La naissance officielle de la photographie est relativement récente, 1839, et pourtant en un peu plus de 150 ans cet outil de reproduction du réel s’est imposé d’une façon de plus en plus envahissante, que ce soit sur du papier, ou, comme actuellement, sur des écrans.
Les débuts, cependant, ne furent pas faciles. Si cet outil mécanique suscita l’émerveillement ce fut pour être aussitôt l’objet du mépris de ceux qui défendaient l’art, c’est-à-dire essentiellement la peinture et le dessin, où la main de l’homme était la seule caution d’une œuvre véritable. Ne disait-on pas d’ailleurs que les premiers photographes étaient bien souvent des peintres ratés. Par contre, en proposant un reflet aussi parfait du monde extérieur, la photographie répondait elle aussi à un besoin qui habitait les artistes depuis longtemps : reproduire au mieux la réalité qui nous entoure. Dieu lui-même ne nous avait-il pas donné l’exemple en faisant l’homme à son image ?
La photographie comme document
Les tout premiers photographes se sont essentiellement illustrés avec cette volonté de reproduire au mieux le réel. Certes ils l‘ont fait avec leur regard mais leurs images restent aussi des témoignages, des documents importants sur un passé qui a parfois disparu. La Mission héliographique, mise en place par la Commission des monuments historiques en 1852 et destinée à inventorier les richesses artistiques de la France, a ainsi ouvert la voie de la photographie documentaire. Cette pratique, revendiquée et interprétée différemment au fil des années, est toujours actuelle. On peut citer l’exemple de la commande passée récemment au photographe Bogdan Konopka par le Centre des Monuments nationaux sur la cathédrale de Notre-Dame. Produire de bonnes images qui puissent rendre compte du patrimoine architectural, et comme ici plus particulièrement religieux, engage à plus d’un titre la responsabilité des commanditaires. Combien de fois n’avons-nous pas cherché désespérément une image de qualité et appropriée pour illustrer un texte ou une conférence ?
La photographie comme interprétation du réel
Bravant les critiques et les résistances, la photographie va chercher à gagner elle aussi ses titres de noblesse. Outre cette dimension documentaire, elle va peu à peu mettre en place une nouvelle façon de regarder et de capter la réalité pour donner naissance à des images influencées à la fois par les mouvements artistiques, les mutations de la société moderne, mais aussi la conviction profonde de certains photographes revendiquant leur outil comme un moyen d’expression à part entière. Le mouvement Surréaliste ou celui de la Nouvelle vision par exemple, donneront lieu à des chefs d’œuvres qui figurent dans les plus grands musées.
Beaucoup de ces photographies échappent à un quotidien identifiable, mais la puissance évocatrice de leurs formes ouvre notre regard pour le faire passer dans une dimension nouvelle. Plus près de nous, Bogdan Konopka, le même photographe mais cette fois-ci avec une approche personnelle, rend compte de sa vision des villes qui s’effacent toutes et disparaissent dans le feuilletage invisible du temps.
La photographie comme témoignage et engagement.
Dès la fin du XIXe siècle des photographes ont réalisé que leur outil pouvait être aussi mis au service de la société. Les images de Lewis Hine, par exemple, joueront un rôle important dans les années 30 pour réglementer le travail des enfants et certaines d’entre elles gardent encore à notre époque toute leur actualité. Bogdan Konopka quant à lui, originaire de Pologne, a tenu à rendre compte du mouvement d’émigration polonaise dans le nord de la France. Ainsi un photographe, tout en restant fidèle à lui-même et à son approche, peut selon les circonstances et ses obligations, rendre compte, accompagner, défendre son regard sur le du monde.
Dans cette aventure passionnante, il devient essentiel de prendre le temps de regarder pour faire la différence entre ce qui est sans lendemain et ce qui se construit et se lit dans la durée.
Aujourd’hui, ils sont nombreux à être engagés au service de causes humanitaires, écologiques, sociales pour réveiller les consciences et provoquer le changement. Le Festival Visa pour l’image en est un témoignage important. Leur objectif est de rendre compte du monde qui les entoure, de mettre en évidence les enjeux de société, de pointer les urgences. Pour certains, la reproduction du réel n’est pas essentielle. Utilisant les nouvelles technologies dont ils disposent, ils dépassent le stade du reportage pour nous proposer des images fabriquées, voire des fictions, qui sous leur apparente inventivité se trouvent être aussi des fables critiques de la vie moderne.
Descendue de son piédestal, utilisée par tout un chacun, la photographie donne lieu maintenant à des millions d’images par jour. Il y a celles que nous faisons et celles que nous voyons et aussi celles que nous ne voyons même plus. Dans cette aventure passionnante, il devient essentiel de prendre le temps de regarder pour faire la différence entre ce qui est sans lendemain et ce qui se construit et se lit dans la durée. De la qualité de notre regard dépendent la vie de ces photographies mais aussi celle de notre esprit.
Françoise Paviot