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« Les pas de la Passion »

Ce magistral Chemin de croix, « Les pas de la Passion », de l'artiste brésilien Sergio Ferro a été commandé par le collectionneur Gilbert Delaine, qui avait invité de nombreux artistes contemporains à créer des œuvres autour du thème de la Passion. Ce Chemin de Croix contemporain est introduit par un texte de réflexion signé de l'artiste, Sergio Ferro. Chacune des quatorze stations est ensuite commentée par Anne da Rocha Carneiro, responsable de la commission diocésaine d'art sacré de Lille, qui présente également le parcours de Sergio Ferro. « Les pas de la Passion » offrent une vision puissante, originale et sensible du chemin de douleur du Christ.
Publié le 12 mars 2022

Sergio Ferro, Les Pas de la Passion, XIIe station, série réalisée entre 1985 ET 1987, collection Delaine © Centre d’art sacré © François Richir

Hegel considérait l’art, la religion et la philosophie comme des formes privilégiées de la manifestation de l’esprit. L’art en serait la voie sensible, la religion celle de la révélation, la philosophie celle de la raison. Dans les trois cas, il y a un type d’incarnation : dans le matériau pour l’art, dans le Christ pour la religion, dans l’identité de certitude et vérité pour la philosophie. L’art peut être donc une forme d’incarnation (mineure) de l’esprit –quand il correspond à son concept– or, de tout temps, l’art s’est approché de la religion, ses thèmes étant, par principe, adaptés à l’art. Les thèmes en particulier de la vie du Christ où l’idée d’incarnation est particulièrement présente dans l’enseignement de l’Église : naissance et mort. Dans la Passion, cette idée atteint son point extrême : l’humanité du Christ s’affirme par cet abandon à la mort, à l’histoire. C’est peut-être le sujet le plus approprié à l’art : l’incarnation jusqu’à son extrême.

Peindre, c’est s’abandonner au matériau. L’idée de départ ne doit pas s’imposer, méconnaître le matériau, mais le pousser, en tant que matière sélectionnée, préparée, développée, par l’histoire, à un regain de l’incarnation en elle engravée. Et plus encore s’agissant de la mort du Christ : son humilité, son abandon au sacrifice devient exemplaire. L’art implique humilité pour que l’esprit se révèle à partir du travail sur le matériau.

Ces « pas de la Passion » doivent beaucoup à la théologie de la libération, en particulier au P. Leonardo Boff, qui voit dans la Passion la souffrance du peuple des pauvres. D’où la pauvreté volontaire des moyens : la toile crue, la terre, blanc, noir. Les autres couleurs signalent d’autres personnages (Marie, Simon, Véronique, l’enfant…). Le Christ presque partout est en couleur de terre, il est fort puisqu’il lui faut de la force pour accepter son sacrifice, lui qui pouvait l’interrompre à tout moment.

La peinture doit traduire ce qui est interne : la force morale en force visible, la force physique.
L’ensemble est très orthodoxe : par exemple, le Christ ne porte pas toute la croix, mais seulement le patibulum auquel son bras est attaché par des cordes. Seule la nudité du Christ ne correspond pas à ce qui nous est relaté dans la Bible, mais elle correspond au profond dépouillement du peuple souffrant.

Sergio FERRO
(17 avril 2000)

 

I « Ecce homo »
Acrylique sur toile, 3e version, 1985.
Alors que Ferro a peint ici le sceptre, la couronne d’épines, le manteau et les mains liées, il a volontairement omis de dessiner le corps, symbolisant le vide éprouvé par le condamné lors de sa condamnation, signe renforcé par la tache noire.

II « Jésus prend la croix »
Acrylique sur toile, 3e version.
Afin de suivre les recherches menées en histoire biblique, le Christ est représenté portant le patibulum, et non la croix entière. Le noir du vide semble s’étaler, pleurer sur le sort du monde.

III « Jésus tombe pour la première fois »
Acrylique sur toile, 3e version.
La première chute se veut schématique, insistant sur la lassitude morale plutôt que sur l’épuisement physique de Jésus.

IV « Jésus rencontre sa mère »
Acrylique sur toile, 4e version, 1987.
L’ombre, provoquée par la chaleur de la rencontre des deux nuques, montre la synthèse, l’union entre la mère et son enfant. Le bleu intense, traditionnellement attribué à Marie, est une des rares touches de couleur de la série, soulignant l’espoir et l’humanité de la Vierge.

V « Simon de Cyrène »
Huile et acrylique sur toile, 5e version, 1987.
Le rouge représente Simon de Cyrène, alors que Jésus s’abandonne à l’aide apportée par cet homme. Le noir du vide semble se réduire.

VI « Véronique essuie le visage du Christ »
Huile et acrylique sur toile, 3e version, 1985.
Le thème de Véronique a largement inspiré l’histoire de l’art, en particulier à l’époque médiévale. La Véronique, dont la manche figure ici en rose, semble prendre la tête du Christ entre ses mains, recevant ses souffrances dans le voile à peine esquissé.

VII « Jésus tombe pour la deuxième fois »
Huile et acrylique sur toile, 3e version, 1987.
L’expression dominante ici est la fatigue du Christ s’approchant à chaque pas un peu plus de sa mort.

VIII « Jésus exhorte les femmes et les enfants »
Avec la collaboration de Francisco Ferro, 6 ans.
Le peintre a laissé son fils représenter le monde des enfants, estimant qu’un adulte ne  pouvait le transcrire aussi bien qu’un enfant lui-même.

IX « Jésus tombe pour la troisième fois »
Huile et acrylique sur toile, 4e version, 1987.
Par la déchirure de la toile, émerge le cœur du Christ, qui porte désormais sa croix en son propre corps.

X « Jésus est dépouillé de ses vêtements »
Huile et acrylique sur toile, 4e version, 1987.
Sergio Ferro n’a pas suivi la tradition, puisqu’il représente pour ce « pas » Jésus recouvert de linges.

XI « Jésus est cloué sur la croix »
Huile et acrylique sur toile, 3e version, 1987.
La douleur de la crucifixion n’étant pas représentable, le peintre a choisi de déplacer la souffrance de l’homme vers la toile. Ainsi, la déchirure constitue une métaphore de la peau clouée sur une croix absente. La diagonale des jambes, qui penche vers l’horizontale, illustre le mouvement de mort, de chute, qu’annonce la crucifixion.

XII « Jésus meurt sur la croix »
Huile et acrylique sur toile, 3e version, 1987.
À cette étape, le Christ perd ses couleurs, d’où les teintes blanches. L’artiste insiste en outre sur la symétrie comme allégorie de la mort, de l’immobilité.
La tête tombe en avant, signe de la mort effective du Christ.

XIII « Pietà »
Huile et acrylique sur toile, 4e version, 1987.
La Vierge portant le corps du Christ est à la fois l’image de la souffrance maternelle et la réponse douloureuse, visible par les larmes qui coulent, à la joie de l’Annonciation et de Noël. Le tableau est le pendant inversé du troisième pas. La pose des personnages est la même, mais l’artiste en a modifié l’axe de vision.

XIV « Jésus est déposé au tombeau »
Huile et acrylique sur toile, 3e version, 1987.
La toile se referme sur les vestiges du Christ. Le corps de Jésus est placé entre deux pierres, dont seule émerge la main du Fils de Dieu, main qui sauva si souvent, main qui refusa de se sauver et qui désigne celui qui laissa s’accomplir ce qu’il devait accomplir.

L’artiste et son œuvre

Le peintre Sergio Ferro est né en 1938 au Brésil et vit en France. Ses œuvres ont été exposées non seulement en France et au Brésil, mais aussi en Grèce, en Belgique, en Pologne, en Suède, en Italie, à Taïwan, à Hong-Kong et aux États-Unis. Certaines figurent dans des musées français, brésiliens, grec ou paraguayen.

Cet artiste, dont le travail est parfois qualifié de « maniériste », s’exprime régulièrement dans le cadre de séries, comme c’est le cas pour ce Chemin de Croix. Ces toiles appartiennent à l’Association diocésaine de Lille (collection Delaine). Les stations du Chemin de Croix, telles que les interprète Sergio Ferro, insistent sur le corps souffrant et sur le matériau, plus que sur l’aspect événementiel traditionnellement représenté. Chaque « pas » de cette série réalisée entre 1985 et 1987 est en effet pour l’artiste l’occasion de disséquer l’enveloppe humaine du Christ, et ainsi de réfléchir sur l’intensité douloureuse de la Passion.

Les Pas de la Passion de Sergio Ferro rappellent l’histoire du pays de l’artiste. Brésilien, il a connu les geôles des dictateurs, ce qui donne la profondeur de l’expérience au thème choisi. Parce que son État est marqué par la très grande pauvreté, le peintre choisit de traiter son sujet dans le plus grand dénuement, que ce soit par les matériaux, par les couleurs ou par les formes. C’est d’ailleurs à cause de cette situation économique désespérante que Ferro a souhaité ne pas représenter la quinzième station (ce qui est d’ailleurs conforme à la tradition la plus ancienne du chemin de croix). Enfin, marqué par l’expérience de la théologie de la libération, l’artiste rend ici hommage aux préoccupations sociales de l’Église sud-américaine.

Le cycle représente pour Sergio Ferro un véritable exercice d’ascèse, dans lequel il ramène la personne du Christ à l’essentiel.

Anne da Rocha Carneiro
responsable de la commission diocésaine d’art sacré de Lille

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