Camille Saint-Saëns était célèbre au temps où il vivait peut-être davantage comme pianiste et organiste que comme compositeur. Il fut, en effet, titulaire de l’orgue de Saint-Merry à Paris en 1853, puis de la Madeleine en 1857. Voici un exemple de sa musique pour orgue avec ces pages intitulées Sept improvisations opus 150, publiées en 1917. On y perçoit la richesse de la palette musicale du compositeur, son imagination et son savoir-faire, sa culture.
Camille Saint-Saëns appartient à cette génération de musiciens de la fin du XIXe siècle et du début du XXe qui a cherché à ouvrir de nouvelles voies à la création musicale en s’appuyant sur une redécouverte des œuvres de siècles précédents. Il avait acquis une connaissance très approfondie de Jean-Sébastien Bach, par exemple, dont il aurait voulu s’inspirer dans sa musique d’église, en réaction aux musiques mondaines à la mode. C’est exactement ce que l’on peut percevoir dans son Psaume XVIII opus 42, créé en l’église de la Madeleine le 25 décembre 1865.
En voici le texte et l’organisation musicale :
1 : Introduction et chœur
Caeli enarrant gloriam Dei, et opera manuum ejus annuntiat firmamentum.
Dies diéi eructat verbum, et nox nocti indicat scientiam.
Non sunt loquelae, neque sermones, quorum non audiantur voces eorum.
Les cieux proclament la gloire de Dieu, le firmament raconte l’ouvrage de ses mains.
Le jour au jour en livre le récit et la nuit à la nuit en donne connaissance.
Pas de paroles dans ce récit, pas de voix qui s’entende.
L’œuvre s’ouvre sur un chœur brillamment introduit par l’orchestre sur un thème allègre et joyeux, comme il se doit un jour de Noël. Mais la science du compositeur se manifeste dès les mots opera manuum et Dies diei par une écriture en manière de fugue, comme le faisait Haendel.
2 : Soprano solo et chœur
In omnem terram exivit sonus eorum : et in fines orbis terrae verba eorum.
Mais sur toute la terre en paraît le message et la nouvelle, aux limites du monde.
Ce verset, chanté d’abord par une soliste puis repris par le chœur, est accompagné par clarinettes et bassons : ce message divin se répand modestement à partir d’une voix et de quelques instruments.
3 : Récit
In sole posuit tabernaculum suum : et ispe tamquam sponsus procedens de thalamo suo.
Là se trouve la demeure du soleil : tel un époux, il paraît hors de sa tente.
La musique ici se retire, laissant au texte toute sa place : tout est dit dans un récitatif comme Bach aurait pu en écrire.
4 : Chœur
Exultavit ut gigas ad currendam viam, a summo caelo egresso ejus :
Et occursus ejus usque ad summum ejus : nec est qui abscondat a calore ejus.
Il s’élance en conquérant joyeux. Il paraît où commence le ciel, il s’en va jusqu’où le ciel s’achève : rien n’échappe à son ardeur.
La musique traduit à sa manière l’image du soleil qui traverse le ciel : chœur d’hommes à l’unisson dont la voix est amplifiée par les cors, dessins ascendants des cordes, roulement de timbales. La musique ici se laisse aller au pittoresque.
5 : Duo de sopranos
Lex Domini immaculata, convertens animas : testmonium Domini fidele, sapientiam praestans parvulis.
La loi du Seigneur est parfaite, qui redonne vie ; la charte du Seigneur est sûre, qui rend sages les simples.
Saint-Saëns fait dans ce numéro une concession au style d’opéra cher au public de son temps, y compris à l’église. La présence de la harpe exprime-t-elle la perfection simple de la loi du Seigneur ?
6 : Quatuor
Justitiae Domini rectae sunt, laetificantes corda : praeceptum Domini lucidum, illuminans oculos.
Timor Domini sanctus permanens in saeculum saeculi : justitia Domini vera, justificata in semetipsa.
Les préceptes du Seigneur sont droits, ils réjouissent le cœur ; le commandement du Seigneur est limpide, il clarifie le regard.
La crainte qu’il inspire est pure, elle est là pour toujours ; les décisions du Seigneur sont justes et vraiment équitables.
Deux couleurs caractérisent ce numéro : la fermeté des thèmes vigoureusement dessinés comme pour qualifier musicalement ce que sont les préceptes divins. Mais la couleur générale assez sombre de cette page due à l’instrumentation (clarinettes, cor, bassons, cordes graves) teinte cette loi du Seigneur d’une certaine gravité.
7 : Quintette
Desiderabilia super aurum et lapidem pretiosum multum : et dulciora super mei et favum.
Etenim servus tuus custodit ea, in custodiendis illis retributio multa.
Plus désirable que l’or, qu’une masse d’or fin, plus savoureuse que le miel qui coule des rayons.
Aussi ton serviteur en est illuminé : les garder il trouve son profit.
Musique d’une belle suavité bien dans l’esprit du temps avec les arpèges de harpe, contrastant avec le retour de l’écriture fuguée sur Desiderabilia.
8 : Sextuor
Delicta quis intelligit ? Ab occultis meis munda me : et ab aliénis parce servo tuo.
Si mei non fuerint dominati, tunc immaculatus ero : et emundabor a delicto maximo.
Et erunt ut complaceant eloquia oris mei : et meditation cordis mei in conspectu tuo semper.
Qui peut discerner ses erreurs ? Purifie-moi de celles qui m’échappent. Préserve aussi ton serviteur de l’orgueil ; qu’il n’ait sur moi aucune emprise. Alors je serai sans reproche, pur d’un grand péché.
Accueille les paroles de ma bouche, le murmure de mon cœur, qu’ils parviennent devant toi.
Autre concession à la mode du temps : comme un morceau de bravoure, ce numéro réunit les six solistes. Il traduit cependant les sentiments suggérés par le psaume : syncopes pour exprimer les interrogations du psalmiste pécheur, mais confiance dans le bercement des cordes et le raffinement des harmonies.
9 : Mezzo-soprano
Domine adjutor meus et redemptor meus.
Seigneur, mon rocher et mon défenseur.
Une belle mélodie aux violoncelles reprise par la soliste concluait à l’origine cette œuvre sur un mouvement méditatif, tout intérieur.
10 : Chœur
Reprise intégrale du n° 1. Il n’était pas pensable de conclure une telle œuvre sur un ton méditatif. Là encore, il s’agit d’une concession à la mode du temps.
Saint-Saëns fut un acteur éminent du grand mouvement de restauration de la musique à l’église. Cela lui valut quelques incompréhensions d’un public qui ne cherchait dans la musique qu’une occasion de plaisir facile, alors qu’il aurait voulu retrouver la profondeur d’un Haendel ou d’un Bach. Il finit même par quitter la Madeleine. Son psaume XVIII est un beau reflet des contradictions entre un créateur exigeant et un public enfermé dans ses habitudes confortables. Question de tous les temps : la musique n’est-elle qu’un passe-temps sonore agréable ou l’expression profonde de la nature humaine et de ses grandes interrogations ?
Emmanuel Bellanger