C’est pour répondre à une commande du Boston Symphony Orchestra en 1930 que Stravinski écrivit sa Symphonie de Psaumes. Le titre est intéressant : il ne s’agit pas d’une symphonie des psaumes mais bien d’une symphonie de psaumes : le projet du compositeur est de faire résonner symphoniquement les uns avec les autres quelques psaumes. Cette symphonie se divise classiquement en trois mouvements dont je vous propose le final sur le psaume 150.
C’est la musique elle-même qui trace son propre parcours et nous entraîne à sa suite.
Il ne s’agit plus dans cette admirable page de suggérer une procession. C’est la musique elle-même qui trace son propre parcours et nous entraîne à sa suite.
Le psaume 150, dernier du psautier, est un chant de louange, qui appellerait une musique brillante, entraînante, éclatante. Or que nous offre Stravinski ? Une sorte de procession intérieure lente, presque plaintive sur Laudate = louez, répété plusieurs fois comme une marche lente mais à laquelle on ne résiste pas. Ce chant est une forme de marche qu’il faut suivre jusqu’à ce qu’on appelait jadis une station, un arrêt devant une image, une statue, ici sur le mot Dominum = le Seigneur : la musique marque une pause sur un accord doux et néanmoins lumineux. La louange n’est pas forcément exubérante, elle est aussi expression d’un mouvement intérieur qui laisse affleurer la contemplation muette du Dieu caché en chacun comme dans le cœur du compositeur.
Une itinérance trouve immanquablement sa fin, comme toute musique conduit vers son accord final.
Une procession ne se justifie pas par elle-même ; on chemine vers, une itinérance trouve immanquablement sa fin, comme toute musique conduit vers son accord final qu’il est loisible à chaque auditeur de poursuivre à sa manière. Voici une page sans doute peu connue mais de grande qualité qui évoque cette conclusion. Nous la devons au compositeur breton Guy Ropartz (1864-1955) qui nous offre cette musique intitulée Les Vêpres sonnent écrite en 1927 sur un poème de Louis Mercier. Toute liturgie commence par une itinérance à l’appel des cloches évoquées ici au début par des sonorités de quartes reprises à la fin de la pièce. Je vous propose de lire ce poème avant d’écouter la musique de Ropartz. Essayez d’imaginer les mots ou les images qui vont inspirer le musicien puis écoutez ce qu’il en a fait. Cela aussi est une forme d’itinérance qui nous conduit de notre lecture personnelle à l’accueil de celle d’un autre pour nous retrouver enrichis de ce que nous n’avions peut-être pas entendu.
C’est un dimanche de chez nous,
Le paysage nu frissonne
Au soleil d’hiver triste et doux…
Les Vêpres sonnent.
Personne ne travaille aux champs.
De loin les arbres solitaires
Ressemblent aux semeurs marchant
Au fond des terres.
Les rares maisons que l’on voit
Ont toutes leur porte fermée,
Et laissent filtrer de leur toit
Une fumée.
Rien n’émeut le calme décor.
Le vent songe, les bois écoutent,
Les feuilles qu’ils gardent encor
Se taisent toutes.
L’heure est pensive. Et l’on dirait,
Tant elle est grave en son sourire,
Que la terre garde un secret
Qu’elle va dire.
Et la paix, sous ce ciel qui dort,
Est si profonde qu’elle donne
Un avant-goût de bonne mort…
Les Vêpres sonnent.
Emmanuel Bellanger