Hymne pascale : « Regina caeli laetare. Alléluia ! »

Le bel article de Narthex sur le retable d’Issenheim restauré met en lumière dans une « euphorie éblouissante » la figure de la Vierge Marie, particulièrement dans sa propre expérience du mystère pascal : la vie, la mort et la résurrection de son divin Fils. Dans notre propre article du 5 avril 2021, nous présentions deux mises en musique de l’hymne du temps pascal « Regina caeli laetare ». En voici deux autres plus tardives, venues de deux environnements culturels différents.
Publié le 09 mai 2022
Écrit par Emmanuel Bellanger

Le texte de cette hymne que l’on chante en fin de journée durant le temps pascal peut s’articuler en trois brèves parties :

L’hymne commence par une adresse à Marie :

« Regina caeli laetare. Alléluia ! » Reine du ciel réjouis-toi. Alléluia !

Dans une deuxième section, le regard contemplatif se porte vers Celui auquel nous conduit Marie, le Christ :

« Quia quem meruisti portare, Alléluia ! » Car Celui que tu as mérité de porter

« Resurrexit, sicut dixit. Alléluia »  est ressuscité comme il l’a dit.

L’hymne se conclut par une invocation pour le monde :

« Ora pro nobis Deum. Alléluia ! » Prie Dieu pour nous. Alléluia !

Cette progression en trois parties trace pour le musicien la route, trois parties qui conduisent à la prière : adresse à Marie, message de Pâques, prière d’intercession.

C’est à Jean-Baptiste Lully (1632-1687) que nous devons cette première version. Nous sommes ici à Versailles, la musique est faite à la fois de la magnificence royale, de la luxuriance des décors (ici la richesse des vocalises), de l’expression d’humanité telle que la fait entendre opéras et autres tragédies lyriques. Cette page fait partie de ce qu’on appelle les « petits motets », petits car écrits pour une formation réduite, ici trois sopranes et un continuo.

L’œuvre s’organise en trois grandes sections, suivant ainsi l’architecture du texte.

La première partie Regina caeli met surtout en valeur le réjouis-toi avec ses exubérantes vocalises sur laetare

La deuxième partie forme classiquement contraste : c’est l’humanité de Marie et surtout de Celui qu’elle a mérité de porter qui est ici chantée dans le mode mineur.

Le deuxième volet de cette partie proclame le resurrexit sur des vocalises ascendantes rythmées sur un dessin pointé qui suggère une marche, une renaissance à la vie.

Enfin la troisième partie est celle de l’invocation : ora pro nobis est chanté sur des longues tenues, insistantes, presque douloureuses ici ou là, assombries par quelques dissonances. Nous sommes ici en pleine humanité, avec ses souffrances, ses doutes, ses insistances.

Mais chaque partie se conclut par de longs développements enthousiastes sur Alléluia, emportant ce bref motet dans un irrésistible mouvement d’espérance confiante.

C’est de la fin de son séjour à Salzbourg, donc vers 1780, que date le Regina caeli (K 276) de Mozart (1756-1791). Il avait donc autour de 24 ans. Cette brève page est destinée à une formation musicale complète : chœur à quatre voix et grand orchestre.

C’est toute la fougue de Mozart que l’on entend ici : dans un lumineux Ut majeur, la musique sonne, projette les mots avec vigueur, dans une musique où se laisse deviner la pleine confiance du compositeur dans sa foi personnelle. Le modèle reste pour lui les grands chœurs de Haendel : ne reconnaît-on pas une citation directe du fameux Alléluia du Messie ?

Bien que cette page soit écrite d’un seul tenant, on y discerne bien les trois parties de l’hymne : les changements de ton ou de mode, les rythmes qui sonnent à nos oreilles d’une résonance assez moderne : écoutez comment est traité rythmiquement le resurrexit sur une figure syncopée qui colore ce mot d’une saveur inattendue. L’évènement de la résurrection reste humainement bien mystérieux.

Ora pro nobis se trouve traité dans une atmosphère bien assombrie, mais comment entendre les rebonds si légers de violons, presque inattendus ?

L’ensemble de cette page sonne comme un chœur d’opéra. Pour Mozart, existe-t-il une frontière entre musique sacrée et musique profane ?

L’histoire nous apprend que la notion de musique « sacrée » au fond n’existe pas. Parce que le culte est exercé par des personnes qui vivent dans le monde, la musique cultuelle se nourrit, au fil du temps, des musiques culturelles successives.

L’opéra versaillais de Lully comme la musique baroque de Mozart chantent, chacun avec sa propre langue musicale, la même prière. Il en a toujours été ainsi et il en sera toujours ainsi.

Emmanuel Bellanger

 

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