Un film de genre
James Gray parvient à donner une densité formelle originale à son film, porté par une grande élégance des images et une mélancolie qui sont sa marque de fabrique.
Après « Solaris », « Interstellar », « Gravity », « First Man » ou même « High Life », James Gray s’attèle à son tour au genre du film de science-fiction à visée métaphysique. Il se présente clairement comme héritier de Kubrick et de « 2001. L’Odyssée de l’espace » à travers le souci du détail porté à la dimension scientifique des images, le caractère philosophique et abstrait du propos, l’ampleur et l’ambition de l’œuvre. S’attaquer à ce genre après tous ces prédécesseurs était donc un pari fort risqué. Gray parvient néanmoins à mettre sa patte et à donner une densité formelle originale à son film, porté par une grande élégance des images et une mélancolie qui sont sa marque de fabrique (comme dans « La Nuit nous appartient » par exemple ou plus récemment « The Lost City of Z. ») Cette belle qualité de présence est due pour une bonne part à son attachement à la pellicule qui donne à l’image un caractère profond et onirique, par opposition à l’image numérique lisse et sans âme. Une fois passée la magistrale ouverture qui évoque une chute inspirant un vertige comme on en a rarement éprouvé au cinéma, s’impose tout au long des plans l’impression que le réalisateur est parvenu à rendre tangible la dimension spatiale et futuriste de son film.
Un film intimiste et psychanalytique sur la quête du père
« Ad Astra » est un parcours intérieur et symbolique quasi obsessionnel, focalisé sur la recherche du père absent.
Comme le souligne lui-même le réalisateur, « Ad Astra » doit se lire comme une quête initiatique, une odyssée, comparable à celle de Télémaque, héros de la mythologie grecque déterminé à découvrir ce qu’est devenu son père. A travers trois vols spatiaux où l’astronaute va devoir affronter la terreur, la violence et la mort (les pirates sur la lune, l’attaque spectaculaire de babouins, le meurtre de spationautes), James Gray évoque surtout un parcours intérieur et symbolique quasi obsessionnel, focalisé sur la recherche du père absent (thème récurrent dans son cinéma). La disparition de celui-ci a fait de son fils, Roy Mc Bride, joué par Brad Pitt, un être triste et renfermé qui, malgré sa réussite professionnelle, ne parvient pas à s’ouvrir au monde et aux autres. Au fur et à mesure qu’il s’aventure plus profond dans le système solaire, le héros affronte une immense solitude et plonge dans la dépression. Il opère une traversée psychanalytique au bout de laquelle il s‘agira de retrouver le père pour mieux s’en libérer ensuite. Nous retrouvions cet enjeu œdipien dans les voyages amazoniens de « The Lost city of Z » à la différence près que le père et le fils se retrouvaient à jamais unis et non voués à se séparer comme c’est le cas ici.
Un film amoureux de la forme mais qui ne décolle pas sur le plan scénaristique
De manière assez surfaite et discutable, son film juxtapose de nombreuses péripéties, un discours psychanalytique ou spirituel au sens large du terme, la recherche d’une vie extra-terrestre.
Devant la magnificence des plans de Hoyte Van Hoytema, qui avait déjà signé la photographie de « Interstellar » en 2014, et son aisance à mettre en scène la relativité de l’humain dans l’immensité de l’espace, devant le talent artistique du cinéaste et à la musique introspective de Max Richter, on attendait beaucoup de « Ad Astra » qui, au bout du compte, ne parvient pas à remporter pleinement l’adhésion. Contraint par les studios d’Hollywood qui craignaient un film trop difficile pour le grand public, James Gray semble avoir parfois baissé les bras, navigant d’un parti pris à l’autre. De manière assez surfaite et discutable, son film juxtapose de nombreuses péripéties, un discours psychanalytique ou spirituel au sens large du terme, la recherche d’une vie extra-terrestre, comme autant de passages obligés du genre à raccorder à son récit intime.
Malgré sa somptueuse mise en forme, « Ad Astra » dissimule mal un scénario plutôt inconsistant, parfois même incohérent.
« Ad Astra » se présente ainsi étrangement, comme une œuvre sans unité, avec des scènes dont on ne saisit pas toujours la raison, soit trop longues, soit trop courtes, un film à la fois trop bavard et trop muet. Malgré sa somptueuse mise en forme, « Ad Astra » dissimule mal un scénario plutôt inconsistant, parfois même incohérent. Comment par exemple un astronaute peut-il monter à bord d’une fusée en train de décoller et dont les réacteurs sont en feu ? La narration se sent obligée de décrire la moindre pensée intérieure du personnage (choix discutable de la voix off), annihilant les regards et les silences pourtant chargés, sans parler des dialogues qui ignorent l’utilité narrative du non-dit. On se retrouve donc devant un film sans tension, qui ne prend pas et qui finit par désintéresser le spectateur en attente d’une histoire et d’une incarnation du récit avec des émotions. Gray semble être tombé dans le piège d’une esthétique qui cherche à figurer, un film hyper stylisé qui se regarde lui-même à force d’être fasciné par sa propre ampleur. Même si les adeptes de la forme y trouveront leur compte, c’est avec regret qu’il faut bien se résigner à admettre que « Ad Astra » a certes réussi visuellement mais s’est perdu narrativement.
Pierre Vaccaro
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