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[Décryptage] L’amitié de Pierre et de Paul

L’une des premières images chrétiennes est celle de l’amitié liant saint Pierre et saint Paul, dont l’Eglise fait mémoire du martyre un même jour, le 29 juin. Ces images simples et touchantes de leur amitié spirituelle (autres que celles des portraits de Pierre aux clés et de Paul à l’épée) ne vont cesser d’inspirer les artistes.
Publié le 29 juin 2018

Fig. 1 – Plaque de fermeture du loculus d’Asellus, Musée Pio cristiano, Vatican © Photo SBG.

Lorsque l’on va au Vatican,  il est difficile d’échapper, dans les boutiques de souvenirs, à cette reproduction – sous forme de signets, de cartes postales ou de magnets – de la pierre tombale d’un enfant qui a vécu à la fin du IVe siècle (Fig. 1). Asellus (« petit âne ») était, à sa mort, un enfant de « six ans, 8 mois et 23 jours » qui « a bien mérité »*. Cette image presque enfantine de Pierre (Petrus) et de Paul (Paulus) qui encadrent le monogramme du Christ (XP) dit toute la foi qui anime l’Eglise du Christ venant de sortir de la clandestinité.

Deux apôtres, une seule fête

La fête liturgique du Dies natalis, du jour de la naissance au ciel, celui de leur martyre, a été fixée en l’an 400 au même jour le 29 juin, leurs martyres respectifs ayant eu lieu juste à un an d’intervalle. Dans l’Office des lectures de leur fête commune, la liturgie offre à notre méditation ce texte de saint Augustin : 

« Un seul jour est consacré à la fête des deux apôtres. Mais eux aussi ne faisaient qu’un. Bien qu’ils aient subi le martyre en des jours différents, ils ne faisaient qu’un. Pierre précéda, Paul suivit. » Saint Augustin, De l’homélie pour la fête des Apôtres Pierre et Paul (Disc. 295, 1-2. 4. 7-8; PL 38, 1348-1352)

Même si les Actes des Apôtres ne soufflent rien de cette intimité, ces images disent la fraternité spirituelle qui les unit, leurs missions les conduisant au martyre à Rome. Ils sont à l’image de ces couples de frères fondateurs, comme Moïse et Aaron, ou Romulus et Remus auxquels l’on faisait remonter la naissance de Rome. Ainsi sont-ils décrits par saint Léon le Grand s’adressant à la Ville : 

« Voici tes saints pères, tes vrais pasteurs qui, pour te rendre digne du royaume des cieux, ont édifié beaucoup mieux et avec bien plus de bonheur que ceux qui œuvrèrent à jeter les premières fondations de tes murs » (Homélies 82, 7).

Des images de dévotion très répandues

    

Fig. 2 – Pierre et Paul et le Chrisme, IVe sc. © New York, Metropolitan Museum. // Fig. 3 – Bague à sceaux, Ve sc., jaspe or, BnF, Médailles, M2166, © BnF.

En Occident, vers 360, alors que le pèlerinage à Rome est établi en parallèle de celui qui, en Orient, conduit à Jérusalem au tombeau du Seigneur, apparaissent les objets de dévotion où Pierre et Paul sont réunis côte à côte. Ces images peuvent orner les objets les plus quotidiens. Comme ces cadeaux que l’on se fait à l’occasion de la fête du 29 juin, qu’évoque saint Jérôme dans une lettre (n° 31) ; dont les plus luxueux sont des verres à fonds de feuille d’or gravée (Fig. 2). 

Pierre et Paul, ces deux colonnes de l’Eglise, se tiennent de part et d’autre d’une colonne soutenant le chrisme (pour les initiales en Grec de Christos : XP) entouré d’une couronne de victoire. « L’élection les a rendus des pairs, la difficulté des semblables et la fin des égaux », dit d’eux Saint Léon le Grand (In natali apostol., 69, 6-7).

Fig. 4 – Boucle de ceinture, Naples, début Ve siècle, cathédrale Castelmare di Stabia ©SBG.

On aimait à porter ces images sur soi, ainsi un marchand a-t-il pu faire graver sur une bague à sceau ces deux minuscules portraits entourant le monogramme du Christ (XP) (Fig. 3). Un autre a fait orner une boucle de ceinture de leur empressement à s’étreindre (Fig. 4).

Des portraits aux traits fixés pour l’avenir

On peut les reconnaître au premier coup d’œil : Pierre a le visage d’un homme mur portant les stigmates d’une vie dure, sa chevelure abondante et drue est implantée bas. Paul a l’aspect de l’intellectuel au front dégarni que Saint Augustin salue ainsi : « Ô grand Paul ! ». Son nom, Paulus, signifie le petit, sa grandeur vient d’ailleurs : non de sa taille mais de son humilité. Les descriptions, écrites sous forme de témoignages visuels, sont sans doute tirées de ces images qui se répandent :

« Or Onésiphore vit venir Paul, un homme de petite taille, à la tête dégarnie, aux jambes arquées, vigoureux, aux sourcils joints, au nez légèrement aquilin, plein de grâce. » (Actes de Paul, III, 2-3, dans Ecrits apocryphes chrétiens, NRF Gallimard, coll.  La pléiade, 1997. )

Fig. 5 – Baiser de Pierre et Paul (détail). Copie (XXe) de la fresque  du Katholikon du monastère de Vatopedi, (v. 1170-1180) © Mont-Athos.

En Orient les traits de Pierre et de Paul sont fixés au IVe siècle d’après une description de Johannes (Jean) Malalas, Chronigraphia, (Chronique Byzantine, X, (V-VIe ) Et ce sont ces types qui ont toujours cours actuellement. (Fig. 5)

Pierre et Paul s’embrassent leurs visages rapprochés ne font plus qu’un, au souffle qui les unit. Ce motif, que les historiens appellent Concordia Apostolorum, est courant en Occident comme en Orient, où cette icône est toujours écrite (Fig. 4 et Fig. 5).

Conclusion : des images pérennes, entre tradition et modernité

Fig. 6 – Bulle martin V, recto et verso (Pierre et Paul) (1417-1432)

Les portraits conjoints de Pierre et Paul ornent également le revers des sceaux des bulles pontificales, qui, à partir du pape Pascal II (1099-1118), se caractérisent par un formalisme, resté immuable jusqu’à nos jours, manifestant la volonté de transmettre la continuité de l’Eglise à travers les siècles (Fig. 6). Les deux faces de ces sceaux montrent, au recto, les portraits de Pierre et Paul avec les lettres S(anctus) PE(trus)/ S(anctus) PA(aulus) et, au verso, le nom du pape actuel, le titre et le numéro ordinal de succession. A sa mort cette matrice-ci est détruite et remplacée par celle du nouveau souverain pontife. Mais la permanence de l’Eglise du Christ est manifestée par celle de matrice du recto, portant les portraits des deux Apôtres fondateurs ; elle n’est changée qu’une fois abîmée.

 

Sylvie Bethmont,
enseignante à l’Ecole cathédrale, Collège des Bernardins, Paris.

 

Pour aller plus loin


* ASELLU/ BENEM BERENTI QUI VICXIT ANNU/ SEX MESEOCTO DIES/ XXIII. (Asellus de bon mérite qui a vécu six ans, huit mois et 23 jours).

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