LA PIERRE ET L’EAU I/II

Voilà un titre bien énigmatique pour entrer dans une écoute musicale. A bien examiner la question, on se rendra compte que cette sorte de périphrase touche à ce qu’est fondamentalement la musique : un jeu dialectique entre l’immobile et le mouvement. Au seuil de cette nouvelle année, voici quelques musiques à goûter qui nous invitent à la découverte.
Publié le 11 janvier 2021
Écrit par Emmanuel Bellanger

Les compositeurs ont cherché, chacun à sa façon et selon les environnements sonores de son temps, à associer la liberté de leur inspiration avec les rigueurs d’un discours artistiquement conduit. Pour cela, ils ont utilisé des formes musicales diverses comme celle que je vous propose de découvrir : la passacaille.

Toute musique se développe selon deux grands principes : la répétition et la variation. C’est ainsi que l’auditeur se reconnaît dans le chemin musical qui lui est proposé. La passacaille est une illustration parfaite de cela.

On pourrait assimiler la passacaille à une cascade où l’eau est toujours en mouvement coulant sur les rochers immobiles.

A l’origine, la passacaille était une danse lente d’origine espagnole. Elle est devenue au 17ème siècle un procédé d’écriture : sur une basse lente de quelques notes qui se répètent toujours identiquement à elles-mêmes, se déploie une musique toujours variée. On pourrait assimiler la passacaille à une cascade où l’eau est toujours en mouvement coulant sur les rochers immobiles. Voici, par exemple, une passacaille pour orgue de Dietrich Buxtehude (1637-1707), l’organiste de Lübeck que Jean-Sébastien Bach admirait au point de traverser une partie du nord de l’Allemagne à pied pour l’entendre.
Dans cette page, nous entendons 27 fois le même dessin à la basse sur lequel est construite une riche polyphonie toujours renouvelée.

Jean-Sébastien Bach a magistralement traité cette forme musicale dans sa fameuse passacaille pour orgue mais il nous en propose une autre pour un instrument inattendu ici : le violon. Le thème de basse est soit effectivement joué grâce aux double-cordes ou seulement présent dans ses enchaînements harmoniques toujours répétés mais avec une science dans l’invention rythmique et mélodique confondante. Cette page porte ici le nom de chaconne mais c’est la même chose qu’une passacaille. Voici la chaconne tirée de la suite en ré mineur pour violon :

Curieusement, les compositeurs de l’époque romantique n’ont pas utilisé cette manière décrire la musique. Il faut attendre l’époque presque contemporaine pour retrouver des passacailles. En voici deux exemples :
En 1944, exilé aux Etats-Unis, le hongrois Béla Bartok (1881-1945) répondit à la commande du violoniste Yéhudi Menuhin d’une sonate pour violon seul qui sera presque sa dernière composition. Cette admirable page, certes un peu âpre comme beaucoup de musiques de ce compositeur, s’ouvre par une passacaille que voici, jouée par son commanditaire et créateur :

En 1951 est créée la Première symphonie d’Henri Dutilleux (1916-2013) qui commence, elle aussi, par une passacaille. Comme le dit un critique de l’époque : « Le thème de la passacaille ne paraît pas franchement, il émerge de la brume, il s’étire, grandit, se transforme, se résorbe et s’éteint sans conclure. » On peut le suivre pourtant facilement grâce à une orchestration limpide : on le reconnaît, joué par les violoncelles et contrebasses en pizzicati.

Quand un compositeur choisit s’utiliser cette forme musicale au service d’un texte, en quoi ledit texte est-il enrichi ? C’est ce que je vous propose d’examiner lors de notre prochain article.

Emmanuel Bellanger

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