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Beethoven ou le geste musical

Au fur et à mesure de notre parcours, nous découvrons que l’écriture manuscrite est révélatrice de bien des choses : non seulement de la manière dont le compositeur maîtrise la technique de la transcription, mais de la porte qu’il nous entrouvre sur lui-même. Les manuscrits de Beethoven sont exemplaires à cet égard.
Publié le 22 août 2022
Écrit par Emmanuel Bellanger

Carl Bernhard Schloesser, Ludwig van Beethoven dans son bureau © Wikimedia commons

Il faut toujours se méfier des simplifications hâtives, mais on peut cependant affirmer que le XVIIIe siècle musical est plutôt un siècle de l’objectivité – les manuscrits de Jean-Sébastien Bach reflètent cette conception – alors que le XIXe évolue vers une plus grande subjectivité. La personne même du compositeur se révèle plus fortement. En conséquence, les styles de chaque créateur sont plus différenciés, plus personnels. Les manuscrits sont lumineux comme révélateurs de la personnalité de leur auteur.

Voici le manuscrit premier jet du début de la sonate dite Appassionata de Beethoven.

Beethoven, Manuscrit de la Sonate pour piano op. 57, dite « Appassionata » ©BNF

A première vue, cela semble peu lisible. On y distingue bien, malgré tout, les premières mesures de cette sonate. Mais ce ne sont pas les notes qui s’imposent au premier regard. Même à ceux qui n’ont pas les codes de lecture habituels, ce manuscrit « parle » comme parlerait un dessin, une esquisse. On sent dans cette écriture un geste fougueux qui jette les notes presque violemment sur le papier.

Notre curiosité est mise en éveil : que lit-on dans cette écriture ? Le mot appassionata, que l’on traduit par passionné perd une grande partie de son sens en français. En allemand, passion se traduit par Leidenschaft dont le sens est beaucoup plus riche et nous ouvre à la compréhension de ce manuscrit et de cette musique. Le mot allemand sous-entend l’idée de souffrance à la fois prévue et acceptée. Le geste vigoureux que suggère le manuscrit de Beethoven, ces lignes qui traversent l’espace comme un éclair, nous en apprennent beaucoup sur la vie douloureuse du compositeur et sur l’espérance qui, malgré les drames qu’il traverse, ne le quitte pas.

On conçoit aisément l’importance pour l’interprète de consulter la partition manuscrite pour saisir ce qui s’exprime et pouvoir le restituer fidèlement.

Notre oreille est prête à entrer dans l’intimité d’un compositeur et, peut-être, à percevoir dans cette musique une résonance avec notre propre vie. C’est cela l’écoute musicale : se retrouver soi-même dans ce que nous donne un autre.

Voici deux clés simples pour saisir le mouvement profond de ce premier mouvement de la sonate Appassionata composée par Beethoven en 1804/1805 :

L’œuvre s’ouvre sur une descente de trois notes suivies d’une brutale remontée qui traverse tout le clavier, dans un contraste dynamique impressionnant.  Tout est déjà dit dans ce contraste piano/forte, descente/remontée, dépression/rebond, désespoir/espérance… Tout le premier mouvement est fait de ce jeu contrasté. Cette lecture de l’Appassionata n’est pas gratuite : le titre donné à cette sonate n’est pas de Beethoven, il lui a été suggéré par son éditeur. Mais, contrairement à d’autres œuvres, le compositeur a donné son accord.

Un deuxième élément traverse ce mouvement. Vous reconnaîtrez facilement un rythme célèbre que l’on associe avec raison à Beethoven : trois brèves suivies d’une longue (ti-ti-ti-ta), celui de la Ve Symphonie, celui du destin. Il se trouve que les premières esquisses de cette symphonie datent justement de 1804 !

Beethoven souffre de son destin qui le frappe dans ce qu’il a de plus cher, son ouïe, mais il l’accepte douloureusement.

Cette force expressive des contrastes articule l’ensemble de l’architecture de cette sonate faite de trois mouvements où l’on éprouve l’alternance entre révolte et apaisement.

Ce que nous apprend ce manuscrit de la musique : bien plus que des notes artistiquement disposées. La musique c’est un geste, une fulgurance, une violence parfois. Quand on n’a plus de mots pour dire ce que l’on éprouve, on le chante.

Emmanuel Bellanger

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