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Le choral luthérien [3/3]

Il est probable que vous ne lirez pas cet article aujourd’hui 25 décembre, mais un peu plus tard. C’est exactement pour ces jours qui suivent la fête de Noël que Jean-Sébastien Bach a composé sa cantate n° 122 que je vous propose d’écouter. Nous y découvrons la place importante qu’occupe le choral dans ces œuvres.
Publié le 25 décembre 2017
Écrit par Emmanuel Bellanger

En ouverture voici, joué à l’orgue (c’est-à-dire sans les paroles que les auditeurs de l’époque connaissaient par cœur) le choral sur lequel est bâtie la cantate 122 : « das neugeborne Kindelein, le petit enfant nouveau-né apporte une nouvelle année à la légion des chrétiens, ses élus. » Nous en devons le texte au pasteur Schneegass (écrit en 1507) et la musique au compositeur Melchior Vulpius (écrite en 1608).

Le ton général de cette cantate peut surprendre pour un lendemain de Noël : nous sommes loin du pittoresque de nos crèches avec leurs bergers et leurs bêtes. La musique de Bach entrerait plutôt en résonance avec cette Nativité du Retable de Dresde attribuée à Albrecht Dürer : s’il n’y avait les angelots voletant au-dessus de Marie et des deux personnages sur les panneaux latéraux – Saint-Antoine à gauche et Saint-Sébastien à droite – cette présentation de la naissance du Christ est bien austère : il nous est ainsi rappelé que cet Enfant nouveau-né est venu parmi nous pour accomplir la mission  que lui a confiée le Père. Cette peinture n’est pas une photographie avec des personnages dans un décor, elle conduit notre regard vers l’essentiel, au-delà de ce que nous voyons.

Attribué à Albrecht Dürer, Retable de Dresde, 1496

C’est exactement ce que Jean-Sébastien Bach se propose de nous faire vivre dans sa cantate 122 pour le lendemain de Noël.

Dans la tradition luthérienne, la cantate n’est pas un simple moment musical, un peu comme une détente entre les lectures et la prédication. Elle est, au contraire, un moment de grande intensité spirituelle, une appropriation et un approfondissement de la Parole de Dieu qui vient d’être proclamée. Bach était parfaitement conscient de cette mission en composant ses cantates. On comprend aisément la relative modestie de cette cantate 122 destinée à être donnée juste après les moments denses de musique que sont les célébrations de Noël. Conçue comme une prédication chantée, il est nécessaire d’ouvrir nos oreilles à ce que la musique nous révèle du message de la Nativité.

Pour mieux entendre

Le ton général de cette cantate n’est pas sans quelque gravité qui peut sembler inappropriée pour un temps de Noël : sol et ut mineur teintent l’ensemble d’une couleur assombrie. Cependant les instruments utilisés, donc le timbre général de la cantate, évoquent le traditionnel paysage pastoral qui entoure la crèche : les hautbois et les flûtes à bec sont les instruments propres aux bergers.

Le premier mouvement de la cantate 122 fait entendre la première strophe du choral à la voix de soprano qu’accompagnent les autres voix et les instruments champêtres.

Tout change brusquement au deuxième mouvement en forme d’aria confiée à la voix de basse : « O hommes, vous qui péchez chaque jour, vous devez être la joie des anges » : la musique se désarticule en envolées et en chutes violemment interrompues, en mouvements désordonnés et inaboutis. Où sommes-nous ? Le péché est ressenti comme un trouble de l’harmonie du monde. Ecoutez les soubresauts de la viole de gambe.

Le troisième mouvement est un récitatif de soprano, cœur de la cantate, lieu du basculement entre le trouble du péché et l’harmonie retrouvée de la grâce qu’apporte le Sauveur en la personne de cet Enfant. La douce sonorité des trois flûtes à bec nous ouvre à la contemplation reconnaissante : « les anges emplissent l’espace de leurs chants pour se réjouir de votre salut ».

Au quatrième mouvement voici un merveilleux exemple du pouvoir de la musique : la voix d’alto chante une nouvelle strophe du choral « Puisque Dieu est notre ami, que pouvons-nous craindre de l’ennemi ? », alors que les voix de soprano et de ténor enchâssent les vers du choral de leur propre méditation : « Que peut contre nous l’ennemi ? Sa colère ne peut nous ôter l’espérance ». Dans cet enchevêtrement, ne sommes-nous pas au cœur même de notre propre expérience où nous connaissons alternativement et souvent simultanément la tristesse et la joie ?

Vient alors comme cinquième mouvement un nouveau récitatif à la basse mais apaisé cette fois. La voix du soliste est accompagnée par l’ensemble des cordes. Bach utilise ce procédé dans ses Passions pour distinguer la voix du Christ des autres voix. Ici, cet environnement instrumental et ce débit presque solennel donnent au chant gravité et profondeur comme si c’était Dieu lui-même qui se faisait entendre par la gorge du chanteur : « Voici ce jour que Dieu a fait, qui donne son Fils au monde ».

Le sixième mouvement conclut la cantate par le chant de la dernière strophe du choral, reprise, au temps de Bach, par toute l’assemblée.

Voilà une méditation du mystère de Noël bien grave, semble-t-il, pour notre imaginaire ! Mais c’est bien de cela qu’il s’agit, tant dans la peinture de Dürer que dans cette cantate : le mystère de l’Incarnation annonce le sacrifice du Christ (suggéré par l’enfant nu couché sur un linge blanc comme un linceul) et la véritable joie, celle de Pâques, vers laquelle nous oriente Jean-Sébastien Bach.

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