« Qu’est-ce qu’un fantôme ? Un événement tragique condamné à se répéter indéfiniment, un instant de douleur peut-être, quelque chose de mort qui semble encore en vie, un sentiment suspendu dans le temps … ». Telle était la question inaugurale de l’Echine du Diable de Guillermo Del Toro à laquelle A Ghost Story semble aussi faire écho.
L’art cinématographique au service d’une métaphysique : le temps pris comme variable importante
Qu’on se rassure, ici point d’horreur, de cris ou de portes qui claquent : les effets spéciaux résident dans une caméra et une mise en scène ingénieuses. Ce film d’art et d’essai a été réalisé grâce à l’argent qu’a généré le réalisateur avec son dernier blockbuster Peter et Eliott le Dragon.
David Lowery a pu ainsi bénéficier d’une totale liberté pour faire un film non conformiste qui refuse le spectaculaire et accède à une grande profondeur avec une simplicité désarmante. Il choisit le format 4/3 avec des bords arrondis qui rappelle les films super 8 de notre enfance. Sa manière de filmer cherche à rendre palpable une géométrie de l’espace ainsi qu’une dilation ou au contraire une accélération du temps. Fixité de la caméra, plans séquences, panoramiques ou travelings latéraux, la composition des images, hyper étudiée et une mise en scène fluide se déploient avec puissance et lenteur, permettant au spectateur d’avoir accès à une réflexion métaphysique. A Ghost Story offre une expérience saisissante d’exploration du temps, comme on en a rarement vu au cinéma, au-delà de notre échelle humaine de durée et qui va à l’encontre de la vitesse de notre société actuelle.
Le film de fantôme revisité
Dans cette logique de liberté de ton, le réalisateur place au centre de son film la figure du fantôme telle que héritée de notre enfance : un être recouvert d’un drap blanc percé de trous pour les yeux. Une telle représentation pourrait prêter à sourire. Au contraire, cette figure fantomatique remplit le film d’une mélancolie poétique, avec parfois de discrètes pointes d’humour. Le drap de la morgue devient celui du fantôme. Drap qui peut renvoyer au vêtement liturgique ou au linceul et qui donne au spectre une apparence sacrée.
Lowery montre que le temps n’épargne personne, pas même les défunts.
Le film pose la question du regard des morts sur les vivants. Les défunts peuvent-ils nous regarder vivre ? Nous surveillent-ils ? Peuvent-ils lire dans notre conscience et comprendre notre présent ? Des questions que nous nous sommes tous posés un jour ou l’autre en expérimentant la disparition de l’autre. A Ghost Story permet ainsi au spectateur de s’interroger sur la mort, le deuil et l’absence de l’autre. Le film rappelle que, privé d’autrui, je perds un peu de ce qui fait mon humanité. C’est ce que souligne une scène tournée en plan séquence où, de retour chez elle pour la première fois après la mort de son mari, Rooney Mara se jette sur une tarte de manière sauvage et la dévore presque comme un animal. Sentir les draps où le corps de l’amoureux s’est allongé, ranger les habits d’un défunt, repeindre la maison pour tourner la page, ces gestes filmés avec justesse traduisent l’expérience du deuil du côté des vivants. Mais le film va plus loin en montrant également le deuil et la perte du point de vue du mort, devenu fantôme, revenant dans la maison où il a vécu et, plus loin encore, hantant l’espace temps.
Une œuvre poignante sur l’éternité de l’amour
Le fantôme refuse la perte de sa femme et le temps qui l’éloigne d’elle. Attendant son retour, errant à travers les âges, il hante le monde. Lowery montre que le temps n’épargne personne, pas même les défunts. « Plus tôt nous l’acceptons, plus légère se fait notre enveloppe charnelle. Au bout d’un moment, il faut lâcher prise, nous n’avons pas le choix. C’est un des aspects principaux de ce film », explique t-il. Faisant émerger puis rejetant la question de Dieu (cf. le monologue athée de Will Oldham), le film pose la question de la transmission et de l’éternité. Qu’est-ce qui fait que quelqu’un continue à exister après sa mort ? Que restera t-il de nos existences ? L’art ? La culture ? Bien que rejetant le postulat de Dieu, Lowery apporte une réponse de croyant en offrant une alternative d’espoir et de sens. Tout ce qui aura été lié par amour ici bas est appelé à ne jamais mourir. Lors de la scène finale, ayant enfin accès à la promesse d’un amour éternel, le fantôme peut quitter son enveloppe et partir en paix.
« Ce film est une tentative littérale de faire la paix avec le temps qui passe. Que cela me plaise ou non, il passera et tout mon travail finira par devenir insignifiant. Quelque part nous sommes tous des fantômes finalement. Certaines de nos actions et de nos pensées nous permettent de supporter la méconnaissance de notre âme », poursuit le réalisateur. Cette question de la finitude semble le hanter. Il n’est pas le seul. En nous partageant une histoire de fantôme, David Lowery a réalisé un film sublime qui nous hante, nous aussi, bien longtemps après la projection…
A Ghost Story a été Prix de la critique, prix de la révélation et prix du jury 2017 du Festival de Deauville.
Prochainement en DVD.
Pierre Vaccaro, auteur du blog Sacré Cinéma