Le cinéma est un miroir. Celui de notre humanité dans tous ses états. Celui de notre société, avec ses évolutions, ses contradictions, ses aspirations, ses fantasmes. L’importance du miroir tient à ce qu’il renvoit. Et le cinéma a ceci de particulier de proposer un reflet à la fois extrêmement collectif et profondément intime. Le cinéma est dans la vie et la vie est dans le cinéma. Jamais aujourd’hui un média n’a conservé un tel pouvoir de captation et de transformation du monde. Et si ce sont les 15-35 ans qui en sont les plus friands (40 % du public en 2006; Sources CNC) ce n’est pas un hasard. Le cinéma sait s’adapter aux modes et aux courants. Rassemblant tous les arts en un seul, il permet une extrême variété d’approches et de motifs, un foisonnement de représentations selon les lieux et les époques.
La culture à la portée de tous
Expression artistique dont les Français parlent le plus, le cinéma représente un art populaire majeur. Selon les statistiques du CNC, les entrées dans les salles sont estimées à 186,8 millions pour l’année 2008, ce qui constitue une progression de 5,0 % par rapport aux 12 mois précédents. Comme oeuvre collective, le septième art doit répondre à des règles économiques. Il peut être pur produit de divertissement autant qu’œuvre artistique. Si, par exemple, on peut penser que La Reine Margot entretient une fibre artistique chez le spectateur, on ne peut pas en dire autant des Bronzés, clairement identifié comme un divertissement.
Une certaine catégorie de films joue donc un rôle culturel. Lorsqu’un cinéaste fait une adaptation littéraire ou filme un fait historique, il pose clairement un acte intellectuel qui peut susciter un débat dans le milieu culturel. Cette notion de cinéma d’auteur garde une place prépondérante en France. Martin Scorsese, Francis Ford Coppola ont chez nous une véritable écoute qui va au-delà de leur film, le public et les critiques considérant une œuvre globale à l’inverse des Etats-Unis où le film et les comédiens sont souvent plus importants que le metteur en scène. Ainsi le public français a plébiscité La liste de Schindler ou Charlie et la chocolaterie faisant un triomphe à leurs réalisateurs, Steven Spielberg et Tim Burton. Inversement, des films avec des acteurs mondialement connus, comme Mr et Mrs Smith réunissant le couple Brad Pitt-Angélina Jolie, ont fait des petits scores en salles. Ce cinéma d’auteur apprend, fait découvrir et développe les sensibilités. Il peut être l’adaptation d’une œuvre existante, donnant accès à un patrimoine culturel. Bien des scolaires ont par exemple découvert le roman de Georges Orwell 1984 à travers le film de Michael Radford. Mine de références culturelles, les films offrent un moyen attractif et pédagogique de faire accéder les jeunes à la lecture.
Au-delà de sa dimension sociale, le cinéma ouvre plus intimement à une dimension spirituelle que l’on aborde beaucoup moins spontanément mais qui est pourtant extrêmement présente.
Rôle culturel du cinéma d’autant plus intéressant qu’il est démocratique car géographiquement multiple. Tout pays, tout un continent, parfois toute la planète peut découvrir en même temps un film. Da Vinci Code est sorti dans le monde entier mi-mai 2006, Spiderman 3 est sorti le même jour dans tous les pays sur 10 000 copies en mai 2007 ! Le cinéma part à la rencontre de son public jusque dans les villages les plus reculés. C’est la culture à la portée de tous, cinq fois par jour, toute l’année, à un prix raisonnable, moins cher qu’un billet de match de foot.
Les films, véritables caisses de résonance des enjeux politiques
La dimension économique et sociale du septième art en fait un sujet politique délicat qui demande l’attention des gouvernements. Face à l’explosion du réseau câblé et aux phénomènes de piraterie, les pays s’organisent pour défendre le cinéma, le légiférer et l’administrer. Mais le cinéma par lui-même joue aussi un rôle politique en tant qu’expression artistique dans laquelle la France a été pionnière. Les frères Lumière, Léon Gaumont, Charles Pathé, la cinémathèque, le Festival de Cannes : tous ces grands symboles sont français. Tous les intervenants veulent à juste titre conserver cette spécificité. Enjeux également importants en terme d’image, les films deviennent un des symboles forts du dynamisme culturel d’un pays comme l’atteste le cas intéressant du Japon. En avril 2005, le premier ministre a décidé d’utiliser officiellement le cinéma de son pays comme outil de communication au service de l’image du Japon dans le monde.
Par les sujets qu’il traite, le cinéma fait caisse de résonance. Les pamphlets de Michaël Moore ont ouvert les yeux à des millions de personnes sur les dysfonctionnements de l’Amérique d’aujourd’hui et ont failli mettre en péril la réélection de Georges Bush. Et quel meilleur exemple en France que le film Indigènes de Rachid Bouchareb qui a permis d’exhumer un vieux dossier de quarante ans, le gouvernement ayant annoncé le jour de la sortie du film la revalorisation des pensions des anciens combattants des ex-colonies ? Le septième art prend donc à juste titre sa place dans la société moderne comme média de revendication, porteur d’une véritable responsabilité citoyenne.
Une société qui fait corps dans les salles
Outre son rôle culturel et politique, le cinéma remplit une fonction sociale nette. Au niveau économique «l’entreprise» fait travailler des centaines de milliers de personnes. Los Angeles et Bombay vivent ainsi presque entièrement de l’économie du septième art. Sur un autre plan, les films captent l’histoire d’un pays et d’une société. Les préoccupations des réalisateurs symbolisent l’esprit d’une époque. En plongeant dans le passé des œuvres d’un pays, on découvre son histoire sociale. Le cinéma, témoin de la société dont il est issu, constitue en ce sens un outil de recherche historique précieux. Le cinéma est enfin un excellent révélateur social lorsque l’on observe les habitudes de sa consommation. Celles-ci diffèrent d’une catégorie socioprofessionnelle à l’autre, selon l’âge, le sexe ou la région. Le spectateur du multiplexe de province a peu de points communs avec celui du cinéma d’art et essai du Quartier Latin ! Mais les deux font toujours un véritable acte social.
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L’expérience de la salle mélange les gens et les genres, crée un groupe qui, sans se connaître, va communiquer pendant quelques heures. Une comédie dans une salle vide par exemple est une hérésie. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la réaction à un film n’est pas la même en fonction du nombre de fauteuils occupés. Combien de fois avons-nous entendu «Je suis allé voir le film F, la salle était remplie !». C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le home cinéma ne supplante pas le cinéma en salles. Martin Scorsese va jusqu’à comparer le rassemblement dans la salle à celui des rites qui réunissent des croyants dans une église. Une communauté se rassemble et partage le même film, s’inscrivant dans la quête d’un « inconscient collectif » comme dans une communion.
Un nouveau terrain d’expression du sacré
Scorsese l’exprime avec brio : au-delà de sa dimension sociale, le cinéma ouvre plus intimement à une dimension spirituelle que l’on aborde beaucoup moins spontanément mais qui est pourtant extrêmement présente. Dans une interview accordée à la revue de la Cité de la musique (n°55 sept 2007), le philosophe Marcel Gauchet parle de l’art comme d’un « substitut du sacré ». Le cinéma peut prendre cette fonction et devenir en effet une communication de l’incarnation de ce «sacré» qui a disparu de notre monde moderne. Aussi ce n’est pas une coïncidence si aujourd’hui, les chrétiens sont de plus en plus présents dans les festivals du monde entier, à commencer par le Festival de Cannes où il existe un jury dit « œcuménique » depuis 1974. Plus que jamais le cinéma se pose comme reflet de la vie mais aussi donne accès à un au-delà de nos existences ; il devient chemin vers l’Autre, moteur de pensée et provocateur de rencontre.
Dans un monde rempli d’images de toutes sortes, le cinéphile se doit alors de savoir lire les images, en décrypter la charge de sens et ses implications sur la conscience humaine. Son regard s’intéresse tout autant à la valeur artistique d’un film qu’à sa portée philosophique et théologique. Un film renvoie un point de vue sur l’humanité lorsqu’il y est question du sens de l’existence, de l’amour, de la mort, etc. Le spectateur, avec son histoire, effectue une relecture de la vie, à la lumière de sa conscience intérieure qui est sa capacité à rentrer en lui-même pour ré-fléchir (laisser l’image se refléter en soi-même). Peu importe que la nature du film soit grave ou légère, intellectuelle ou non. Un film grand public, apparemment produit pour des raisons commerciales discutables, peut donner lieu à une réflexion très stimulante alors que tel autre film dit d’auteur ne sera pas de nature à favoriser une démarche intellectuelle et spirituelle.
Ce regard ne pose pas le cinéma comme une fin en soi mais il l’inscrit dans une relation à l’autre. Or, considérer le septième art comme seul objet d’étude ne permet pas la naissance d’une relation. Voilà pourquoi, dans cette perspective, le cinéma doit donner la parole au spectateur. Le septième art est vivant pour autant qu’il permet de libérer la parole. Plus que jamais nous avons besoin de parler de ce que nous voyons. L’intuition des débats de ciné-clubs des années 70 n’a rien de dépassée. Parler des films et des histoires permet à chacun de se resituer dans sa vie, dans sa vision du monde et pourquoi pas de changer son propre regard. Dis-moi comment tu regardes et je te dirai qui tu es !
Pierre Vaccaro
Auteur du webzine www.sacrecinema.com
A savoir…
Cet article a été publié dans la revue Tabga Regards sur le monde « Le cinéma, reflet de notre humanité » Tabga, n° 19, 2008, pp. 8 à 11.