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« Cinémiracles » de Timothée Gérardin : changer de regard sur le monde à travers le cinéma

Mettant ses pas dans ceux d'André Bazin ou de Henri Agel, Timothée Gérardin, critique de cinéma à Critikat et auteur d’un essai sur Christopher Nolan, a consacré un ouvrage inédit à la question du miracle comme événement cinématographique. A l’occasion de la sortie du livre « Cinémiracles, l’émerveillement religieux à l’écran », l’auteur a rencontré Narthex pour évoquer ce sujet mais aussi les liens qu’entretiennent depuis toujours foi et cinéma.
Publié le 06 novembre 2020
Écrit par Pierre Vaccaro

Timothée Gérardin, « Cinémiracles, l’émerveillement religieux à l’écran »

Qu’est-ce qui vous a conduit à écrire ce livre ?

Timothée Gérardin – J’ai toujours été intéressé par les rapports entre la religion et le cinéma. Je me souviens que la photographie du suaire de Turin qui était en illustration du Qu’est-ce que le cinéma d’André Bazin avait frappé mon imagination d’apprenti cinéphile et de catholique. Au même titre que la découverte des films de Scorsese, Mean Streets ou Raging Bull par exemple. Les questions de croyance m’ont toujours semblé liées au pouvoir qu’on donne aux images. C’est finalement le miracle qui m’a semblé être l’angle inattendu et fertile, posant à la fois des questions esthétiques et spirituelles. Le miracle est par ailleurs un motif à la lisière de la foi religieuse et cinématographique : un sujet litigieux pour l’église catholique, partagée selon les cas entre le soupçon et l’exaltation, et un sujet limite pour le cinéma, soulevant des questions fondamentales de mise en scène. En creusant un peu on s’aperçoit que le miracle a donné lieu à une étonnante variété de films : des péplums, des films naturalistes, des oeuvres mystiques, des comédies loufoques, des films d’enquête – c’est sans fin ! Et d’ailleurs le livre est loin d’en faire le compte-rendu exhaustif.

Qu’entendez-vous par « miracle » au cinéma ? Quelle définition donnez-vous de ce terme ?

Il était en effet nécessaire de donner un cadre précis à cette étude, d’une part pour se préserver de la facilité de langage faisant de tout rebondissement un miracle, et de l’autre pour éviter la confusion entre le miraculeux et le merveilleux pur et simple. La définition donnée dans le livre, c’est une rupture dans l’ordre naturel des choses, pouvant donner lieu à une interprétation religieuse. J’ai donc essayé de ne pas parler de miracle au sens figuré et j’ai laissé de côté la science-fiction, le fantastique ou les films de super-héros.

Scène finale du film Ordet de Carl Theodor Dreyer

Comment filmer un miracle au cinéma ?

On pourrait dire qu’il y a autant de réponses à cette question que de films parlant de miracles. Qu’ont en commun Le Chant de Bernadette d’Henry King, sur les apparitions de Bernadette Soubirous et Le Miraculé de Jean-Pierre Mocky, tournant en dérision les miracles de Lourdes ? On trouve bien quelques constantes dans les films abordant ce sujet, j’en ai discerné trois : le jeu sur le pacte de croyance du spectateur, l’événement comme phénomène extérieur et intérieur, et enfin une proposition d’interprétation du prodige. Ces trois composantes sont envisagées différemment dans chaque film. Le pacte de croyance n’est pas le même, par exemple, dans Ordet de Carl Theodor Dreyer où Dieu semble d’abord absent, le miracle impossible, et dans Les Dix commandements de Cecil B. DeMille où l’intervention du Dieu des Juifs entre en concurrence avec l’univers, nimbé de magie, de la cour égyptienne.

La Plus grande histoire jamais contée de Georges Stevens

Le sens de l’émerveillement varie selon qu’on sublime le miracle comme dans La Plus grande histoire jamais contée de Georges Stevens, qu’on le suggère comme dans Ben-Hur, ou qu’on en fait une évocation poétique, comme dans L’Évangile selon Saint Matthieu de Pasolini. Et enfin, comme dans les Évangiles, les miracles s’éclairent au cinéma avec les mots qui les accompagnent, ouvrant à leur interprétation : ils peuvent alors être d’inspiration divine ou diabolique, comme dans les films horrifiques mettant en scène des possessions.

Le Passage de la Mer Rouge dans le film Les Dix commandements de Cecil B. DeMille

Quelle(s) lecture(s) peut-on faire de la mise en scène du miracle au cinéma ?

Une grande question que pose la représentation du miracle au cinéma est justement celui de sa lisibilité. Il y a plusieurs mots pour désigner les miracles dans les Évangiles, et le plus fréquent est « semeion », c’est-à-dire « signe ». Dans les films, le miracle est-il un signe ? Certains films apportent une réponse évidente, notamment ceux qui mettent en scène la vie de Jésus. Il est intéressant, à ce titre, de comparer le même épisode évangélique, par exemple la résurrection de Lazare, dans deux films différents : La Plus Grande histoire jamais contée, de George Stevens, et La Dernière tentation du Christ, de Martin Scorsese.

LA RÉSURRECTION DE LAZARE avec Willem Dafoe dans La Dernière Tentation du Christ de  Martin Scorsese

Dans le premier cas, l’apparition de Lazare hors de son tombeau émerveille les disciples, qui y voient la confirmation que Jésus est le Messie. Dans le second cas, les personnes présentes ne voient qu’un mort qui se réveille, un mort-vivant en quelque sorte : un fait que Jésus lui-même semble avoir du mal à déchiffrer. Le miracle au cinéma est, comme dans la réalité, l’objet de bien des interprétations. Il pose la question de la vérité. C’est sans doute ce qui explique que plusieurs films qui s’y intéressent se transforment en film d’enquête, comme ce fut le cas récemment de L’Apparition de Xavier Giannoli.

L’Apparition de Xavier Giannoli, Vincent Lindon, SHANNA BESSON MEMENTO FILMS DISTRIBUTION

En quoi la manière de filmer un miracle peut-elle être une expression du sacré, de la
transcendance ?

Pour répondre à cette question, il faut remonter aux deux origines du cinéma, auxquelles correspondent deux types d’émerveillement. D’un côté, les frères Lumière inventent un cinéma qui provoque la stupeur par la reproduction neutre de la réalité. Et de l’autre, George Méliès invente le trucage, c’est-à-dire l’expression artistique s’appropriant l’image photographique en mouvement. Le sens du sacré, lorsque des thématiques religieuses sont abordées, se situe quelque part entre ces deux rapports aux images. Pour les uns, l’âme du cinéma sera dans une manière de contempler une vie simple et ordinaire : le véritable miracle des Onze Fioretti de François d’Assise de Rosselini se trouve alors dans la présence lumineuse de ses personnages. Pour les autres, le miracle est au contraire une rupture dans le monde ordinaire, qui ne peut être restituée que par la sublimation artistique ou spectaculaire. C’est le cas dans de nombreux films bibliques hollywoodiens, mais aussi dans les films de grands auteurs comme Pasolini ou Lars von Trier. Mais le plus souvent, et même dans les exemples cités, les deux manières cinématographiques d’envisager la transcendance se retrouvent entremêlées.

La Tentation au désert dans le film L’Évangile selon Saint Matthieu de Pasolini

Votre livre met en évidence les liens qu’entretiennent le cinéma et le catholicisme, le miracle au cinéma peut-il selon vous être un chemin d’accès à la foi ?

Cette interrogation, et plus globalement la question de la valeur pédagogique des films du point de vue chrétien, s’est beaucoup posée au début du XXème siècle. Le pape Pie XI a même dit, en 1936, qu’on pouvait faire du cinéma un usage propice à l’élévation de l’âme. Les prêtres et les associations catholiques ont joué un rôle dans l’essor des ciné-clubs dans les années 50. Des personnalités comme Amédée Ayfre ou Henri Agel ont écrit sur la dimension spirituelle des films de leur temps, de Bunuel au néo-réalisme. Il y avait l’espoir que le cinéma soit un effet un nouveau chemin d’accès à la foi. Plus modestement, je crois que ce qu’illustrent les miracles au cinéma, c’est le pouvoir des films de nous faire changer de regard. Dans la manière dont elles apparaissent, les images ont le pouvoir de bousculer nos certitudes, de faire vaciller nos croyances pour en susciter de nouvelles. Un miracle est bien mis en scène s’il nous ouvre les yeux, d’une manière ou d’une autre.

Melancholia de Lars von Trier

« La Prière, L’Apparition, Jésus l’enquête, Paul Apôtre du Christ, Marie-Madeleine, etc. » Les chemins de la foi semblent aujourd’hui passer par ceux des salles de cinéma, notamment aux Etats-Unis où un courant religieux hollywoodien est en plein essor, rapportant beaucoup d’argent : quelle vision du miracle développent ces films américains et ne pensez-vous pas qu’ils véhiculent un certain retour au premier degré de la religion, propice aux fondamentalismes… ?

Il y a deux cas de figures dans les films que vous citez. D’un côté, il y a un certain cinéma d’auteur qui s’intéresse à des sujets ou à des motifs religieux (La Prière, L’Apparition), et de l’autre des films produits dans une optique et pour un public religieux (Jésus l’enquête, Dieu n’est pas mort, etc.). Je n’ai pas vu tous les films de la seconde catégorie, mais ils sont hélas souvent très formatés. Cela dit, ils sont moins dans le registre du spectaculaire, comme à l’époque des films bibliques hollywoodiens, que dans celui de la persuasion et du militantisme. Plus qu’une tendance au fondamentalisme, ces films sont peut-être le symptôme du désintérêt de cette cible pour les films artistiquement ambitieux. Alors qu’en parallèle, au cinéma et à la télévision, les scénaristes sont plus que jamais fascinés par ces sujets, comme en témoigne une série comme Il Miracolo ou un film comme L’Apparition.

Propos recueillis par Pierre Vaccaro

Pour aller plus loin

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