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Le Livre de la vie, un récit mystique (Chapitre XXIII à XXXI)

Le Livre de la vie est le récit des grâces mystiques reçues de Celui que Thérèse d’Avila appelle « Sa Majesté ». Il existe bien, comme l’analyse Bernard Sesé, une « poétique de l’extase selon sainte Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix », dont il s’efforce d’étudier la phénoménologie. L’extase s’exprime, en effet, par toutes sortes d’états psychiques et somatiques.
Publié le 22 mai 2014
Écrit par Martine Petrini-Poli

Guido CAGNACCI, Sainte Thérèse d’Avila devant la Croix – vers 1621- Huile sur toile.


C’est un phénomène soudain, éphémère et irrésistible : « Cette transformation complète de l’âme en Dieu dure peu » (XX, 18). « Quelquefois j’y parvenais un peu (à résister) et me retrouvais brisée de fatigue, aussi lasse que si j’avais combattu un géant » (XX, 4). On ressent alors comme « les affres de la mort, sauf que cette souffrance apporte avec elle une grande joie, que je ne sais à quoi la comparer. C’est un dur et savoureux martyre » (XX, 11). Le mystique, pour rendre compte de ses états, use d’une série de figures de style. Ainsi l’oxymore de la « douleur délectable » (XXIX, 10) est l’effet rendu par les images de la blessure d’amour et du transpercement par une flèche : « On lui enfonce une flèche au plus profond des entrailles et du cœur à la fois » (XXIX, 10). Cela peut être aussi l’image de l’ivresse : «Les deux puissances ont commencé à s’enivrer du vin céleste » (XVIII, 12) ou le désir de pousser de « grands cris » : « Oh, Seigneur, si vous m’aviez donné un état qui me permette de dire cela à grands cris, on ne me croirait pas » (XXI, 2).

Les éléments eux-mêmes, comme l’eau ou le feu, viennent exprimer la violence des sentiments ressentis : « L’eau se répand jusqu’à la gorge de cette âme » (XVI, 1). « Comment s’opère ce qu’on appelle (oraison d’) union (…) l’âme sort quelquefois d’elle-même, tout comme un feu ardent qui devient une flamme, et ce feu vient à s’accroître parfois avec violence. Cette flamme s’élève bien au-dessus du foyer, mais elle n’en diffère pas pour autant : c’est toujours la flamme du même feu » (XVIII, 2). Une langue figurée, symbolique est seule capable de tenter de rendre compte de l’expérience mystique. Mais, si on s’en tient à l’étude descriptive des phénomènes tels qu’ils sont donnés dans l’expérience, on ne pénètre pas au cœur du mystère poétique, du « no sé qué » de Jean de la Croix. On ne laisse pas à la comparaison la possibilité de se déployer. Ainsi Thérèse d’Avila explicite sa métaphore et évoque, dans un élan lyrique, l’union mystique : « Ce que je prétends expliquer, c’est ce que ressent l’âme dans cette divine union. Ce qu’est cette union, on l’a déjà compris : deux choses séparées qui n’en font plus qu’une. Oh, mon Seigneur, que vous êtes bon ! Soyez béni à jamais ! Que toutes choses vous louent, ô mon Dieu, de nous avoir tant aimés que nous puissions en vérité parler de cette communication que vous établissez avec les âmes, même dans cet exil » (XVIII, 3).

Il faut rappeler toute la tradition biblique et patristique de la symbolique nuptiale depuis le Cantique des Cantiques, que cite Thérèse d’Avila (XXVII, 10) et qui est au cœur de la mystique de Jean de la Croix. Ainsi il paraît important de dégager, parmi les nombreuses visions de Thérèse d’Avila, ce qui forme le centre de son expérience mystique. Elle a commencé par prier le Christ aux plaies, ou dans son agonie, au « Jardin des Oliviers ». En 1559, c’est sa première vision intellectuelle du Christ : « Voici ce qui m’arriva au bout de deux années passées en oraison … Un jour où l’on célébrait la fête du glorieux saint Pierre, je le vis en oraison tout près de moi ou, pour mieux dire, je sentis, car je ne vis rien avec les yeux du corps ni avec ceux de l’âme, mais j’eus le sentiment que le Christ était à mon côté » (XVII, 2). Elle analyse alors cette expérience et constate qu’il ne s’agit pas d’une vision imaginaire, c’est-à-dire une vision d’image : « Comment puis-je comprendre et affirmer plus clairement qu’il est plus près de moi que si je le voyais » (XVII, 3). Puis, « il plut au Seigneur de ne me montrer que ses mains (…). Quelques jours plus tard, je vis aussi son divin visage qui me laissa, je crois, toute ravie » (XXVIII, 1). Enfin, « un jour où l’on fêtait saint Paul, pendant la messe, cette très sainte humanité se montra à moi tout entière, comme on peint le Christ ressuscité (…) cette vision a beau être imaginaire (d’image), jamais je ne l’ai vu avec les yeux du corps, ni aucune autre d’ailleurs, mais avec les yeux de l’âme » (XVIII, 4).

Elle évoque alors la grande beauté du Corps glorieux, sa douce blancheur et son éclat infus, qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer ici-bas. Ce qui caractérise cette vision, c’est qu’il est impossible de l’oublier. Elle est sculptée dans l’entendement et laisse la vive certitude de la présence vivante d’un Dieu pleinement homme et pleinement Dieu.

Ainsi le grand Mystère chrétien s’est à jamais imprimé dans un être humain. C’est bien là la folie de la Croix et la « céleste folie » de Thérèse d’Avila, étrangère à Lacan et à la psychanalyse.

 Apparition du Christ ressuscité à Thérèse d’Avila et Jean de la Croix, Eglise saint Joseph des Carmes Déchaussés, rue de Vaugirard, Paris.
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