Le psaume 129 (128 dans la Vulgate) de Lili Boulanger (1893-1918) date de 1916, l’année terrible de la Grande Guerre, celle où tout semblait bloqué, où les épreuves apparaissaient sans fin. Sans doute la compositrice a-t-elle trouvé dans ce texte le moyen d’exprimer sa souffrance et celle de ses contemporains.
Promise à une brillante carrière, ne fut-elle pas la première femme à obtenir le premier grand prix de Rome, la maladie l’ayant fauchée avant sa vingt-cinquième année. Son œuvre de ce fait est peu abondante mais d’une grande profondeur d’expression comme le montre ce psaume.
Cette page pour grand orchestre particulièrement riche en cuivres (trompettes, cors, trombones, tuba) percussion, baryton solo et chœur de femmes, est dramatique. L’auteur laisse la possibilité de remplacer le baryton solo par un chœur d’hommes chantant à l’unisson, ce qui donne encore plus de force à ce psaume : c’est le choix qui a été fait pour cet enregistrement.
La confiance est au cœur de cette prière du psalmiste plongé dans la souffrance. La musique de Lili Boulanger est un lent chemin du cri révolté vers le murmure confiant.
Voici le texte de ce psaume dans la traduction officielle liturgique :
Que de mal ils m’ont fait dès ma jeunesse
– A Israël de le dire –
que de mal ils m’ont fait dès ma jeunesse :
ils ne m’ont pas soumis.
Sur mon dos des laboureurs ont labouré
et creusé leurs sillons ;
mais le Seigneur, le juste
a brisé l’attelage des impies.
Qu’ils soient tous humiliés, rejetés,
les ennemis de Sion !
Qu’ils deviennent comme l’herbe des toits,
aussitôt desséchés !
Les moissonneurs n’en font pas une poignée,
ni les lieurs une gerbe
et les passants ne peuvent leur dire :
la bénédiction du Seigneur soit sur vous.
Au nom du Seigneur nous vous bénissons.
Ce texte peut se lire sur le ton de la violence et de l’imprécation jusqu’au bout. La musique de Lili Boulanger exprime la réalité du fond de l’âme du psalmiste et donc de la sienne propre en cette année 1916 bien sombre selon les apparences.
Cette page se présente comme un diptyque : une première partie introduite par de lourds accords rugueux et un chant violemment projeté aux oreilles de l’auditeur jusqu’à l’interruption de toute musique dans un silence impressionnant. Le deuxième volet de l’œuvre s’ouvre alors sur un recueillement apaisé, transfiguré par l’introduction d’un chœur de femmes vocalisant dans l’aigu, accompagnées des cordes. Nous pouvons vivre le déroulement de cette musique comme un mouvement de conversion de la révolte vers, non pas l’acceptation de ce qui est inacceptable, mais vers la confiance nourrie d’espérance. C’est sans doute le sens de la vocalise finale sur « Ah ».
En ce temps difficile qui est le nôtre, que cette musique nous apporte réconfort et paix.
Emmanuel Bellanger