Lire les deux volets précédents de la série sur les représentations de l’agneau en cliquant ici : Bergers et agneaux / Doux et humble agneau divin.
Un peu avant 1900, le peintre italien Giuseppe Pellizza da Volpedo a peint Le miroir de la vie, une oeuvre conservée à Turin, en la Galerie civique d’art moderne et contemporain. Cette peinture à l’huile a été réalisée sur une toile en format paysage très allongé, c’est une frise, ou, mieux c’est la citation d’une frise.
Elle a constitué l’une des pièces phares de l’exposition Au-delà des étoiles, le paysage mystique de Monet à Kandinsky, tenue au musée d’Orsay, à Paris, de mars à juin 2017. Sa composition est très rythmée, alternant les couleurs, blanc-noir, brun-bleus. L’aspect répétitif du motif de des agneaux en contre-jour, le ciel moutonneux qui en reprend l’alignement, le reflet d’un agneau dans l’eau évoquent un soir paisible d’une campagne italienne. Simple, mais construite avec rigueur, elle est parcourue par les lignes directrices des bancs herbeux dans leau qui concourent vers l’agneau central et son reflet.
Nombreux sont les visiteurs attirés par cette toile, mais sommes-nous des moutons comme semble le dire ce peintre, qui nous tendrait ici un « miroir » ? Le sous-titre de cette oeuvre est quelque peu énigmatique : Et ce que fait l’une les autres le font aussi. Il est tiré de la description du Purgatoire, de Dante :
« Il m’apparut une troupe d’âmes (…) Telles que les brebis enfermées sortent de l’étable, d’abord une, puis deux, puis trois, pendant que les autres s’arrêtent tout intimidées sur le seuil, baissant l’œil et le museau à terre, — et ce que fait la première les autres le font, s’adossant à celle-ci si elle s’arrête, naïves et soumises, et ne sachant pas elles-mêmes le pourquoi. »
– Dante Alighieri (1265-1321), La Divine comédie, Purgatoire, Chant 3, 18-29 (1308-1313), Trad. F. Lamenais).
Ce texte présente une métaphore des âmes auxquelles Dante demande son chemin pour escalader la montagne du Purgatoire qui conduit au Paradis. Ainsi le sens de la vie conduit-il les hommes, doux et semblables à des agneaux, en véritable troupeaux vers le Paradis, rien de moins !
Une moisson d’images en souvenir
Pour ceux qui fréquentent et aiment les églises italiennes, les représentations d’agneaux se suivant en frise sont familières…Tenons le pari que Giuseppe Pellizza da Volpedo les connaissait bien aussi ! Dans ces contextes ecclésiaux l’on peut parler de processions d’agneaux.
Le plus souvent ils sortent ou s’agglutinnent près des portes de deux villes somptueses, garnies de pierres précieuses et de perles, dont les noms sont indiqués : Jérusalem et Bethléem.
La gloire des deux cités du Bon Pasteur
Dans leur somptuosité ces mosaïques évoquent la Jérusalem céleste telle que saint Jean nous la décrit en son Apocalypse : « La ville brillait d’un éclat semblable à celui d’une pierre précieuse » (Ap 21).
Nous connaissons la gloire attachée à la cité royale de Jérusalem mais qu’en est-il de la petite cité de Bethléem qui a vu naïtre le Christ ? Ces deux représentations partagent la même somptuosité car Bethléem peut représenter l’Église actuelle et Jérusalem, l’Église céleste où se trouvent déjà les saints et les anges, les deux ensembles représentant la célébration du Christ par l’Église totale.
Si Bethléem est majestueuse, à l’instar de Jérusalem, c’est que cette « maison du pain » vivant n’est pas faite de main d’homme, elle est aussi la Bethléem d’en-haut chantée par les Pères de l’Eglise. Saint Ephrem y célèbre le Bon Berger qui donne le pain de vie à son Eglise. Pour Grégoire de Naziance il faut honorer Bethléem « la petite qui t’a ramené au Paradis », (Orationes 18). Un Paradis dont Giuseppe Pellizza da Volpedo nous tend le miroir en un lointain écho.
Par Sylvie Bethmont, enseignante à l’Ecole cathédrale, Collège des Bernardins, Paris
Pour aller plus loin
Pourquoi ne pas visiter Ravenne et Rome ? Cette procession d’agneaux sortant des deux villes, figure à Rome sur les mosaïques d’absides et leurs arcs datés du VI e siècle, à Saints Côme-et-Damien ou Saint-Laurent-hors-les-murs comme à Saint-Apollinaire-in-Classe à Ravenne.
L’art médiéval n’a pas oublié le motif de cette procession d’agneaux, au palais du Latran (VIIIe-IXe siècles), alors que la procession des agneaux sortant des deux villes est présente sur les mosaïques du IX e siècle de Sainte-Cécile-du-Transtevere et de Sainte-Praxède. Il connaît un renouveau à Saint-Clément ou à Sainte-Marie du Transtévère (XIIe siècle) par exemple. Nombre de modernes chapelles de congrégations (XIXe sc.) le reprennent.