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Interview exclusive d’Andy Guérif pour « Maestà, la Passion du Christ » 2/2

A l'occasion de la sortie en salle du film d'Andy Guérif, "Maestà, la Passion du Christ" le 18 novembre 2015, Pierre Vaccaro a eu l'opportunité de rencontrer le réalisateur du film. Andy Guérif adapte la Maestà du peintre Duccio en tableau vivant : le récit de la passion du Christ en 26 panneaux successifs, de l’entrée à Jérusalem au chemin d’Emmaüs. Un interview exclusive à découvrir dès maintenant !
Publié le 07 octobre 2015
Écrit par Pierre Vaccaro

Découvrez la 1ère partie de l’interview en cliquant sur ce lien !

Polyptyque complet © Capricci

– Pourquoi avez-vous fait le choix de mettre en parallèle la construction du tombeau par deux ouvriers en même temps que le déroulement chronologique de la Passion ?

C’est assez simple. Dans le dispositif nous trouvions qu’il y avait un caractère un peu laborieux ou systématique de faire passer les personnages d’une case à l’autre. Nous voulions donc proposer aussi une action qui se déroule sur un temps continu qui serait l’ensemble du film. En même temps, cela désamorce la dramaturgie puisque l’on sait bien qu’il va aller au tombeau. Là je reviens à Perec qui reprend la même idée dans la Vie mode d’emploi en s’insérant comme personnage dans l’immeuble. J’ai voulu aussi faire un parallèle entre celui qui construit le tombeau et celui qui construit le film. Cela souligne aussi le caractère un peu laborieux de la construction du film.

– Y avait-il aussi un sens théologique à ce choix ?

Non, je n’ai pas pensé quelque chose par rapport à la foi. Ce choix est plutôt lié au récit. Chaque scène converge vers ce point de la mise au tombeau. J’ai plus cherché une scène qui justifie d’être menée en continu parmi les 26 plans. Je ne pouvais pas, par exemple, choisir Emmaüs car l’action n’est pas suffisamment étendue.

Le reniement de saint Pierre © Capricci

– Maestà exerce le regard du spectateur sur grand écran. Il fait redécouvrir de manière nouvelle le tableau, nous apprend à aiguiser mais aussi à intérioriser le regard…

Mon regard est plutôt sur la peinture. Je veux avant tout donner à voir des images fortes, réussies et qui ont du sens. Je suis très intéressé par la construction de l’image chez les primitifs. Duccio cherche avant tout à composer son image et utilise tel ou tel élément du tableau en fonction de ce qu’il veut montrer. Dans le film nous avons nous aussi du déplacer tel ou tel objet en fonction des besoins du moment afin de retrouver cet état d’esprit de la construction de l’image d’origine. Cela se joue à des détails. Par exemple chez les primitifs, l’auréole est plutôt collée derrière la tête. Dans la scène du Mont des Oliviers, le Christ se présente de ¾ face gauche devant les trois apôtres en leur demandant de ne pas s’assoupir. Duccio condense le récit et replace ensuite le Christ à droite en train de prier, cette fois montré en ¾ face droite, cela change donc la place de l’auréole. Je me suis aperçu que je devais placer mes auréoles à droite ou à gauche selon l’orientation de la scène car au départ les miennes étaient fixes !

– Pensez-vous que le cinéma, qui mêle tous les arts, a un rôle à jouer dans la découverte des œuvres d’art, un rôle à jouer pour faire accéder à la culture ?

L’image fixe m’intéresse plus que l’image animée. Mais n’étant pas peintre je vois l’intérêt du cinéma ou du support imprimé pour donner à voir les images.

L’entrée à Jérusalem © Capricci

– Il y a un côté ludique, une sorte de légèreté et de l’humour dans le film, presque un esprit  potache qui peut rappeler la BD…

Je crois qu’il y a quelque chose de drôle dans l’image des primitifs. Et cela à partir du moment où on l’imagine et que l’on cherche à l’éprouver. Par exemple, on peut imaginer que dans la Cène rien ne tient sur la table donc tous les plats tomberaient, les apôtres n’auraient pas assez de place pour s’asseoir. Quand on voit l’entrée d’Emmaüs du tableau, on voit bien qu’il est très laborieux d’y rentrer et qu’il n’y a pas assez de place. On peut bien sûr comprendre qu’il y a quelque chose de très symbolique dans cette fausse perspective qui n’est pas de la maladresse ou de l’ignorance de la part du peintre. Parfois Duccio fait intuitivement des perspectives qui sont justes. Dans Emmaüs, la porte s’ouvre vers la droite et se referme vers la gauche. Il y a quelque chose d’assez drôle d’imaginer que physiquement les personnages ne peuvent pas y entrer ! Au niveau des dialogues certains personnages disent des choses qui n’ont aucun rapport avec le récit. Cela désamorce un peu la tension du sujet et montre qu’à l’intérieur de cette histoire singulière, il y a des histoires personnelles multiples et lointaines. L’humour vient ajouter de la profondeur au récit par une mise à distance.

– De quelle manière vos convictions religieuses ont-elles joué un rôle dans la création de votre film ?

Je ne suis pas particulièrement croyant mais je suis de culture chrétienne. Je dis cela car il y a une réelle difficulté avec ce point ; je m’explique. Ceux qui ne croient pas, en même temps, s’opposent à leur propre culture. Ils ne rentreront pas dans une église alors qu’elle fait partie du patrimoine culturel, de notre paysage et propose des images appartenant à notre culture. La foi et la religion m’intéressent d’un point de vue culturel. Je souhaite que mes enfants aient cette culture. Comment s’en passer quand on est s’intéresse aux arts plastiques ? Je me souviens d’entretiens donnés par Daniel Arasse à France Culture où il expliquait que des étudiants en première année d’Histoire de l’Art pouvaient regarder une Annonciation sans rien comprendre, ce qui pose problème au bout d’un moment…

La déposition de croix © Capricci

– Pourriez-vous donner une bonne raison au grand public d’aller voir ce film ?

Il ya toujours une bonne raison d’aller voir des choses que l’on ne connaît pas mais sans accompagnement la démarche peut être difficile. Y aller avec un ami qui nous y emmène est une bonne démarche par exemple.

– Quels sont vos projets maintenant ?

J’ai plus des projets audio-visuels que vraiment cinéma. Je travaille autour d’une Descente de Croix de Fiorentino. Je n’ai aucun sens du récit, je ne sais pas raconter une histoire ; je sais parler des images et m’approprier l’image d’un autre. Dans cette Descente de Croix il y a une double référence car Pasolini dans la Ricotta en fait un tableau également vivant.

Propos recueillis par Pierre Vaccaro
Auteur du webzine www.sacrecinema.com

A savoir…

Maestà, la Passion du Christ sort le 18 novembre en salle. Le film sera aussi présenté au musée le Quai d’Angers ainsi que trois décors du film du 19 mars au 2 avril prochains.

Découvrez  la critique du film sur « Sacré Cinéma » en cliquant sur ce lien !

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