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ET INCARNATUS EST

Si les fêtes qui s’achèvent n’étaient que la célébration d’un anniversaire, elles n’auraient pas tant d’importance dans le calendrier liturgique. La musique, quand elle chante l’évènement de la Nativité, est bien plus qu’une ornementation ou une amplification, elle est une manière de révélation qui peut aider les auditeurs à entrer dans la contemplation du Mystère de cet Enfant. Que nous révèlent donc les musiciens ? En voici quelques exemples.
Publié le 03 janvier 2022
Écrit par Emmanuel Bellanger

Jean Fouquet (c. 1420 – c. 1478/1481), Marie tenant l’Enfant-Jésus, Livre d’Heures de  Simon de Varie

La Missa De beata Virgine de Josquin Desprez (vers 1440-1521) dont nous avons célébré cette année le cinq-centième anniversaire du décès, est un bon exemple d’une pratique liturgique qui a entraîné une pratique musicale : sur les mots et homo factus estet il s’est fait homme, les ministres s’inclinaient et marquaient un arrêt dans le chant du Credo. Cette brève interruption du chant qui donnait à ces paroles toute leur importance – Dieu se fait l’un de nous – est devenue presqu’une règle en musique. Dans le Credo de la messe dite De beata Virgine, la polyphonie complexe se mue en transparence sonore qui appelle naturellement cette pause méditative.

La composition de la Messe en si mineur de Jean-Sébastien Bach (1685-1750) fut longue, coupées de nombreuses interruptions : de 1724 à 1749. Le centre du Credo, centre de l’ensemble de l’œuvre, est le réceptacle impressionnant de l’expression de la foi du compositeur. L’atmosphère générale de cet « et incarnatus est » peut surprendre : on est loin du folklore de Noël. C’est la gravité qui s’impose. On peut entendre trois parties dans cette page admirable.

La première, sur « et incarnatus est» est accompagnée d’un mouvement perpétuel descendant, chacune des notes de ces arpèges appuyée par une note accentuée, insistante, qu’on appelle une appoggiature. Ce procédé donne à l’ensemble de cette page une densité, une gravité qui nous conduisent au cœur de l’évènement de cette naissance.

La deuxième partie, sur « de Maria Virgine », est chantée au contraire sur un mouvement ascendant chromatique, qui évoque l’acceptation de la Vierge Marie au jour de l’Annonciation, mais dont le chromatisme trouble la transparence. L’Enfant qui entre dans le monde y accomplira sa mission salvatrice.

La troisième partie sur « et homo factus est » associe le mouvement chromatique ascendant à l’accompagnement de la première partie. C’est le miracle de la musique de dire beaucoup plus que chacun des éléments qui la composent : le jeu des montées et des descentes mélodiques, le contraste des transparences et des opacités harmoniques, l’insistance presque douloureuse de l’accompagnement instrumental, tout cela conduit l’auditeur vers le sens caché des évènements.

La Missa solemnis de Beethoven (1770-1827) fut composée autour des années 1820. C’est une autre méditation du mystère de l’Incarnation qu’exprime le compositeur. La souffrance qu’il a éprouvée tout au long de sa vie est connue : le sentiment de solitude et d’enfermement qui le séparait de ses frères humains : non seulement sa surdité mais aussi son caractère qui ne facilitait pas les rapports avec autrui. C’est une foi très personnelle que chante Beethoven dans cette page magnifique : foi en un Dieu libérateur de toutes entraves.

La première partie sur « et incarnatus est » est chantée par les solistes, sur un mode musical issu du chant grégorien. Le compositeur se situe dans une longue tradition. La flûte apporte une couleur qui rappelle la tradition pastorale de Noël.

Mais c’est la deuxième partie qui exprime la foi de Beethoven en un Dieu libérateur sur lequel il met toute son espérance : en un contraste vigoureux, un ré majeur lumineux que renforcent les cordes et les cors,  les mots « et homo factus est » s’imposent, éclatants, triomphants : c’est bien la foi sur laquelle s’appuie le compositeur dans sa faiblesse qui s’affirme ici.

Chanter le Credo, c’est, à la fois, entrer dans une longue tradition mais aussi s’approprier le texte. Chanter la foi, c’est entrer dans le long cortège des tous ceux qui nous ont précédés, c’est aussi renouveler la manière de la chanter. La foi demeure, la manière de la proclamer évolue. Ainsi Stravinsky (1882-1971) proposait en 1944/48 cette messe ; on y reconnaît sa manière personnelle de dessiner les mélodies de traits fermes, presque raides, volontairement inexpressifs. Mais on reconnaîtra aussi le traitement traditionnel sur les mots « et homo factus est », suivi de la cadence attendue et de quelques mesures instrumentales qui prolongent la contemplation du compositeur dont on connaît la foi profonde. Il s’agit d’un enregistrement historique sous la direction de Stravinsky lui-même.

Emmanuel Bellanger

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