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[Décryptage] La Vierge Marie, l’enfant bénie

La tendre figure de jeune fille qu’offre à nos regards le peintre espagnol de la Contre-Réforme Francesco de Zurbaran, recèle bien des surprises. Que signifient ces éléments disséminés dans les nuages du ciel (Une étoile, une tour, une porte, un escalier, un miroir…) et le tranquille paysage sous ses pieds ?
Publié le 22 mai 2017

Regarder une image en vérité nécessite d’oublier d’abord tout ce que l’on sait d’elle, ou ce que l’on croit savoir. Lors de ce premier contact, il faut résister à l’envie de regarder le titre et l’auteur de l’œuvre, car la parole est à l’œuvre et pas encore aux historiens !

Francisco de Zurbarán, Immaculée Conception, vers 1630 © musée du Prado

Nous voyons une silhouette féminine fortement contrastée se détacher sur un ciel noir et or au-dessus d’un paysage aux teintes douces. Des éléments sur fond noir scandent les bords de cette composition. C’est une toute jeune fille, un peu trapue, aux mains larges, aux cheveux sans apprêts qui s’offre ici à nos regards. Si elle n’était pas entourée d’étranges éléments, on pourrait penser qu’il s’agit du portrait d’une pieuse demoiselle en prières, aux yeux modestement baissés et aux mains sagement jointes. Son vêtement, composé d’une robe rose et d’un manteau de couleur bleu vert, ne nous renseigne pas sur son temps. Viendrait-elle de l’Antiquité ? Mais le bateau qui vogue au loin ne ressemble pas à une galère antique.

Malgré les détails qui l’entourent nous ne sommes pas plus renseignés sur sa condition : ce lourd costume de soie est-il vraiment le vêtement quotidien d’une humble jeune fille ?  Elle est entourée d’un halo de lumière chaude et se détache avec netteté sur un fond unifié, car entre le paysage au loin et le ciel il n’y a pas de frontière. Serait-ce ce un rêve ou encore une allégorie? Mais le peintre l’a bien trop « incarnée » pour cela.

Autour de son jeune visage les nuages s’écartent sur un fond bleu-noir où brillent dix étoiles, des petites têtes joufflues de couleur orangée forment une couronne tout autour, des angelots sans doute. Cette jeune fille est sainte, elle est au ciel, dans le ciel. Le drapeau de l’Europe pourrait être évoqué ici, mais ne contient-il pas douze étoiles en cercle ? Ici, deux autres étoiles se nichent au sein des nuages… Où trouve-t-on une couronne d’étoiles ?

La Bible peut être ouverte à présent. Pour nous guider il existe des répertoires pour se retrouver dans les « forêts de symboles » que constituent les livres de la Bible. Ces étoiles sont au premier verset du chapitre 12 du livre de l’Apocalypse : « Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles » (traduction AELF).

Ailleurs dans la Bible la beauté d’une jeune femme est chantée dans ce grand chant d’amour qu’est le Cantique des cantiques : « Belle comme la lune, resplendissante comme le soleil » (Ct 6, 10)  son bien aimé ajoute « tu es toute belle mon amie et il n’est nulle tache en toi » (Ct 4, 7).

Ce même poème livre évoque aussi une tour que l’on retrouve dans le ciel de notre tableau : « Tour de David » (Ct 4, 4).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une porte est ouverte dans le ciel évoquant le livre de la Genèse (Gn 28, 17) et la ville ne peut être ici que la  « Cité de Dieu » chantée par le psaume 87 (Ps 87, 3).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quant au miroir, il vient du livre de la Sagesse qui parle d’un  « miroir sans tache » (Sg 7, 26).

Zurbaran a fait le choix de symboles évoquant l’absence de tache de cette jeune fille aimée de Dieu, elle a été conçue sans péché, elle est sans tache, l’Immaculée conception. Elle était priée au moyen d’images poétiques comme celles que nous venons de voir en y ajoutant d’autres images comme « l’escalier du ciel ».

La voici identifiée : « son nom était Marie » (Lc 1, 27), elle est « l’étoile de la mer » : une appellation qui vient de l’étymologie usuelle de son nom au Moyen Age.

Quant au navire toutes voiles dehors, il peut faire penser à saint Bernard méditant A la louange de la Vierge Mère : « Ô qui que tu sois, qui te vois, dans les fluctuations de ce monde, balloté au milieu des bourrasques et des tempêtes plutôt que marcher sur la terre ferme, ne détourne pas les yeux de l’éclat de cet astre si tu ne veux pas être submergé par les flots. Si se lèvent les vents des tentations, si tu cours aux écueils des épreuves, regarde l’étoile, appelle Marie ».

Voyez comme cette image peut faire parcourir toute la Bible, de la Genèse à l’Apocalypse !

 

Par Sylvie Bethmont,

enseignante à l’Ecole cathédrale de Paris

Pour aller plus loin

Regarder par exemple les œuvres de Notre-Dame-de-toute-Grâce, Plateau d’Assy, Haute Savoie, (1937-1946) : 

La Vierge aux litanies, mosaïque de la façade par Fernand Léger. 
La femme de l’Apocalypse (Ap 12), tapisserie du Chœur, par Jean Lurçat.

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