre au sérieux : telle pourrait être la devise de l’artiste. Au FRAC, le visiteur est accueilli par de petits panneaux peints d’où émergent des mains gantées de caoutchouc : “Par ici”, semblent-elle indiquer en langage des signes. Comme une invitation à passer de l’autre côté du miroir, dans l’univers original de l’artiste… Au centre de la pièce se dresse une étrange installation de bric et de broc, faite de pancartes et d’archétypes de « personnages » en contreplaqué : le coiffeur, le blessé de guerre, le révolutionnaire, la voisine à blouse fleurie… Partiellement reconnaissables à leurs accessoires façon inventaire à la Prévert (béquille, peigne, balai, bonnet de douche, drapeau…), ils tiennent “debout” en équilibre instable, le dos de leurs panneaux peints lestés de sacs de billes.

Les oeuvres ainsi personnifiées de Carlos Kusnir n’éludent rien de leur secret de fabrication, dévoilant la mascarade de leurs façades ornées – la fonction, le personnage que chacun joue dans la vie – comme leurs revers rafistolés et bricolés de matériau brut (habituellement dissimulés) – la nudité et les imperfections de ces individus grossièrement accoutrés. Cette mise en scène de l’humanité, à la fois déroutante de banalité et émouvante de fragilité, tient à la fois du décor de carton pâte, de la manifestation de saltimbanques et de l’assemblage d’objets déglingués. Et le visiteur de circuler parmi cette foule bigarrée plus vraie que nature, aussi touchante que risible, « mal peinte », mal peignée, mal fagotée, avec le sentiment familier de se mêler à ses semblables, d’être partie prenante de cette “commedia del’arte” au sein de laquelle l’allégresse rivalise avec l’accident (libérateur, dixit l’artiste), toujours susceptible de mettre à mal le spectacle au fil de l’improvisation.

CARLOS KUSNIR, VUE DE L’EXPOSITION, FRAC PROVENCE ALPES CÔTE D’AZUR, MARSEILLE 2018 © COURTESY DE L’ARTISTE  CARLOS KUSNIR ET ADAGP PARIS 2018 / PHOTO JC LETT

Au premier étage du FRAC comme à la Friche, Carlos Kusnir poursuit son numéro d’équilibriste entre virtuosité technique, élégance des couleurs et maladresse apparente. A travers l’évocation de souvenirs personnels, son oeuvre débridée, rarement titrée, s’y déploie en grands ou petits formats oscillant entre réalité et représentation sans jamais privilégier l’une au détriment de l’autre. Là encore, son univers tri-dimensionnel et sonore sort du cadre conventionnel du tableau pour favoriser le rapport physique à l’oeuvre et à l’espace. Non sans clins d’oeil à l’art et son histoire (Cubisme, Supports-Surfaces, Nouveaux Réalistes, Pop Art…) et inclusions musicales espiègles (choeurs de l’Armée Rouge – Superman, 1987, Bach, Starmania – J’aurais aimé être un artiste, 1989), l’artiste procède par collages et assemblages, se confronte par la répétition du motif aux techniques de l’imprimerie (étudiées à Prague et Bratislava à la fin des années 60).

Carlos Kusnir, Je suis au café, 1986 – Huile sur toile, étagère en bois, chaises, bouteille, Collection Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris

 

Le rythme revêt une importance majeure pour celui qui songea à une carrière de musicien avant d’opter pour les arts visuels. Peinture, papier, bois et objets insérés – seaux, balais, planche à repasser, outils divers, chaussures – ou représentés (grillages, rideaux, murs de briques, papiers peints) participent de cet art de la mise en espace et du trompe-l’oeil fait de bouts de ficelles et de matériaux pauvres dans une jouissance quasi-palpable de la couleur et de la composition, célébrant avec tendresse l’univers domestique et la vie quotidienne : Mama, Je suis au café (1986).

Dans les expositions, je travaille mes peintures comme une partition. Je rêve et je me dis que chaque peinture a une sonorité, une couleur particulière. Que chaque peinture est un instrument singulier qui pourrait faire partie d’une plus vaste orchestration.

Souhaitons que cette oeuvre irrévérencieuse et jubilatoire réconcilie les détracteurs de l’art contemporain avec celui de leur temps. Si toutefois ils acceptent de se laisser déplacer par la liberté de cet art, plus complexe et profond qu’il n’y paraît, et par l’inlassable capacité de réinvention de celui qui « se méfie de la volonté et refuse de se laisser capter par l’adulte civilisé » : « Je ne suis pas là, je m’enlève », affirme-t-il avec modestie.

 

Odile de Loisy

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