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« Combat dans les ruines ». La tristesse, l’espérance et la Gloire à Notre-Dame de Paris

Au lendemain de l’incendie de Notre-Dame (le 15 avril 2019), visible par l’ouverture de la porte centrale, brillait au milieu des débris et des cendres, la croix dorée de Marc Couturier. Intacte, symbole de résurrection, de lumière et de gloire. Cette œuvre du XXe siècle ne peut être détachée de son socle du XVIIe siècle, lui aussi préservé : une « Pietà » du sculpteur Nicolas Coustou. L’ensemble est le fruit d’un long parcours d’images, qui ne cessent de chanter Marie avec son enfant, dans la tristesse et dans la Gloire, depuis les origines de l’art chrétien jusqu’à nos jours.
Publié le 26 avril 2019
le chœur de Notre-Dame après l’incendie du 15 avril 2019 ©  PHILIPPE WOJAZER –  AFP

Une création continue

Chaque partie de l’actuelle cathédrale Notre-Dame de Paris, que nous connaissons et aimons, témoigne d’une création qui n’a jamais cessé depuis que Maurice de Sully l’a édifiée au milieu du XIIe siècle (sa première pierre a été posée en 1163). La cathédrale Sainte-Marie, comme on la nommait alors, avait elle-même remplacé les édifices romans qui tenaient lieu de cathédrale.

Marie conduit à Jésus

Les premières images connues de Marie, mère de Jésus, sont celles de la visite des Mages. Le texte si bref de saint Matthieu – un verset au début de son évangile (Mt 2, 11) – peut être la source de toutes les Vierges à l’Enfant ornant nos églises, en particulier sculptées, vers lesquelles nous faisons monter notre prière, offrant des bougies allumées et des fleurs. Sur les murs des catacombes chrétiennes, c’est l’un des premiers motifs peints. Dès le Haut Moyen Age, de nombreuses images sculptées de l’Enfant Jésus sur les genoux de sa Mère, invitent à prier Marie, en ses litanies, comme le siège de la Sagesse (Sedes Sapientiae). Dégagées de leur contexte biblique, ces sculptures de la Reine des Cieux, montrent que Marie est la Dame, (Domina) de Notre-Seigneur (Dominus), Jésus Christ (cf ill. ci-dessous).

Marie-Siège de la Sagesse, ateliers des moniales de Bethléem, de l’Assomption de la Vierge et de saint Bruno (monastère de La Verne), XXIe siècle, Notre-Dame Arche d’Alliance (75015) © SB.

Marie, la Dame du XIIe siècle

Les historiens soulignent que le XIIe siècle est celui de l’essor du culte de la Vierge Marie. Elle est célébrée par les théologiens et les artistes, alors que la poésie mystique fait écho à la poésie courtoise (le fin‘amor en langue d’Oc) pour la chanter en français l’antique Domina, comme « notre » Dame.
Cette mère aimante est celle qui, dès l’annonce de sa grossesse, sait en son cœur que la gloire annoncée n’adviendra qu’au prix d’une souffrance majeure : « un glaive te transpercera l’âme » (Lc 2, 25).

Une douleur infinie

Jésus, est mort, il est descendu de la croix. Pour dire la douleur de ce moment, les artistes – au-delà de la description des Evangiles – ont détaché comme un motif, le moment de la déploration du Christ mort par sa Mère, célébré par la liturgie orientale du Vendredi Saint. En Orient ce motif s’appelle Threnos, (Lamentation), présent dans les icônes, mais aussi dans l’art d’Occident, depuis les maîtres italiens des XII-XIIIe siècles : Cimabue, Giotto, Duccio, jusqu’à la période contemporaine (cf ill. ci-dessous).

Michel Serraz, Thrène, Notre-Dame du Travail (75015) © SB.

L’art occidental donnera une autre forme, à cette dernière étreinte, Marie, Mère de Pitié, la « Pietà », tenant le corps mort de son enfant sur ses genoux, motif porteur de toute la souffrance mais aussi de l’Espérance vécue par la Mère de Dieu. Sur certains monuments funéraires on trouve une Pietà sculptée accompagnée de la prière : « Memento mei, Mater Dei » (Souviens-toi de moi, Mère de Dieu).

La Pietà du Vatican par Michel Ange, un sommet et un modèle

Cet art atteint un sommet avec l’œuvre de jeunesse de Michel Ange (1475-1564). Il avait 24 ans lorsqu’il livra la Pietà du Vatican (1499), un miracle de pierre. Les blandices du polissage font restituer au marbre la perfection des corps et des drapés, mais aussi la lumière qui semble en sourdre. L’intense beauté des corps dit celle des âmes (cf ill. ci-dessous).

Michel Ange, PIETÀ (1499), Saint-Pierre-de-Rome, Cité du Vatican,  © Wikimedia Commons

Alors que la douleur de Marie tire ses traits déjà vieillis dans la plupart des œuvres de ce temps, elle semble, ici, plus jeune que son fils. Le biographe, et élève de Michel Ange, Giorgio Vasari, souligne qu’ainsi l’artiste a voulu montrer la pureté intacte de la Mère de Dieu qui est « fille de son Fils » comme la chante Dante (Paradis, chant 33, 1). C’est encore Dante que cite Michel Ange, parvenu à la fin de sa vie,  dans un dessin où la Vierge serre entre ses genoux le corps effondré de son Fils mort, soutenu par des anges. (Dessin conservé au Musée Isabelle Stewart Gardner, Boston). Elle est assise à terre, toute d’humilité, devant une croix dont la poutre verticale porte ce vers : « on ne pense pas [au Paradis] combien il a coûté de sang pour la semer dans le monde, [La divine écriture]  » (Dante, Paradis, Chant 29, 91). Marie, les yeux levés au ciel et les bras étendus sous la croix, implore par le sang versé de son Fils. De nombreuses reproductions gravées de ce dessin ont été réalisées, le transmettant comme modèle.

D’un chef d’œuvre, l’autre : la « Pietà » du chœur de Notre-Dame de Paris

En 1699, Louis XIV réalise le vœu de son père Louis XIII, formulé en 1638, de prendre «  la très sainte et glorieuse Vierge » pour protectrice du Royaume de France. Il faudra près de vingt-cinq ans pour reconstruire l’autel ruiné de Notre-Dame de Paris. Les anciens aménagements liturgiques : le jubé, et le retour du tour de chœur, sont démolis. Alors, dans la claire vision du mystère eucharistique voulue par la Contre-Réforme, apparaît le nouveau maître-autel « avec une image de la Vierge tenant dans ses bras celle de son précieux Fils descendu de la croix », comme le stipule le texte du vœu de Louis XIII, (le roi étant représenté) « aux pieds du Fils et de la Mère, comme leur offrant notre couronne et notre sceptre. »

Les gravures anciennes nous montrent au fond du chœur de Notre-Dame, les sculptures qui demeurent encore (« Compassion de la Vierge devant le cadavre de son fils descendu de la Croix ») : datées de 1723, celles de Louis XIV (par Antoine de Coysevox) et de Louis XIII (de Guillaume Coustou), accompagnés d’anges, et celle que l’on nomme la « Pietà » de Nicolas Coustou, la Vierge qui tient sur ses genoux son Fils mort, prie les bras étendus.
Configurée au martyre de son Fils, Marie est Mère de douleur, mais aussi d’espérance car la croix est vidée du corps du Christ, et elle tend le visage vers une « Gloire » sculptée, rayonnante, peuplée d’angelots – dont le modèle provient de celle réalisée par le Bernin pour l’abside de Saint-Pierre de Rome.

Voyons-nous à présent une « Pietà » comme il est souvent dit et écrit ? C’est plutôt une image de la Déposition du Christ qui aurait été privée de la croix, comme la suite de l’histoire de Notre-Dame le montre (d’où nos guillemets).

Après les dispersions et destructions opérées par la Terreur, les restaurations du chœur de Notre-Dame par les architectes Jean-Baptiste-Antoine Lassus et Eugène Viollet-le-Duc n’ont pas permis de restituer cette croix et cette gloire, que ces architectes visionnaires ne jugeaient pas « médiévales ».

Et Notre-Dame de Paris a été privée de croix de sanctuaire jusqu’à ce que le cardinal Jean-Marie Lustiger, réalisant le souhait de Paul VI de rendre l’Eglise de nouveau « amie des arts », passe commande d’une croix de gloire à Marc Couturier. L’œuvre est haute de six mètres, dorée à la feuille sur une âme de bois et surmontée d’une « Gloire » en forme de lame (1994-1996*). L’or blanc de cette lame (l’âme), qu’Isabelle Renaud-Chamska nomme « un clin de lumière », luit discrètement au-dessus d’elle.

A Notre-Dame de Paris, l’art contemporain s’est lié « d’amitié » avec l’art ancien. Sans rien gommer de la douleur ni du deuil, la « Pietà » de Nicolas Coustou, Golgotha de souffrance et d’espérance, sert de socle à l’immense croix glorieuse, jaillissant miraculeusement des cendres, et portant l’or, offrande des Mages, métal divin, signe de la Résurrection du Christ.

VUE DE L’ENSEMBLE DU CHŒUR, PIETÀ DE NICOLAS COUSTOU, 1723 ET LA CROIX ET LA GLOIRE DE MARC COUTURIER, 1994-1996 © NOTRE- DAME DE PARIS – CREATIVE COMMONS ATTRIBUTION

Sylvie Bethmont
Enseignante à l’Ecole cathédrale de Paris, Collège des Bernardins

 

Pour méditer à partir de cette œuvre composite…

LA VIE RENAÎT DES CENDRES. LE CHRIST EST VRAIMENT RESSUSCITÉ !

La méditation de l’Eglise a fait de la Vierge Marie, le tout premier témoin de la résurrection de son Fils. Absent des évangiles mais popularisé au Moyen Age, par la Légende Dorée et les Méditations du Pseudo-Bonaventure, ce thème est largement présent dans l’art de la fin du Moyen Age. Les théologiens de la Contre-Réforme dont Ignace de Loyola et Thérèse d’Avila, ont continué à méditer cette rencontre de la Mère de Dieu et de son Fils ressuscité.
Un poème de Jean-Pierre Lemaire, (né à Sallanches en 1948), nous invite à prolonger cette méditation séculaire. Ecoutons, par sa voix, la Vierge Marie nous murmurer – dans le silence, le recueillement et les ruines- ses moments d’intimité, alors que le grain mis en terre s’est levé d’entre les morts, au petit matin de Pâques, pain nouveau pour un monde sauvé.

«  Il est venu me voir la première, c’est vrai
— son plus grand cadeau, mon souvenir secret.
Depuis longtemps sa vie, sa terrible vie
ne m’appartenait plus. On avait consenti
à me rendre son corps, pour le rendre à la terre.
A qui importait la couleur de mon silence
entre attente et désespoir ?  Combat dans les ruines
où il fallait encore ne pas dire non

ne pas confier au mauvais serviteur
les clés de la maison. J’ai gardé ouverte
la porte du fond. Du jardin nocturne
venait une odeur de fenouil et de menthe
que je confondais avec les aromates
pour sa sépulture, et peut-être avec
la myrrhe et l’encens, lointains présents des Mages.
Je finissais ainsi par m’endormir
vers le matin, en mélangeant les jours.
Il faisait déjà clair quand il est entré.

Jean-Pierre Lemaire, « Résurrection » in Le pays derrière les larmes © Editions Gallimard.

Pour aller plus loin :

Gérard Gros, Ave Vierge Marie : étude sur les prières mariales en vers français, XIIe-XVe siècles, Presses Universitaires Lyon, 2004.

Jean-Pierre Cartier, « Le vœu de Louis XIII et le réaménagement du chœur », Notre-Dame de Paris, La grâce d’une cathédrale, ouvrage collectif sous la direction du cardinal André Vingt-Trois, La Nuée Bleue, 2012, p. 235-240.

Sur la croix dorée de Marc Couturier et sa « Gloire » :
– Présentation par l’artiste de sa sculpture, lors du colloque organisé par l’lSTA, le 6 avril 2019 : « Croix et Gloire à Notre-Dame de Paris, (1994-1996), une commande emblématique » ( à paraître).

– A lire sur Narthex : La Croix et la Gloire de Marc Couturier à Notre-Dame de Paris

 

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