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« Il faut attendre jusqu’au bout » – Amanda de Mikhaël Hers

Paris, de nos jours. David, 24 ans, vit au présent. Il jongle entre différents petits boulots et recule, pour un temps encore, l’heure des choix plus engageants. Le cours tranquille des choses vole en éclats quand sa sœur aînée meurt brutalement. Il se retrouve alors en charge de sa nièce de 7 ans, Amanda.
Publié le 11 décembre 2018
Écrit par Pierre Vaccaro

David (Vincent Lacoste) et Amanda (Isaure Multrier) © Nord-Ouest Films
Construction d’un récit poétique et recherche de pureté

Paris aujourd’hui. David, jeune homme de 24 ans, accepte de devenir le tuteur de sa petite nièce qui se retrouve orpheline suite à la mort violente de sa mère qui l’élevait seule. Avec Amanda, Mikhaël Hers, réalisateur au profil discret, diplômé de la Femis, aborde à nouveau des thèmes qu’il a déjà traités dans ses précédents films : la douleur de l’absence et la capacité de résilience face aux drames de l’existence.

On pouvait craindre un film mélodramatique à la sensiblerie larmoyante. Or, c’est précisément à un numéro d’équilibriste que se livre le réalisateur qui reste toujours sur le fil d’une émotion assumée, sans pour autant tomber dans un pathos ostentatoire. On ressort de la projection comme purifié, nettoyé de la vulgarité ou de la violence environnantes. Le cinéaste pose un regard délicat, juste et profond sur l’expérience de la mort de l’autre au travers duquel le spectateur est ramené à sa propre intériorité, au lieu d’être « piégé » par l’émotion. La caméra trouve toujours la bonne distance qui lui permet de révéler, en une image, l’intimité de son sujet, tantôt éloigné, en plan général, tantôt rapproché jusqu’au gros plan.

AMANDA (ISAURE MULTRIER) © NORD-OUEST FILMS

Hers évite le mauvais mélo en élaborant une mise en scène et une direction artistique travaillées, aux repères précis, lieux, déplacements, décrivant les habitudes des personnages qui nous deviennent ainsi familiers (configuration de l’appartement de Sandrine, le Paris-Brest de 18 h, etc.). Cette minutie formelle donne au film un réalisme fort qui permet à chacun de s’identifier. Parfois, portées par la musique aérienne de Anton Sanko, des envolées romanesques, sorte de pauses méditatives, permettent au film de prendre des respirations poétiques (les trajets à vélo dans la ville, la luminosité de Paris…). Le film n’entend pas expliquer au spectateur. Utilisant souvent l’ellipse et préférant la pudeur, il le laisse libre de construire son propre univers et de s’identifier au récit. Il se dégage d’ « Amanda » une légèreté et une profondeur mêlées, le sentiment d’une quiétude intime, le toucher tout en grâce d’un cœur intelligent. Cette délicatesse s’incarne dans la personnalité et le jeu de Vincent Lacoste, très naturel, avec sa gentillesse touchante et son innocence maladroite un peu enfantine.

DAVID (VINCENT LACOSTE) ET Sandrine (Ophélia Kolb) © NORD-OUEST FILMS
Le Paris aujourd’hui et la perte d’une insouciance

Paris représente à lui seul un autre personnage du récit. Hers entend témoigner du Paris d’aujourd’hui, symbolisée par les visages de deux enfants qui s’accompagnent, un grand et un petit, mais aussi par les attentats du 13 novembre 2015… Le film est constitué de divers éléments qui s’agrègent un peu mystérieusement, jusqu’à dessiner une architecture, une topographie mêlée des sentiments et de la ville. Hers filme le 12eme arrondissement, capte ses rues et ses monuments, presque à la manière d’un documentaire. Il y a le Paris d’avant les attentats (le premier tiers du film où les personnages sont dans une sorte d’état de bonheur originel) puis le Paris d’après. Le film évoque alors la fin de l’insouciance, celle maintes fois décrites d’une vie parisienne avec ses terrasses, sa culture, la vision d’une capitale où il se passe toujours quelque chose, où tout semble permis.

Le réalisateur choisit de mettre l’espace vert au cœur de cette description. Il reconstitue, en une scène furtive et allusive, un attentat dans le bois de Vincennes, acmé du récit, événement tragique qui va chambouler la vie de ses protagonistes. En faisant surgir la mort dans ce lieu hautement symbolique de la flânerie et de la douceur, il ne fait que mieux renforcer l’idée de perte d’un état de grâce originel, et capture quelque chose de la fragilité, de la fébrilité et de la violence de notre époque.

DAVID (VINCENT LACOSTE) ET AMANDA (ISAURE MULTRIER) © NORD-OUEST FILMS
Le thème du deuil et de la transition vers l’âge adulte

« Amanda » reconstitue les processus de deuil traversés par les personnages. Il décortique les phases de leur reconstruction à travers un récit dont les mutations émotionnelles sont le principal enjeu. Dans un beau travail d’écriture, le réalisateur saisit avec justesse les subtilités affectives éprouvées, les émotions diverses, parfois contradictoires, qui submergent les protagonistes : le choc traumatique, la sidération et le sentiment d’absurdité qui précèdent la douleur, le vide laissé par l’absence de l’autre. Il montre très bien comment l’événement de la mort vient perturber et dévier le cours normal de l’existence. David et Amanda sont projetés plus tôt que prévu dans une nouvelle vie, une perte de l’innocence, lui dans l’apprentissage de la paternité, la petite fille dans une sortie violente de l’enfance tournée vers l’attente de pouvoir comprendre un jour en adulte. Plus encore, la mort de Sandrine va permettre aux deux protagonistes de créer de nouveaux liens porteurs d’espoir, de voir leur vie densifiée par de nouvelles rencontres à la profondeur inattendue. Un parcours de résilience ouvert à d’autres promesses, résumé dans les derniers mots du film prononcés par David devant un match de tennis à l’issue qui paraissait incertaine : « Il faut attendre jusqu’au bout ».

 

Pierre Vaccaro (contacter l’auteur)

 

Amanda, un film de Mikhaël Hers – en salle à partir du 21 novembre 2018.

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