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Les Grandes « Ô »

Ce titre doit vous paraître bien énigmatique. Au cours de l’office de Vêpres des sept jours qui précèdent Noël, la liturgie propose comme antiennes du Magnificat sept pièces particulières. Ces textes riches et imagés ont, évidemment, inspiré les musiciens. En voici deux exemples.
Publié le 06 décembre 2019
Écrit par Emmanuel Bellanger

Une antienne est une courte pièce musicale que l’on chante en introduction d’un psaume ou du Magnificat (cantique de Marie) et en conclusion.

Au fur et à mesure que l’on s’approche de Noël, l’appel liturgique au Seigneur pour qu’Il vienne enfin se fait de plus en plus insistant. C’est l’objet de la prière de ce qu’on appelle les antiennes « Ô »

Au fur et à mesure que l’on s’approche de Noël, l’appel liturgique au Seigneur pour qu’Il vienne enfin se fait de plus en plus insistant. C’est l’objet de la prière de ce qu’on appelle les antiennes « Ô » parce qu’elles commencent toutes par cette interjection. Outre ce point commun, elles se concluent toutes par le même appel : viens ! Enfin, elles proposent à notre contemplation des images et des expressions venues de la Bible pour nous montrer la profondeur de l’attente des hommes et l’incommensurable grandeur de Celui qui doit venir. Chacune de ces antiennes commence par une adresse : Ô Sagesse – Ô Adonaï chef du peuple d’Israël – Ô souche de Jessé – Ô clé de David – Ô soleil levant – Ô Roi des Nations – Ô Emmanuel…

Roccella, vitrail en dalle de verre © Wikimedia Commons

Le grégorien nous donne à chanter ces sept antiennes sur la même trame musicale relativement dépouillée : le chant se déploie calmement, dans un sentiment de confiance, mettant en évidence certains mots en s’élançant vers l’aigu pour traduire l’espérance ou plongeant dans le grave pour évoquer la réalité de la vie humaine. Voici le texte de la cinquième antienne sur laquelle nous nous arrêterons :

Ô Oriens, splendor lucis aeternae et sol justitiae : veni et illumina sedentes in tenebris et umbra mortis.

Ô Orient, splendeur de la lumière éternelle et soleil de justice : viens et ilumine ceux qui habitent dans les ténèbres et l’ombre de la mort.

Le contraste entre l’envol sur justitiae et la plongée sur tenebris est éloquent.

Gesualdo (1566-1613) a laissé dans les mémoires le souvenir d’un personnage sulfureux dont la vie fut entachée de pas moins de deux assassinats. Il semble que la fin de sa vie fut assombrie par les remords. Tout cela nous importe peu aujourd’hui pour goûter les finesses de sa musique. Le motet Ô Oriens splendor lucis aeternae sur ce même texte d’une antienne Ô se trouve dans le deuxième livre des Sacrae Cantiones, Chants sacrés à six voix, publié à Naples en 1603.
Les directives du Concile de Trente (1545-1563) qui demandait simplicité, absence d’artifices, intelligibilité du texte, n’ont pas empêché Gesualdo de déployer dans cette page toute la science et la sensibilité de son art en combinant les lignes mélodiques entre elles dans une écriture fort complexe.

Voici une version contemporaine de cette même antienne. Le compositeur polonais Pawel Lukaszewski est né en 1968. Il se situe résolument dans la lignée des maîtres de la polyphonie du 16ème siècle comme Palestrina ou Roland de Lassus. Son œuvre est essentiellement chorale : le langage harmonique est bien celui de notre temps. Si Palestrina était notre contemporain, c’est sûrement dans ce style qu’il écrirait sa musique. Francis Poulenc avait montré la voie en ce sens. On remarquera comment le compositeur met en valeur les mots lucis, veni, tenebrae… L’image sonore est traditionnelle du chant sacré, celle d’un chœur sans instruments (a cappella), mais la dynamique (les nuances) est contemporaine dans des effets de contrastes vigoureux, presque expressionnistes par moment.

Emmanuel Bellanger

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