DHEEPAN de Jacques Audiard, Palme d’Or en toc

Audiard choisit avec Dheepan d’évoquer les thèmes puissants de l’immigration et des liens adoptifs. Des sujets forts ne suffisent pourtant pas à faire un bon film. Fiction abstraite dénuée d’émotion et d’humanisme, Dheepan en reste au niveau de ses intentions et déçoit par son absence de qualité artistique. Une palme d’or en toc au parfum d’imposture artistique…
Publié le 22 septembre 2015
Écrit par Pierre Vaccaro

Fuyant la guerre civile au Sri Lanka, un ancien soldat, une jeune femme et une petite fille se font passer pour une famille. Réfugiés en France dans une cité sensible, se connaissant à peine, ils tentent de se construire un foyer.

Lors de la remise de la palme, J. Audiard ne s’est pas d’abord adressé à l’équipe du film ou bien à sa famille mais à Michael Haneke qu’il a remercié avec ironie de « ne pas avoir présenté de film en compétition cette année.». Autant dire que cette récompense, le cinéaste l’attendait… Il déclare « ne pas avoir d’intention politique » ; ce qui l’intéresse, dit-il lors de la conférence de presse du film à Cannes, est de « montrer le regard des autres sur les migrants et les étrangers ». Pour cela la production s’est donnée les moyens. Le projet de Dheepan, film français tourné presque entièrement en langue tamoule, remonte à 2010. Pour la troisième fois après Un Prophète et de Rouille et d’os, le réalisateur a confié à Thomas Bidegain l’écriture de ce film où des acteurs pour la plupart inconnus se retrouvent devant la caméra dans des rôles principaux. Palme d’or inattendue du dernier festival de Cannes, le film semble faire un bon démarrage au box office.

Et c’est bien là le problème. Défendu par la critique bobo parisienne, auréolé de la récompense suprême et ainsi boosté par le marché, Dheepan nourrit de fortes attentes en abordant un sujet, l’immigration, que l’actualité rappelle cruellement à nos esprits et même à nos consciences. La question profonde et plus pertinente – voire plus inconsciente – qui traverse le film est celle du déracinement : comment  reconstruire des liens adoptifs quand la vie pousse à l’exil ? C’est sur ce point précis que l’on pouvait attendre un film marquant.

Hélas, on ressort de Dheepan agacé, avec le net sentiment d’avoir été trompé. Le film ne parvient pas à se hisser à la hauteur de son sujet, restant à un niveau d’abstraction tel que l’on ne peut s’identifier émotionnellement ni aux personnages ni à l’histoire. Au début, se présentant de manière documentaire (on se croirait presque dans un grand reportage de Canal +), le film devient ensuite un film d’amour pour se transformer brusquement en thriller urbain, dans un bain de sang final très violent où s’affronte des gangs. L’œuvre ne trouve pas de rythme. Elle se déploie de manière mécanique et cérébrale : le film perd petit à petit son souffle puis toute incarnation.

Avec un sujet aussi grave, l’immigration et la vie dans les banlieues parisiennes à problèmes, il était quasi impossible de passer à côté de l’épaisseur humaine du récit. Or, le film effleure à peine cette dimension, allant jusqu’à provoquer une impression d’incohérence chez le spectateur. Et que dire de la perception de cette banlieue qui est ici donnée? Répugnante, sale, peuplée de gangsters, vivant en totale autarcie (l’état de droit, la police n’existant pas), elle se présente comme un véritable nid de malfaisances. Audiard donne une vision repoussante de la France. (L’épilogue en « happy-end » se déroule d’ailleurs en Angleterre, présenté comme vision du bonheur et eldorado rêvé depuis le départ). Dépeindre de la sorte une cité qui ne serait traversée par aucune question politique, religieuse, etc., c’est appréhender le cinéma comme une pure mécanique de récit, détachée de toute réalité du monde, de toute vision de l’homme.

Fasciné par ce qu’il filme, amoureux de ses concepts, le film d’Audiard peine à trouver de la profondeur : le réalisateur lui-même paraît un peu perdu et en recherche de son moi, à travers une œuvre qui ne trouve pas de chemin ni de sens. Non décidément, il a beau chercher l’événement, Jacques Audiard n’est pas encore le prophète attendu du cinéma français.

 

Pierre Vaccaro

Auteur du Webzine Sacré Cinéma

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