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[Décryptage] Bergers et agneaux

Les images de bergers et d’agneaux abondent dans l’art chrétien depuis ses origines. Sont-elles toujours parlantes pour un monde actuel qui n’est plus agricole ni pastoral ? Des éléments de réponse seront publiés en trois volets : Le Berger divin (1), Le divin agneau (2) et Des agneaux petits et grands (3). Voici donc le 1er : Le Berger divin.
Publié le 27 septembre 2017

L’une des premières images du Christ est celle d’un berger formant un motif que l’on nomme, de façon générique : Le Bon Pasteur (il y en a près de neuf cents exemples connus dans l’art paléochrétien des six premiers siècles). Venue de l’Antiquité païenne et faisant écho à la vie pastorale des temps anciens, cette image a perduré jusqu’au XIXe siècle dans les images pieuses.

Dans les musées du Vatican les visiteurs sont conduits vers les appartements pontificaux et la chapelle Sixtine, mais, bien avant Raphaël ou Michel-Ange, des artistes restés anonymes ont créé les premières images chrétiennes que l’on peut découvrir au Musée Pio cristiano, juste à côté, dans l’enceinte du Vatican. Une sculpture nous y accueille (photo 1) datée du Ve siècle.

Elle est surprenante à bien des égards car les sculptures en ronde-bosse comme celle-ci (c’est-à-dire détachée de tout support et dont on peut faire le tour) sont rares durant les premiers siècles de l’art chrétien.

Peut-être peut-on trouver la raison de cette quasi-absence dans le livre de l’Exode et celui du Deutéronome, qui interdisent la fabrication des images sculptées sous les mêmes termes : «Tu ne feras aucune image sculptée, rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux là-haut ou sur la terre ici-bas ou dans les eaux au-dessous de la terre » (Ex 20, 4 et Dt 5, 8.)

Bon Berger, IV-Ve sc., Musée Pio cristiano, cité du Vatican © SB – photo 1

Dieu, l’Unique, ne peut être circonscrit, et ne peut donc être enfermé dans une statue. Cependant de nombreuses images sculptées ont pu orner les sarcophages des premiers chrétiens, car ce que ces textes condamnent ce ne sont pas tant les images que leur usage en tant qu’idoles. Et les images chrétiennes ne sont que des guides vers le sens et le cœur des Ecritures où elles peuvent conduire l’intelligence.

Cette sculpture représente un jeune homme vêtu d’une courte tunique qui dégage l’épaule droite (l’exomis). Il est chaussé de sandales lacées haut et porte une gourde en bandoulière.  Ce pasteur est caractérisé par sa jeunesse, mais seul le contexte de sa découverte (une tombe chrétienne) indique que la lecture doit en être faite selon la foi chrétienne. En effet si de nombreuses scènes de ce type se trouvent dans l’art païen antique, qui nous disent l’harmonie, le bonheur de la vie à la campagne, et aussi l’image de la vie paradisiaque dans l’au-delà, elles ont pu être en quelque sorte christianisées par l’art chrétien naissant.

Un  Berger protecteur

Le Bon Berger, Catacombes de Priscille, Rome, IIIe siècle – photo 2 a

Le propre des premières images chrétiennes, bien qu’elles soient parlantes par elles-mêmes et même très concrètes, est de prendre sens lorsqu’on les associe à d’autres comme des rébus. Cette scène pastorale, peinte dans les catacombes romaines de Priscille (photo 2 a),  peut être rattachée au mystère chrétien en considérant les scènes bibliques du salut qui sont peintes tout autour : les trois Hébreux dans la fournaise (photo 2B – Dn 3) et le sacrifice d’Abraham (photo 2C – Gn 22). Il a placé sur ses épaules un bélier, un autre le regarde, une brebis est à ses pieds. Brebis, agneaux, moutons ou béliers, qu’importe : ce Bon Berger aime et protège ses animaux.

abraham et isaac, Catabombes de Priscille – ROME, IIIE SIÈCLE – PHOTO 2 B

Trois hébreux dans la fournaise, CATABOMBES DE PRISCILLE – ROME, IIIE SIÈCLE – PHOTO 2 C

La figure du berger traverse toute la Bible. Ouvrons quelques uns de ces textes…

Aux commencements des récits bibliques, Abel, le berger, le juste, est préféré par Dieu à son frère Caïn, le cultivateur. Moïse garde les troupeaux de son beau-père Jéthro sur la montagne lorsqu’il reçoit la vision du Buisson ardent (Ex 3) qui donne l’impulsion de sa mission de libérateur. David est un petit berger quand il est « pris au pâturage derrière les brebis », avant de combattre Goliath (2 S 7). Il deviendra le grand roi d’Israël, le berger de son peuple.

Mais les souverains terrestres doivent se souvenir que c’est Dieu qui est le vrai, le seul berger, comme le rappelle le Psaume 23 (22) qui était toujours chanté lors du Baptême des premiers chrétiens : « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien, sur des prés d’herbe fraîche il me fait reposer. » Ainsi, la figure du Bon Berger orne t’elle les premiers baptistères, depuis celui de Doura-Europos (Syrie-IIIe siècle) et ceux de Rome, Naples, Milan ou Ravenne.

Jésus est venu « pour les brebis perdues de la maison d’Israël » (Mt10) car il est le bon berger « qui donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10). On retrouve cette vision du Christ-Pasteur de son Eglise dans l’épitaphe, datée de l’an 200, de l’évêque de Hiérapolis en Phrygie (Asie Mineure) : « Je me nomme Abercius. Je suis disciple d’un saint Pasteur qui fait paître ses troupeaux de brebis sur les montagnes et dans les plaines.»

Jésus le divin Pasteur

Revêtu d’or et de pourpre, sur cette mosaïque ornant le « mausolée » de Galla Placidia à Ravenne (Photo 3), le Christ est le « Berger des brebis du roi céleste » (Clément d’Alexandrie), le Verbe venu dans le monde pour le sauver, le souverain Dieu dont le bâton pastoral, qui est aussi son sceptre, est une croix glorieuse en or.

Jésus raconte la parabole de la Brebis perdue que le Bon Berger va chercher laissant les quatre-vingt-dix-neuf autres dans la montagne (Mt 18), comme toujours dans les récits imagés des paraboles Jésus nous parle du Royaume de Dieu. Cette descente a été commentée par les Pères de l’Eglise comme celle de l’Incarnation, la montagne étant le symbole du lieu d’en-haut, le ciel où Dieu siège. Ayant retrouvé la brebis égarée, c’est-à-dire l’humanité perdue par le péché, il la charge sur ses épaules (Lc 15).

Symbole de cet homme sauvé, la brebis de la sculpture conservée au Musée Pio cristiano (photo 4) n’a-t-elle pas fière allure et ne dirait-on pas qu’elle exulte toute à sa joie d’être portée par son Divin Sauveur…?

Jésus Bon Berger, détail de la mosaïque du « mausolée » de Galla Placidia, Ve siècle, Ravenne – photo 3

Par Sylvie Bethmont, enseignante à l’Ecole cathédrale de Paris

A suivre…

Nous verrons comment ce motif dit à la fois l’Incarnation, la Passion et la Résurrection dans le deuxième volet de ce parcours : Le divin agneau.

Pour aller plus loin :

-Martine Dulaey, L’initiation chrétienne et la Bible,( I-VIe siècles), « Des forêts de symboles », Le Livre de Poche, 2001.  
-Eliane et Régis Brunet, Pour décoder un tableau religieux, Nouveau Testament, Cerf, 2006.
-Sylvie Bethmont, Le Seigneur des absides, images du Christ dans quelques absides des IVe au XXIe siècle, Parole et Silence, 2017.

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