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Burton Corporate

"Le cinéaste Tim Burton s'empare de l'histoire de Dumbo, et tout en restant dans les codes d'un cinéma familial consensuel, ne parvient pas à insuffler de magie à cette réalisation aux effets numériques policés. On est loin de la féerie inquiétante propre à Burton et de son génie créatif. Notre blogueur cinéma Pierre Vaccaro évoque ici le déclin artistique de l'auteur d'"Edward aux mains d'argent".
Publié le 10 avril 2019
Écrit par Pierre Vaccaro

DUMBO, 2019 © DISNEY © DISNEY/PIXAR

Il était une fois Dumbo….

1940 : Pinocchio et Fantasia n’ont pas fait les recettes espérées. Disney lance alors son Dumbo avec un budget de production beaucoup moins important. Adapté d’une petite histoire écrite en 1939 par Helen Aberson et illustrée par Harold Pearl, le scénario est rallongé pour en faire un long métrage d’1h04. Cette fois, lorsque le film sort, en 1941, le public est au rendez-vous. Son histoire simple, émouvante et une mise en scène originale séduisent le public. Un an plus tard, le film obtiendra l’Oscar de la meilleure musique et en 1947 celui du Grand Prix du dessin animé à Cannes.

Soixante-treize ans plus tard, lorsqu’un scénario écrit par Ehren Kruger arrive sur son bureau, Derek Frey, directeur de Tim Burton Productions, décide de faire de Dumbo un long métrage en prises de vues réelles. La production cherche alors des motifs pour développer encore l’histoire tout en conservant l’essence du film original.

Burton sauce Disney

Ce Burton sauce Disney s’inscrit donc dans la mode des remakes. Avant Dumbo, en 2010, Burton s’était déjà livré à l’exercice en réalisant une adaptation d’Alice au pays des Merveilles succès planétaire inspiré du film d’animation de 1951. Les liens que Burton entretient avec Disney ne datent pas d’hier : il commence sa carrière en y travaillant comme animateur et c’est chez Disney encore qu’il écrira son magnifique et très célèbre « Etrange Noël de M. Jack ». Répondant ici à un cahier des charges – dont les listes semblent s’allonger toujours plus – Burton parvient à délivrer un produit cinématographique regardable bien que consensuel.

DUMBO, 2019 © Disney © Disney/Pixar

Avec l’énergique Danny de Vito, un Colin Farrell plutôt absent et la gracieuse Eva Green, il donne corps à son film en enrichissant le mythe Dumbo de personnages bien campés. Il réalise un film sage, peu surprenant, qui puise son inspiration artistique dans le jeu des acteurs mais aussi celui des couleurs saturées des dessins animés, avec de nombreux effets numériques. Dumbo est entièrement numérisé. L’animal est pourvu de grands yeux expressifs mais pas de regard. Autant dire que sur de nombreux plans notamment artistiques, le réalisateur a dû faire beaucoup de compromis, contraint de rester sur une ligne d’un cinéma familial.

Déclin artistique confirmé d’un cinéaste ambigu

A chaque nouveau film de Tim Burton, le même phénomène : les fans guettent les signes d’une résurrection artistique du cinéaste à travers le moindre indice formel. Mais hélas peine perdue tant Burton semble avoir laissé depuis longtemps de côté l’envie de redevenir un cinéaste indépendant aux visons personnelles et libres. Il faut bien dire qu’il ne fait rien pour aider les fans à faire leur deuil. A chaque fois, il distille des signes ostentatoires de reconnaissance de son univers pour susciter l’espoir. Sa relecture de Dumbo apparaît de prime abord comme personnelle : on croit y retrouver par exemple l’élan lyrique de la musique de Dany Elfman, mais ce n’est plus qu’une bande originale formatée. On pense toucher de nouveau du doigt cette féerie inquiétante propre à Burton mais la noirceur ne se fait pas assez sentir. Serait-ce alors ce contraste des couleurs et de la lumière présents par exemple dans l’Etrange Noël ? Mais non, ce n’est qu’une imagerie ripolinée au Photoshop. Mr. Jack a pris cher.

DUMBO, 2019 © DISNEY © DISNEY/PIXAR

Pire, on atteint des sommets d’hypocrisie à travers la défense du spectacle artisanal et la critique des parcs d’attractions accompagnés de ses puissances financières. Burton qui a déclaré de pas aimer le cirque et souvent relaté ses relations tumultueuses avec les studios Disney, le voilà en train de dénoncer un système au sein même duquel il se complait et tire des bénéfices. Décidément Burton ne semble pas prêt à redevenir le tant aimé Edward aux mains d’argent, figure innocente et inspirée, capable de sublimer tous les travers de la société américaine et de transformer le réel en imagerie poétique.


Pierre Vaccaro (contacter l’auteur)

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