Voir toutes les photos

BEETHOVEN ET NOUS

La musique, certes, porte la trace de l’époque de sa composition. Pourtant, elle n’est pas figée dans une immobilité éternelle ; c’est même tout le contraire. Il n’y a véritablement de musique que le jeu des résonances au moment où elle est jouée. Cela n’est-il pas susceptible d’éclairer les œuvres dites du répertoire d’une lumière inattendue ?
Publié le 15 juin 2020
Écrit par Emmanuel Bellanger

Nous sortons d’une étrange période qui nous a remis devant des réalités que nous avions un peu oubliées : interruption des activités, immobilisme, ignorance de l’avenir immédiat. Les questions inévitables ont surgi : où sommes-nous ? Quand tout cela finira-t-il ? Vers quoi nous dirigeons-nous ? Tout ce qui occupait nos journées était habité par ces incertitudes, comme sur cette toile de Caspar-David Friedrich l’homme semble bien petit et seul devant cet espace infini et menaçant.

Caspar David Friedrich, Le Moine au bord de la mer, huile sur toile, 1808-1810 © Wikimedia Commons

Même la musique entendue en ces jours s’est teintée de couleurs inattendues, par exemple Beethoven dont nous célébrons, cette année, le deux-cent-cinquantième anniversaire de la naissance.

Le 9ème quatuor à cordes opus 59 n° 3 appartient au groupe des trois quatuors dédiés au comte Razumovsky dont ils portent le nom. Ils datent de 1806.

Le premier mouvement, andante con moto puis allegro vivace, s’ouvre sur une musique vraiment surprenante, plaçant l’auditeur que nous sommes devant une grande perplexité : il n’y a pas de tonalité bien affirmée – on module à chaque accord – il n’y a pas de thème proprement dit, pas davantage de rythme : en un mot, où sommes-nous, vers quoi nous dirige cette musique énigmatique ? Cette introduction se clôt, après une mesure complète de silence total, puis quatre mesures d’immobilité sur le même accord d’attente. Nous sommes comme devant un mur infranchissable et pourtant, juste après, deux accords plus dynamiques ouvrent sur l’allegro que nous entendons comme un nouveau départ. L’inconnu angoisse : on aimerait toujours savoir… La surdité s’aggrave déjà pour Beethoven, le conduisant à se heurter aux graves questions de la vie : pourquoi est-il touché dans le sens qui devrait être le plus développé chez un musicien ?

Cela ne rejoint-il pas quelque peu nos propres interrogations et incertitudes aujourd’hui ? Nous avons connu une première page d’incompréhensions devant des évènements que nous ne pouvions ni prévoir, ni contrôler ; mais voilà que la lumière, que l’on croyait menacée, scintille à l’horizon et que la vie repart, comme le caractère dansant de cet allegro. Cette lecture du début du 9ème quatuor de Beethoven n’a rien de musicologique mais nous rappelle une chose : la musique sur le papier n’existe pas, elle n’existe qu’au moment où elle est jouée et entendue, c’est-à-dire au moment où elle nous rejoint dans l’intimité de nos vies.

Emmanuel Bellanger

Contenus associés
Commentaires
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *