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« Les innocentes » d’Anne Fontaine, une conversion à la Vie

D’une grande beauté formelle, "Les innocentes" (Anne Fontaine, 2016) évoque la rencontre de religieuses traumatisées par la guerre et d’une sage-femme, de laquelle naîtra une conversion à la Vie. Un regard de femme sur les femmes lorsqu’elles paient le prix fort de la violence des hommes.
Publié le 06 juin 2018
Écrit par Pierre Vaccaro

Les innocentes, réalisation : Anne Fontaine, 2016 © 2015 MANDARIN CINEMA – AEROPLAN FILM – ANNA WLOCH

« Elles iront au ciel tant mieux pour elles. Moi c’est la vie qui m’importe » – Extrait du film

Beauté formelle du récit qui ne se laisse pas emporter dans le pathos

Tout de suite on est frappé par la qualité artistique de ce film à la beauté intense qui le rend poignant de bout en bout. Et en premier lieu par sa photographie noire et blanche qui traduit la froideur de cet épisode malheureusement historique (le récit est parfaitement authentique) et des hivers polonais. Le film joue sur l’opposition entre couleurs froides et couleurs chaudes.  A la morbidité du couvent et de ses règles, s’oppose l’amour que va apporter la sage-femme, qui réinsuffle progressivement de la vie et de la joie à cette communauté profondément blessée. Le traitement de l’image exprime cette opposition mort/vie. Chair souffrante, martyrisée, recherche de pureté morbide et inhumaine, peur de l’enfer, torture psychologique, peur du corps et de la sexualité ( « Nous n’avons pas le droit de montrer nos corps ») : lorsqu’elle filme la souffrance, Anne Fontaine use de blanc terne et d’une palette de couleurs froides. Dès qu’il s’agit d’évoquer la générosité de la sage-femme ou des scènes de cabaret avec son collègue amoureux, la cinéaste redonne alors de la lumière et de la chaleur à l’image.

Anne Fontaine filme en plans rapprochés, suivant de près les corps des acteurs avec peu de plans généraux. La caméra épouse les personnages comme pour mieux traduire leurs tourments intérieurs. L’image scrute les visages. Leur disposition dans les plans parfois les opposent (regards dans des directions différentes/ incommunicabilité), parfois les réunit (harmonie, communion). Ce fin travail d’organisation des plans donne au film un aspect pictural qui, associé au traitement de la couleur et de la photographie, rappelle la peinture.

Ainsi, sans être démonstrative, Anne Fontaine préfère se servir d’une palette de procédés artistiques plutôt que de demander à ses acteurs d’être dans le jeu du pathos. Ici la forme sert complètement le fond et colle à la profondeur des émotions, sans rien avoir à expliquer.

Les soeurs de la communauté (en h.), l’infirmière Mathilde Beaulieu (Lou de Laâge, en b.) et Samuel (Vincent Macaigne) © 2015 MANDARIN CINEMA – AEROPLAN FILM – ANNA WLOCH
Au cœur du récit, le parcours de Mathilde Beaulieu, figure messianique au cinéma

La tentative de viol de Mathilde constitue le point central du film. Il joue le rôle de basculement du récit entre un avant et un après de ce que l’on peut nommer une « conversion ». La sage-femme le vit comme un électrochoc car elle peut percevoir dans sa propre chair ce qu’ont pu vivre les sœurs abusées. Elle commence à partager du dedans leur condition, allant jusqu’à épouser leur vie au quotidien. Une union très forte va naître entre elle et la communauté. Ce monde des femmes en communion est décrit en opposition au monde masculin où les hommes sont violents, intéressés, avides de pouvoir (exception faite de Samuel, l’amoureux de Mathilde). Le personnage de la sage-femme est traité comme une figure messianique ; elle permet la conversion de la communauté. Telle une envoyée de Dieu, alors qu’elle n’est même pas croyante, elle parvient à faire sortir les soeurs de leur religion morbide, où règne le culte du secret et de la souffrance.

Mathilde Beaujeu (Lou de Laâge) et les soeurs de la communauté, Les innocentes, 2016 © 2015 MANDARIN CINEMA – AEROPLAN FILM – ANNA WLOCH
L’opposition entre religion comme peur et foi comme acte de confiance en la Vie

Qu’est-ce que croire ? Telle est finalement la question fondamentale de ce film. Anne Fontaine montre comment la religion peut être vécue comme une culture de la culpabilité et de la névrose. Les règles de la communauté ont tout simplement étouffé la vie et la nature humaine. Par exemple, les sœurs prient-elles pour rendre grâce ou au contraire pour oublier et pour cacher ? Prier pour se soigner, être sauvé, ne pas aller en enfer ? La religion, la rigueur des règles communautaires associée à la personnalité pathologique de la mère supérieure servent ici une culture de la mort et du non-dit qui devient inhumaine voire mortelle (suicide de la jeune sœur). « Je me suis perdue en voulant vous sauver » finit par avouer l’orgueilleuse mère abbesse qui n’a pas hésité à abandonner des bébés dans le froid de l’hiver. De l’autre côté, Mathilde apporte la vie, la joie et la confiance en l’avenir, signes d’une foi authentique. Elle permet aux soeurs d’accepter et d’accueillir la réalité en face. « Derrière tout choix il y a la Croix. » En ce sens, la foi c’est accueillir la réalité telle qu’elle est pour y construire un chemin de bonheur.

Au-delà de son intérêt historique, le film d’Anne Fontaine s’avance aussi pleinement sur le terrain théologique. Grâce à ses qualités cinématographiques, le film permet une représentation à l’écran de la volonté de Dieu : prendre tout le réel, le bien et le mal ensemble, sans les opposer et tomber dans une religion du silence et de la morale, bien au contraire une volonté de l’homme debout, tourné vers la vérité et épousant la Vie jusqu’à la croix.

 

Pierre Vaccaro (contacter l’auteur)

 

 

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