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Jésus au Jardin des Oliviers, à l’écoute de Beethoven

Les fêtes pascales approchent. Nous commémorerons les évènements qui fondent l’Eglise : la mort et la résurrection du Christ. Cette année, les célébrations pourraient bien se dérouler de façon toute particulière, circonstances sanitaires obligent. Il ne s’agit pas seulement de célébrer un anniversaire et de nous remémorer ce qui est arrivé il y a plus de 2000 ans, mais de chercher aujourd’hui un sens à la vie et aux évènements. Ludwig van Beethoven est un témoin de cette aspiration de l’humanité à trouver le chemin de la vérité.
Publié le 23 mars 2020
Écrit par Emmanuel Bellanger
 
El Greco, L’Agonie au Jardin de Gethsémani, huile sur toile, c. 1610-1612 (détail), musée des Beaux-Arts de Budapest © Wikimedia Commons

Le Christ au Mont des Oliviers est le seul oratorio de Beethoven : il fut écrit à la toute fin de 1802 et au début de 1803 par un compositeur de 33 ans. On décèlera facilement dans cette musique l’influence de l’opéra italien avec ses effets vocaux plus proches apparemment du théâtre que du sanctuaire : Beethoven s’est formé entre autres, auprès de Salieri, le compositeur à la mode à Vienne à cette époque.

Mais il ne faut pas s’arrêter à cette seule impression. Les années 1802/1803 sont celles des premiers symptômes de la surdité qui le plongent dans une terrible angoisse. Le fameux Testament d’Heiligenstadt dans lequel il confie à ses frères sa souffrance, date de ces mêmes années. Il y écrit :

« Comment cela fut-il possible que je dusse pointer la faiblesse d’un sens dont le degré de perfection chez moi dût être plus élevé que chez les autres, un sens dont je disposais autrefois avec la perfection la plus élevée. »

Mais l’espérance l’habitait malgré tout, avec une insistance dramatique :
« Ô Providence, fais advenir encore une fois pour moi un jour de joie immaculée. »

Nous entendons des échos de la souffrance intime du compositeur dans cette musique. Les évènements évoqués prennent alors pour nous une signification renouvelée, peut-être même davantage qu’une signification. 

Le Christ au Mont des OliviersChristus am Ölberg s’ouvre sur une introduction orchestrale grave, sombre, ponctuée de discrets battements de timbales qui évoquent une marche funèbre. La tonalité de mi b mineur s’éclaire en passant au mode majeur pour laisser la place au chanteur qui personnifie le Christ.

Voici le texte du poète Franz Xaver Huber (1760-1810) :

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Jehova, du mein Vater ! O sende Trost und Kraft und Stärke mir. Sie nahet nun, die Stunde meiner Leiden, von mir erkoren schon, noch eh’ die Welt auf dein Geheiss dem Chaos sich entwand. Ich höre deines Seraphs Donnerstimme, sie fordert auf, wer statt der Menschen sich vor dein Gericht jetzt stellen will. O Vater ! Ich erschein’ auf diesen Ruf. Vermittler will ich sein, ich büsse, ich allein, der Menschen Schuld. Wie könnte dies Geschlecht, aus Staub gebildet, ein Gericht ertragen, das mich, mich deinen Sohn, zu Boden drückt ! Ach sieh’, wie Bangigkeit, wie Todesangst mein Herz mit Macht ergreift ! Ich leide sehr, mein Vater ! O sieh’ ! Ich leide sehr, erbarm’dich mein !

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Jehova, toi mon Père ! Ô accorde-moi confiance, énergie et force. Elle approche maintenant l’heure de mes souffrances, que j’ai déjà choisie pour que le monde s’éloigne du chaos que tu avais ordonné. J’entends la voix de ton séraphin, voix de tonnerre, qui veut se dresser au lieu des hommes devant ton jugement. Je veux être médiateur, j’expie moi seul la faute des hommes. Comment cette race faite de poussière pourrait endurer une condamnation qui me jette à terre, moi ton fils ! Ah vois avec quelle frayeur, quelle angoisse mortelle mon cœur est violemment saisi ! Je souffre beaucoup, mon Père ! Je souffre tant, aie pitié de moi.

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Le premier air de cet oratorio est traité en récitatif : la musique suit le texte en traduisant dramatiquement les mots. Les sauts mélodiques, les contrastes dynamiques, les envolées violentes vers l’aigu, tout cela vient de l’esthétique du chant italien du 18ème siècle, mais rencontre dans l’âme du compositeur un écho qui parvient jusqu’à nous.

A ce récitatif succède un air de ténor où Jésus exprime d’une autre manière son angoisse : il est remarquable d’écouter comment la musique de Beethoven éclaire par endroits le caractère sombre et désespéré du texte. La lumière au bout de la route, si escarpée soit-elle, brille faiblement mais réellement.

L’œuvre s’achève, selon la tradition de l’oratorio certes, mais plus profondément selon les aspirations de Beethoven sur un chant de louange et d’action de grâce au Christ vainqueur de la mort.

Au-delà de l’angoisse du Seigneur devant l’épreuve, c’est l’angoisse toute humaine de Beethoven qui s’exprime, et à travers la sienne, c’est toute la souffrance de l’humanité qui crie à Dieu son désir de comprendre.

Au-delà de l’angoisse du Seigneur devant l’épreuve, c’est l’angoisse toute humaine de Beethoven qui s’exprime, et à travers la sienne, c’est toute la souffrance de l’humanité qui crie à Dieu son désir de comprendre. Si les fêtes pascales n’étaient qu’une commémoration, elles seraient certes importantes mais n’auraient aucun sens pour notre vie. A travers l’homme Beethoven qui prête sa voix au Christ, c’est la nôtre qui chante sa confiance et son espérance au milieu des épreuves dans lesquelles l’humanité est plongée mais le regard toujours tourné vers une lumière presqu’invisible mais réelle. C’était la foi de Beethoven, qu’il cherche à nous faire partager, comme il l’a dit lui-même.

Que l’univers chante action de grâce et honneur au sublime fils de Dieu. Louez-le, vous les chœurs des anges, entonnez la sainte jubilation.

Emmanuel Bellanger

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