Sainte Geneviève de Paris a vécu au sein d’un monde de mutation, à la charnière des Ve-VIe siècles, dominé par les « invasions barbares », marqué par la chute de l’Empire romain d’Occident (476) et l’avènement de la première dynastie des rois francs (les Mérovingiens) depuis le baptême de Clovis (466 – 511), dont elle fut la conseillère. A Paris et ses environs, (en la cathédrale de Nanterre, où Geneviève est née et la basilique Saint-Denis, qu’elle a fondée), l’on fait particulièrement mémoire d’elle. Sur la montagne sainte-Geneviève à Paris, les restes de l’abbaye des Saints-Apôtres (saint Pierre et saint Paul), qui lui était consacrée et où elle fut inhumée, demeurent à Saint-Etienne-du-Mont et au Lycée Henri IV, ainsi qu’au Panthéon.
Compagne très fidèle de Dieu
Genoveifa, le nom Franc traduit par Geneviève, signifie « née d’une femme » ce qui appelle de nombreuses harmoniques bibliques (Jb 14, 1 Ga 4, 4) (Fig 1). Elle est la fille unique de Gerontia et de Severus, un Franc romanisé, soldat Haut-gradé, devenu régisseur des terres d’Empire. Il reçut le titre de « Clarissime » (Clarissimus) car il était l’un des dix principales, parmi les membres de la Curie de la ville de Lutèce (que l’on nomme « Paris » à la fin du Ve siècle).
Au décès de ses parents, vers 440, Geneviève hérite, en tant que fille unique, de la charge municipale de son Père, (selon le code Théodosien, Ve siècle), puis des biens de Severa, la sœur de son Père qui l’avait accueillie à Paris. Si elle fait partie des plus puissantes et des plus riches propriétaires de son temps, sa principale, et même sa seule richesse est l’amour de Dieu.
Les images, à la suite de sa Vie, mettent en avant sous forme de symboles simples, les signes de cet amour inconditionnel, qui ont émaillé et guidé son existence. La croix d’abord, le don de lire au travers des personnes (sa prescience) et la lumière.
Le don du signe de la croix
Lorsque saint Germain d’Auxerre consacre Geneviève (âgée d’environ sept ans), l’incitant à devenir une véritable épouse de Dieu, il ramasse à terre une simple piécette en bronze, percée, prête à être suspendue au cou de l’enfant. Ainsi le grand évêque s’abaisse-t-il pour recueillir le signe de l’abaissement du Seigneur Jésus :
« Ayant la condition de Dieu, il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom » (Ph 2,6-8)
Depuis l’empereur Constantin, premier souverain chrétien, et en France jusqu’à la Révolution, les pièces de monnaies étaient frappées d’une croix. Au Moyen Age « avoir croix » signifiait « avoir de l’argent ». Ce petit objet du quotidien, abandonné sur les berges de la Seine, vaudra pour Geneviève tous les bijoux du monde (Fig. 2).
La croix du Christ n’a pas besoin d’être revêtue d’or pour être glorieuse. Cependant la lumière de sa gloire est signifiée par les artistes au moyen de l’or et des pierres colorées (les peuples dits barbares et singulièrement les Mérovingiens* aimaient les pierres, en particulier le grenat).
Quand le peintre, contemporain, Alain Guillon* fait le portrait de Geneviève « dans l’amour et la lumière du Christ », c’est par la croix radieuse, précieuse, au centre du cosmos et coextensive à la création, qu’il manifeste l’amour qui relie Geneviève à Dieu (Fig. 3). Par la préciosité des matériaux employés (feuilles d’or, poudre de marbre) cette œuvre rejoint les premières images de la croix dorée et parée de pierre précieuses.
Mais c’est bien le signe de l’humilité du Christ donnant sa vie que l’évêque Germain offre à Geneviève. Adulte et devenue très riche selon le monde, puisqu’elle a hérité de grands biens, cette femme d’Eglise respectée et écoutée, portera cet humble objet, signe de l’immense pouvoir d’amour de Dieu. Elle sera, à la suite du Christ, et dans une vie toute donnée et toute évangélique, celle qui sauve, donne du pain, repousse le démon, porte la lumière et encourage et guide les parisiens dont elle a la charge.
Le don de prescience
Fine politique, Geneviève possède le don de prescience. Elle comprend qu’Attila pour se rendre de Reims (qu’il venait de prendre) jusqu’à Toulouse afin de combattre les Wisigoths, doit passer par Orléans, en franchissant la Loire et non par Paris et la Seine. Elle enjoint donc les édiles de demeurer dans la ville. Alors qu’ils prévoient de la mettre à mort, elle rassemble leurs épouses dans l’église, sur le bord du Fleuve, à Saint-Jean-Le-Rond qui sert de baptistère (à présent rue du Cloître Notre-Dame).
« Que les hommes fuient, s’ils le veulent, s’ils ne sont plus capables de se battre. Nous les femmes, nous prierons Dieu tant et tant qu’Il entendra nos supplications. » (Fig. 4)
Un Archidiacre d’Auxerre, providentiellement arrivé, prouve aux édiles que Geneviève est bien « de Dieu », « élue dès le ventre de sa mère » (comme le dit le prophète Jérémie 1, 5). Les hommes ne fuiront pas et le Ciel entendra leurs prières, Paris sera sauvé « grâce à la protection du Christ ».
Le signe de la lumière
Le cierge allumé, qui est son attribut, est le symbole de sa foi qui ne peut s’éteindre. Selon sa Vie, deux miracles au moins émaillent l’édification de la basilique sur les restes de saint Denis et de ses compagnons saints Rustique et Eleuthère. Elle trouve miraculeusement des fours à chaux nécessaires à la construction. Un autre miracle a lieu alors qu’avec ses compagnes, elle avait l’habitude d’aller la nuit du samedi prier sur la tombe de Saint-Denis, en partant avant l’aube du dimanche (comme les Saintes Femmes se rendant au tombeau du Christ le matin de Pâques). Une nuit, une tempête particulièrement violente s’étant levée, leurs cierges s’éteignirent les plongeant dans la nuit noire. Par ses prières Geneviève obtient que les cierges se rallument miraculeusement. C’est bien encore le Christ qui agit pour elles, le Christ, lumière du monde (Jn 8, 12) qui brille dans la nuit du péché.
Les images de sainte Geneviève (principalement médiévales), la montrent tenant un cierge entre un ange et un démon (Fig. 5). Le démon tentant de souffler pour l’éteindre et l’ange s’activant à le rallumer à l’aide de sa bougie. Mais souffler n’est pas jouer… le diable reste impuissant face au Christ victorieux, lumière éternelle en nos nuits, dont Geneviève est la « compagne très fidèle ».
Le signe de l’eau
La fortune matérielle de Geneviève lui permet d’affréter des bateaux pour amener, par la Seine, du blé aux parisiens assiégés. Une barque figure sur de nombreuses images récentes de Geneviève, en particulier l’œuvre de Paul Landowski sur le pont de la Tournelle (détail : Fig. 6) « Geneviève dans sa pieuse sollicitude veille sur la ville endormie ».
Ainsi la voulait ce sculpteur français qui réalisera quelques années plus tard l’une des statues les plus connues au monde : le Corcovado, le Christ Rédempteur de Rio de Janeiro. Mais cette sculpture n’est pas tournée vers Notre-Dame, comme la voulait l’artiste ; toujours attentive aux besoins des hommes, elle fait face ici à l’Orient d’où est venu Attila. Elle protège un enfant qui tient contre lui une nef, rappel possible de la barque-Eglise depuis les premiers temps du christianisme et emblème historique de la capitale française (Fluctuat nec mergitur).
Le pain
Après les Huns, voici venir les Francs qui imposeront leur domination sur toute la Gaule, pour trois siècles. Childéric, puis Clovis son fils, vont faire subir de longs sièges à Paris. La famine menaçant, Geneviève réunit une flottille de onze bateaux et organise une expédition à Arcis-sur-Aube et à Troyes pour rapporter du blé venu de ses propriétés. Epouse de Dieu elle suit les préceptes du Christ « donnez-leur vous-même à manger ». Cette farine finement broyée puis pétrie pour faire du pain ne dit pas seulement la sollicitude de Geneviève pour les corps des parisiens.
Durant toute sa vie, et même au-delà, sa châsse est emmenée dans les rues de Paris en procession pour demander sa protection, elle ne cesse d’opérer des miracles, pétrissant ainsi la farine humaine toujours en attente du Verbe de Dieu, le Christ Jésus. Pour les chrétiens, ces miracles sont des signes de sa sainteté. Elle protège les Parisiens de toutes sortes de maux, les crues de la Seine et lors des épidémies du mal des ardents, cette terrible maladie due à l’ergot de seigle. La farine de seigle est celle du pauvre dont le pain noir est pétri. Lorsque les épis sont infectés par un parasite, un champignon, l’ergot de seigle, son ingestion cause des souffrances effroyables – d’origine inconnue en ces époques. La farine humaine aussi est avariée, rendue toxique par le péché. Mais par Celui qui peut tout, l’homme est guéri corps et âme de la maladie et de la lèpre du péché. Comme pour l’épisode du serpent d’airain (Nb 21, 9), bien que « mordus » par le mal des ardents, alors tenu pour un signe du péché*, les Parisiens guérissent au passage de la châsse de sainte Geneviève, signe du Christ vainqueur.
L’enfouissement
En ces temps où les hérésies* guettent, sainte Geneviève a su nouer des alliances avec les puissants de ce monde, afin de protéger l’unicité de l’Eglise du Christ. En 492, Clovis épouse Clotilde, une princesse burgonde catholique et préférant le christianisme catholique (donc universel) à la doctrine arienne. Clovis est baptisé à Reims, la nuit de Noël 499. Dans cette conversion les historiens reconnaissent la part décisive de Geneviève ; mais l’auteur de sa Vie minimise son rôle, pour Geneviève le temps de l’enfouissement n’est-il pas venu ?
La fin de sa vie est marquée de miracles et de guérisons qu’elle opère toujours par le signe de la croix. Elle sera inhumée auprès du roi Clovis dans l’église des Saints-Apôtres (Pierre et Paul), que sainte Clotilde avait fait construire, et qui prendra dès le VIIème siècle le nom de Sainte-Geneviève (Fig. 8). Ses reliques seront brûlées par les révolutionnaires en 1793, mais son tombeau vide, transporté dans l’église Saint-Étienne-du-Mont, continue d’être vénéré.
Le livre
Avec respect, sainte Geneviève porte un livre sur de nombreuses images (Fig. 9). Ce qui peut sembler étonnant car elle n’a jamais rien écrit. Dans l’iconographie chrétienne, le livre est l’attribut du Christ, Verbe de Dieu, des Prophètes, des évangélistes, des Pères de l’Eglise, des auteurs spirituels… Cette image que l’on retrouve sur les visuels de son année jubilaire 2020, nous dit qu’elle a vécu, et que toujours elle agit à la suite du Christ, selon l’Evangile. En cette difficile orée de l’année 2020, nous pouvons nous aussi, nous insérer dans la longue suite des siècles qui ont reconnu en Geneviève une grande sainte, protectrice non seulement de la ville de Paris et de ses habitants, mais de tous ceux qui souffrent, sont malades, ont faim et ont peur. Ainsi veille Sainte Geneviève de Paris.
Sylvie Bethmont
enseignante à l’Ecole cathédrale, Collège des Bernardins de Paris
Pour aller plus loin :
Quelques mots clés :
* Hagiographie : vie de saint, destinée à être lue durant la liturgie et la méditation. Plusieurs genres littéraires ou artistiques peuvent être regroupés sous ce terme, en premier lieu une Vie (Vita en latin), récit biographique et édifiant de la vie d’un saint personnage. Rédigés dès l’Antiquité, ces récits sont des sources historiques majeures (à côté de la littérature épistolaire : les Lettres), pour connaître une époque, voire un saint personnage comme Geneviève.
* Hérésies : condamnées par des conciles, des doctrines deviennent alors hérésies. Au temps de Geneviève deux doctrines, menaçant l’unité de l’Eglise, se répandront, l’Arianisme et le Pélagisme.
* Arianisme : Doctrine professée par Arius, (début du IVe siècle), elle est fondée sur la négation de la divinité de Jésus, elle a été condamnée par le concile de Nicée en 325.
* Pélagianisme : Doctrine que le pape François considère toujours comme « ennemie subtile de la sainteté » (« néopélagianisme », Evangeli gaudium, La joie de l’Evangile, 2013). A la fin du IVe siècle, Pélage moine britannique professe que, grâce à son libre arbitre, tout chrétien peut atteindre la sainteté par ses propres forces. Le concile de Carthage (418) puis celui d’Ephèse (431). Saint Germain d’Auxerre et saint Loup de Troyes partent la combattre en Grande Bretagne, à la demande du pape Célestin Ier, lorsque Saint Germain distingue Geneviève enfant et lui donne le signe de la croix.
* Le retable d’Issenheim (1512-1516), commandé par le couvent des Antonins qui se consacrent aux soins des malades affectés par le mal des ardents (ou feu de saint Antoine), dit de façon ultime l’étroite connexion entre le péché et la maladie. Le corps du Christ en croix, est comme lépreux : « Il a été fait péché pour nous afin que nous devenions en lui justice de Dieu » (2 Co 5, 21).
* Mérovingiens : dynastie franque (Ve-VIIIe siècle), fondée par Clovis (481–511), fils de Childéric 1er, Roi des francs. Après avoir réconcilié les francs avec les gallo-romains, Geneviève s’oppose en 465, à Childéric qui assiège Paris, elle approvisionne la ville en blé en forçant le blocus. Après 470, elle sera reçue par Childéric comme chef de la Curie. La ville résistera de même à l’avancée de Clovis qui, en 496, se convertira. Comme l’Empereur Constantin, que la victoire du Pont de Milvius, en 313, conduit à se placer sous le signe de la croix, Clovis, suite à la victoire inespérée à Tolbiac sur les Alamans, commence un chemin de conversion. Il entrera à Lutèce en janvier 500 et y installera sa capitale vers 507, date du début de la construction de l’église qui abritera les mausolées de Geneviève, de Clovis et de Clotilde (d’après Geneviève Mercier, avec tous mes remerciements).
Quelques liens :
* Un itinéraire du pèlerin sur le site d’Art, culture et foi/ Paris ACF
* Le site de l’artiste Alain Guillon
* Le site de l’artiste Sonia Chiapuso