Voir toutes les photos

« Tant que tu respires, tu te bats »

Auréolé de ses trois oscars, "The Revenant" pourrait bien marquer un tournant dans le cinéma d’Alejandro G. Iňàrritu. Ce mexicain de 52 ans issu du monde des médias, assume sans ambiguïté un film dit commercial à grand spectacle et cette fois sans cacher ses ambitions de grandeur hollywoodienne.
Publié le 07 mars 2016
Écrit par Pierre Vaccaro

Produit par la Twenty Century Fox, The Revenant, en effet, déploie l’artillerie lourde : paysages naturels filmés en panorama, mouvements de caméra grand angle et circulaires, contreplongées majestueuses, voix off, présence d’une super star adoubée aux oscars, le budget du film s’élève à 135 000 000 $. Ces moyens importants ont le mérite de laisser au directeur de la photo, Emmanuel Lubezki, la liberté d’effectuer un travail extraordinaire sur la lumière qui rappelle celui des films de S. Kubrick ou de T. Malick. Tourné en Amérique du Nord dans des conditions naturelles et hivernales, le film n’avait aucun autre moyen que de capter la lumière naturelle puisqu’il était  impossible de manier des projeteurs dans de telles conditions de tournage. Les scènes de nuit où les personnages font du feu ont été tournées au crépuscule avec le seul éclairage du feu et les scènes dans le fort éclairées à la bougie. Cette qualité de la photo donne au film un aspect brut, pur et sensoriel qui colle parfaitement à la nature sauvage du récit.

The Revenant permet à Iňàrritu de toucher un grand public et d’être reconnu par la critique. Le réalisateur n’en reste pas moins fidèle à ses thèmes favoris (le péché et la rédemption, le choc des cultures) et conserve l’originalité d’un style, liée à sa culture d’origine. Il faut cependant le reconnaître : la fascination qu’exerce chez lui cette culture du «grand spectacle» peut poser question. The Revenant n’échappe pas, surtout en son milieu, à des lourdeurs et à des longueurs. Le cinéaste se complait parfois dans des mouvements de caméra prétentieux et dans de faux plans séquences truqués par le numérique. Plus troublant encore, les scènes d’attaques prennent des allures de chorégraphies fascinantes et de toute beauté où une violence crue et sauvage – certes nécessaire à la dimension épique de l’histoire- est montrée avec trop d’insistance.
Si l’on ferme les yeux sur ces défauts, The Revenant reste un grand film car il a le mérite d’évoquer des thèmes à la fois historique, économique, anthropologique et spirituel propices à la réflexion, qui donnent une vision du monde.

Evoquant la fondation des Etats-Unis au début du XIXe siècle dans une Amérique vierge et sauvage, The Revenant se range parmi les westerns parce qu’il y est question de conquête de territoires, de guerre de clans et de vengeance. Néanmoins, comme l’évoque son titre, le film s’intéresse surtout au récit de survie de son héros, Hugh Class, joué par L. Di Caprio. Le trappeur se bat pour survivre dans un monde hostile ; la nature, les animaux, les Indiens et même ceux de son camp, l’ennemi est partout, la lutte ne connaît aucun répit. Dès les premiers plans puis à plusieurs reprises, une phrase revient et semble battre la mesure : «Tant que tu respires, tu te bats ». Iňàrritu parle de son film comme d’une « métaphore de la vie». Une clef de lecture qui rejoint ainsi la nôtre lorsque nous sommes, de manière bien réelle, confrontés à toutes sortes de combats contre les difficultés, le Mal, la guerre, la maladie, la souffrance…

En lien avec ce fil rouge narratif, le réalisateur présente son héros à travers la figure du mort-vivant. Non pas à la manière d’un film d’horreur mais dans le sens où H. Class fait plusieurs fois l’expérience physique et symbolique du passage par la mort et la résurrection (une expérience pascale dirait-on en langage chrétien). Il y a d’abord cette lutte contre un ours énorme qui le laisse pour mort, lors d’une scène vraiment spectaculaire d’un réalisme tétanisant ; puis son enterrement dans la tombe creusée par Fitzgerald et sa longue chute dans la cascade lorsqu’il échappe aux Indiens. Enfin dernier passage, lors d’un retour à l’état animal, où il ôte les viscères de son cheval mort, quitte ses vêtements et se niche à l’intérieur du corps évidé de la bête.

Hugh Class, dans sa déréliction, finit par ressembler à un homme préhistorique. Il se jette sur de la viande crue, se cache dans les grottes, tire la langue pour s’abreuver des flocons de neige qui tombe du ciel. Ce retour à l’animalité représente l’aspect le plus intéressant du film. Il symbolise et fait accéder à un état préhistorique de l’Histoire. Celle des Etats-Unis d’abord qui s’est fondée sur la violence et la conquête, l’appât du gain, la puissance économique, l’exploitation des ressources sans limites, le non respect des lois. Et, plus généralement, celle du genre humain, avant les progrès de la raison et de la science. The Revenant décrit un état de nature où sont déjà semées les graines de la violence et de l’individualisme. Observons la société d’aujourd’hui avec ses peurs de l’autre, ses rejets de la différence et ses préjugés : les graines sont toujours là malgré un bond en avant !


Justes ou malfaiteurs, tous seront soumis à la même loi. Les personnages de The Revenant évoluent dans un monde sans merci où seul « le créateur peut faire vengeance » pour reprendre une parole du film.

Un état originel qui rappelle l’« Œil pour œil, dent pour dent » de l’Ancien Testament dont le pardon, la rédemption et le salut sont totalement exclus.

 

 


Pierre Vaccaro, auteur du webzine www.sacrecinema.com

 
Photos © 20th Century Fox
 
 

Contenus associés
Commentaires
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *