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Visa pour l’Image : des images responsables

Visa pour l’Image est le Festival international de photojournalisme qui se tient chaque année dans la ville de Perpignan, prenant ainsi, dans le calendrier, la suite des Rencontres d’Arles dont nous avons parlé l’été dernier. Créé en 1989, le Festival est dirigé par son co-fondateur, Jean-François Leroy, photographe et journaliste.
Publié le 31 janvier 2018
Écrit par Françoise Paviot Co-directrice de la galerie Françoise Paviot

Si la confiance dans les médias et l’utilisation des images qui en est faite subissent des critiques régulières, il n’en reste pas moins que chaque jour des photographes professionnels partent et s’engagent, souvent au péril de leur vie, pour témoigner d’une actualité qui leur semble essentielle et qu’ils veulent partager. « Montrer l’information du monde, parce que nous y croyons toujours. Plus que jamais. » écrit Jean-François Leroy.  La liste est longue de ceux qui ont perdu la vie à l’occasion de reportages dans les conflits armés.

Robert Capa – Mort d’un soldat républicain – 1936 – © Magnum photos

Le plus emblématique est bien sûr Robert Capa (ci-dessus) qui après avoir couvert le débarquement en Normandie a trouvé la mort en Indochine en sautant sur une mine anti-personnel. Récemment une exposition a été consacrée à Gilles Caron, reporter de guerre disparu au Cambodge en 1970 (1) (ci-dessous). D’autres n’ont pas connu la notoriété, leur nom, une fois cité a été vite oublié. Ils sont devenus à leur façon les martyrs anonymes de causes dans lesquelles ils avaient placé leurs convictions et leur énergie.

Gilles Caron, Guerre des six jours – Prisonniers palestiniens, Israël – 1967 ©Fondation Gilles Caron courtesy School Gallery / Olivier Castaing

Dès le début du XXème siècle,  l’apparition de l’emploi de la photographie dans la presse donne naissance à un nouveau métier, celui de photoreporter. Il s’agit alors de relater les événements, de les représenter avec une succession d’images et non plus uniquement avec des  textes ou des dessins. Paul Nadar en son temps avait réalisé, avec son père Félix,  ce que nous pourrions appeler le premier « Photo reportage », avec l’interview, en 1886, du savant Chevreul à l’occasion de la célébration de ses 100 ans.

Félix et Paul Nadar- Première interview photographique à l’occasion du centenaire du chimiste Eugène Chevreul – 5 septembre 1886

Dans les années 20, le « marché de l’image » se met en place et se structure. Si certains photographes sont salariés de grands magazines, d’autres commencent à confier la gestion et la diffusion de leurs archives à des intermédiaires ; c’est ainsi que naissent les premières agences de presse. Pour assurer une meilleure circulation des photographies dont elle a la charge, l’agence Keystone, par exemple, en 1927 met en place un réseau mondial d’échanges de photographies. Quelque vingt ans plus tard, en 1947, plusieurs photographes, dont Henri Cartier-Bresson, décident de se regrouper afin d’assurer leur indépendance morale et matérielle face au marché et de faire respecter leurs droits  sur leurs œuvres. C’est la création de la fameuse agence Magnum.

Comme l’explique Michel Guerrin dans «  Profession reporter » (2), la guerre du Vietnam fait naître des vocations. « Le nombre des journalistes a doublé aux USA dans les années 70, passant de dix mille à vingt mille. Le phénomène est identique en Europe ». Mais face à cette multiplication, le contrôle des images, la concurrence de l’image animée avec, à l’époque, la télévision, les difficultés de la presse bouleversent les paysages de la photographie. Le constat est sévère : « Le photojournalisme était une aventure. Il l’est toujours, mais plus seulement. Il n’est pas encore une industrie, mais il en prend le chemin. Le photographe était roi en 1968. Aujourd’hui, il n’est qu’un maillon de la chaîne, plus ou moins respecté ». Le marché, bouleversé,  est ainsi  passé d’une logique de production d’images d’actualité vers une diffusion incessante d’images d’illustration. L’apparition des techniques numériques n’a fait que renforcer cette multiplication d’images qui se comptent maintenant en millions. D’un autre côté, en quête d’une revalorisation culturelle, il arrive que le photojournalisme se laisse prendre au piège de l’art. On peut alors s’interroger sur la nature de certaines images qui se veulent des témoignages engagés mais qui souvent se traduisent par des photographies trop séduisantes,  tirées de façon impeccable et en grand format. L’œil finit par effleurer le réel, par lisser ce qui devrait déranger ou alarmer, pour se laisser tenter par une belle image qui tempère l’émotion. « L’état du monde est donné à voir comme un divertissement », (3) remarque qui donne la mesure de l’actualité des réflexions du philosophe Pascal sur la notion de divertissement.

Mais, quels que soient les risques de dérives et les tentations, passons sous silence les images de propagande, Visa pour l’Image, depuis maintenant trente années, organise des événements : des expositions, des projections, des rencontres, des lectures de portfolio qui montrent l’actualité du photojournalisme et préserve  la mémoire et les archives de ceux qui les ont faites.

Dans le programme de l’année passée, il est difficile de faire un choix, tant tout semble essentiel pour notre conscience. Voici cependant quelques images de reportages présentés en septembre dernier qu’il serait nécessaire de replacer dans leur contexte en allant sur le site de Visa pour l’Image. (4) 

« Les migrants qui traversent le Mexique sont exposés aux abus des gangs, des passeurs, du crime organisé et même des autorités tout au long de leur dangereux périple jusqu’à la frontière américaine. »

Guillermo Arias, Escale sur un terrain de sport © Guillermo Arias / AFP

« Escale sur un terrain de basket-ball pour une caravane de migrants du Honduras en direction des États-Unis. Une semaine auparavant, le Mexique a annoncé que les migrants d’Amérique centrale se trouvant dans les deux États du sud du pays auraient accès aux soins médicaux, à la scolarisation pour leurs enfants et au travail temporaire. San Pedro Tapanatepec, État d’Oaxaca, sud du Mexique, 28 octobre 2018. »

« Ce deuxième voyage dans l’univers carcéral a pour objectif d’étudier les conditions de vie et le quotidien des prisonniers des centres de détention italiens, et de comprendre leurs difficultés, leurs besoins et leurs émotions. Les prisons sont un miroir de la société. »

Valerio Bispuri, Des détenus font de la gymnastique © Valerio Bispuri

« Des détenus font de la gymnastique pendant la promenade, à la prison de Regina Coeli. L’image évoque Jésus sur la croix avec les deux gardes à ses pieds. Rome, Italie, 2016. »

« J’ai passé près d’un an à photographier l’opération militaire visant à reprendre la deuxième plus grande ville d’Irak, le plus souvent aux côtés des forces spéciales irakiennes. J’ai bien sûr photographié les affrontements, des combats urbains qui comptent parmi les plus violents depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais j’ai toujours pensé que ma véritable mission était de témoigner pour ces personnes dont la vie n’était plus que désarroi et tragédie ».

Ivor Prickett, Le pont endommagé © Ivor Prickett / The New York Times

« Certains ont fui le quartier d’Al Sukar, récemment libéré, tandis que d’autres y revenaient en traversant un pont endommagé qui relie cette zone au reste de Mossoul-Est. Irak, janvier 2017. »

« Ligne de séparation entre les sables du Sahara et les forêts tropicales d’Afrique, le Sahel est un passage entre populations arabes et noires, musulmans et chrétiens, pasteurs nomades et paysans sédentaires. C’est là que vivent 125 millions d’habitants parmi les plus démunis et vulnérables de la planète, et d’ici 15 ans, la population aura augmenté de 60 %… »

Pascal Maître, Niger – Le camion du Sahel -© Pascal Maitre / National Geographic

« Niger. Un camion arrive à la douane d’Agadez, chargé de vêtements, meubles en plastique et appareils en tous genres. Le dinar libyen étant instable et difficilement échangeable, les Nigériens travaillant en Libye renvoient plutôt leurs gains sous forme de marchandises. »

« D’ici cinquante ans, si rien de radical n’est fait, le lac Victoria sera mort à cause de ce que nous y déversons », lance le professeur Nyong’o, gouverneur du comté kényan de Kisumu, en février 2018. Deuxième plus grand lac au monde, le plus vaste d’Afrique, il abrite le plus grand bassin de pêche en eau douce de la planète. Pôle écologique, moteur économique, réservoir naturel, 30 à 50 millions de riverains tanzaniens, ougandais et kényans en dépendent directement ou indirectement -selon la Banque mondiale, près de 50 % vivent avec moins de 1,25 dollar par jour.

Frédéric Noy, Décharge située dans un marécage © Frédéric Noy

« Dans une décharge située dans un marécage, un homme nettoie des sacs plastique dont le colorant bleu va contaminer l’eau du lac. En s’établissant pour des raisons économiques dans une zone humide, filtre naturel des eaux de ruissellement, les oubliés de la croissance ougandaise la détruisent et contribuent à la pollution. Katabi, Ouganda. »

Face à ces images que faire ? Nous n’avons que peu de moyens et les photographies dans leur multiplication finissent par perdre toute force de conviction. Les chocs émotionnels sont loin d’être mobilisateurs. Mais en tant que destinataires potentiels de toutes ces images,  nous avons des responsabilités à assumer.  Internet, souvent décrié,  a aussi bien des avantages. Les écrans nous permettent de prendre le temps de consulter des reportages, dans leur totalité, de ne pas tomber sous la séduction  d’une « icône », de lire les textes qui les accompagnent, de comprendre les enjeux : ne pas consommer les images mais les lire.  Savoir regarder les images, c’est aussi savoir  les sélectionner avec discernement, savoir les retransmettre avec conscience, répondre ainsi à notre façon à ceux qui se sont engagés à les faire. (5) C’est aussi, ne l’oublions pas, prendre du plaisir à voir celles qui parlent de la beauté du monde…une proposition à découvrir dans un prochain blog.

Françoise Paviot

(1) A l’occasion de la commémoration des 50 ans de sa disparition, un film a été réalisé par Mariana Otera, Histoire d’un regard
(2) Michel Guerrin, Profession photoreporter, Centre Georges Pompidou/ Gallimard,1988, p.12.
(3) Garance Chabert, Etudes photographiques n°15 – 2004
(4) www.visapourlimage.com
(5) A voir au Centre Pompidou, l’exposition « Témoigner de la Jungle » – Photographies de Bruno Serralongue/ Agence France Presse / Habitants, jusqu’au 28 février 2020.

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