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Matisse, créateur d’ornements liturgiques: La Chapelle de Vence 1/2

La chapelle de Vence constitue un des seuls exemples de la conception simultanée d’ornements sacerdotaux et de leur lieu de destination ; une occasion rare pour un artiste de concevoir une œuvre liturgique totale, en adéquation avec chacun des éléments qui la composent.
Publié le 20 octobre 2014
Le projet de la chapelle

La création de la chapelle est initiée par la sœur Jacques Marie. Cette dernière, de son nom civil Monique Bourgeois, a été l’infirmière et le modèle de Matisse pendant sa convalescence au début des années 1940, période durant laquelle ils développent une forte amitié. En 1946, renouant le contact perdu durant la guerre, la jeune femme, fraîchement entrée chez les dominicaines du Rosaire de Vence, parle à Matisse d’un projet de chapelle destiné à sa congrégation, auquel l’artiste répond positivement.

Découvrez ici en images la chapelle du Rosaire de Vence réalisée par Matisse.

Matisse y consacre quatre années de sa vie, créant une œuvre totale – architecture, vitraux, aménagement intérieur, objets liturgiques – qu’il considère « malgré toutes ses imperfections comme son chef-d’oeuvre », le « résultat de toute une vie consacrée à la recherche de la vérité » (1) confie-t-il en 1951 à Mgr Rémond, évêque de Nice.

L’élaboration des ornements

Matisse s’attèle aux chasubles à la fin de l’année 1950. Il a alors conçu la chapelle, l’autel, les stalles et les assises de la nef, et réalisé les vitraux de la chapelle, dans des tons de bleu, vert et jaune, ainsi que trois compositions monumentales dessinées à l’émail noir sur céramique blanche, figurant un Saint Dominique, un chemin de croix et une Vierge à l’Enfant.
Le père Couturier, un des acteurs de premier plan du renouveau de l’art d’église, assiste Matisse dans sa conception de la chapelle. Il l’informe de la codification des couleurs liturgiques et lui suggère le choix de la chasuble gothique, dont il lui fournit un patron.

Maquette de la chasuble rouge © Succession H. Matisse, photo © chenliga

Le militantisme du père pour l’usage de la coupe ample – l’un des chevaux de bataille de la revue l’Art sacré – semble rencontrer l’inspiration de Matisse. Celui-ci écrit au père Couturier : « Je pense à ce costume nouveau, sorte de toge très simple sur laquelle on pourrait appliquer des panneaux de couleurs diverses relatives au caractère de l’office du jour. »(2)

Il convient néanmoins d’indiquer que l’originalité des chasubles de Vence ne tient pas tant dans le choix d’une chasuble de coupe gothique – réhabilitée, dans les faits, depuis plusieurs décennies –, qu’à sa recherche ornementale et son investissement iconographique, sur lequel nous reviendra plus loin (3). La remarque de Matisse nous montre que l’artiste a conscience de devoir intégrer les couleurs liturgiques à sa création, qu’il entend aborder en qualité de plasticien, telles des gouaches à disposer sur un tableau. Matisse va aisément assimiler cette contrainte liturgique et l’intégrer harmonieusement à son approche de la couleur au sein de la chapelle.

L’Art sacré, dans un article consacré aux chasubles de Vence, produit à ce sujet une belle formule d’inspiration musicale : « Dans le cadre sobre et dépouillé auquel elles sont destinées, leur somptuosité vient jouer avec celle des vitraux comme une sorte de contrepoint. » (4)

Matisse, convalescent, travaille depuis son lit, duquel il a déjà réalisé, grâce à un fusain fixé au bout d’une perche, les études préparatoires de la décoration intérieure de la chapelle. Il y conçoit l’ornementation des chasubles à partir de la technique des gouaches découpées, déjà employée pour la conception des vitraux, et réalise une vingtaine d’études de chasubles. Il est assisté par son aide d’atelier, Paule Martin, qui épingle et ré-épingle jusqu’à satisfaction de l’artiste les formes sur des papiers reprenant le patron du père Couturier.

Alfred Barr, directeur du MoMA de New York, se souvient de l’élaboration des chasubles : « En 1952 quand j’ai vu Matisse pour la dernière fois dans son atelier de Nice, il y avait une vingtaine de maquettes de chasubles étalées sur le mur comme des papillons géants. (…) Elles me parurent compter parmi les œuvres les plus pures et les plus rayonnantes créées par Matisse. » (5)

La confection

L’artiste conçoit six ornements, comprenant chacun une chasuble, une étole, un manipule et un voile de calice.
Ils en confient la réalisation aux religieuses de Sainte Catherine de Ricci, une congrégation dominicaine établie à Cannes. Leur atelier de paramentique, actif depuis l’entre-deux guerres (6),  conçoit à la fois le design et la réalisation des pièces. Les sœurs cousent, brodent, et maitrisent également la technique du tissage. Sœur Marie Vincent, à la tête de l’atelier, est une ancienne élève de Maurice Denis. Toujours au fait de l’actualité artistique du moment, douée de ses mains et d’une grande curiosité intellectuelle, elle s’attèle à orienter leur production dans le sens d’une avant-garde esthétique toujours renouvelée, conjuguée à des techniques de confection diversifiées et modernes (7).

Dans sa lettre adressée au père Couturier, Matisse évoque un atelier – fort probablement celui des dominicaines – en des termes élogieux : « J’ai l’intention de voir à ce sujet les sœurs brodeuses et tisseuses aux doigts respectueux du grand style. » (8)

Dalmatique d’un ornement destiné au Grand Séminaire de Reims, Atelier des dominicaines de Sainte Catherine de Ricci, 1933. Musée d’art religieux de Fourvière, Lyon.

Une belle collaboration pour laquelle les sœurs, habituées à concevoir l’esthétique des ornements, vont se mettre au service de l’artiste : avec finesse, elles transposent par empiècements textiles les gouaches découpées de Matisse, en veillant à respecter jusqu’à l’irrégularité des coups de ciseaux de l’artiste.

Matisse, très exigent concernant le choix du tissu et soucieux d’obtenir avec précision la nuance souhaitée, sélectionne des soieries lyonnaises dont il fait teindre plusieurs échantillons par des teinturiers de la même ville. L’harmonie chromatique de son travail le pousse à choisir jusqu’à la couleur des doublures, visibles lorsque l’officiant, en mouvement, soulève les avant-bras.

Projet de chasuble, Atelier des dominicaines de Sainte Catherine de Ricci, ca. 1930. Musée d’art religieux de Fourvière, Lyon.

Marine Ferrero

Découvrez très prochainement sur Narthex le second volet de l’article de Marine Ferrero consacré aux ornements liturgiques de Matisse, dans : Matisse, créateur d’ornements liturgiques. La chapelle de Vence 2/2.


1. Lettre de Matisse à Mgr Rémond, 25 juin 1951, cité par Françoise Caussé dans son article Matisse et Vence, Notre histoire, n°190, Juin‐Août 2001, p.47
2. Lettre de Matisse au père Couturier, 31 octobre 1950, cité dans Marc Chauveau, Les chasubles de Matisse pour la chapelle du Rosaire à Vence, Art liturgique et modernité à l’Atelier des dominicaines. 1930-­1990,  Musée d’art religieux de Fourvière, 20 juillet 2011 – 8 janvier 2012, p.15
3. Voir : Matisse, créateur d’ornements liturgiques. La chapelle de Vence 2/2
4. L’Art sacré, 5-­‐6, Janvier-­‐Février 1955, p.18. Le terme de contrepoint, qui consiste en la superposition de lignes mélodiques, est employé ici pour exprimer l’harmonie créée entre les vitraux et les ornements. 
5. Isabelle Monod-­‐Pontaine : Catalogue des collections Matisse du MNAM, p.393, cité dans Les chasubles de Matisse, Musée Matisse, Le Cateau-­‐Cambrésis, 15 mars – 15 juin 1997, p.3
6. La communauté est alors installée en région parisienne.
7. L’atelier ferme dans les années 1990.
8. Lettre de Matisse au père Couturier, 31 octobre 1950, cité dans Marc Chauveau, Les chasubles de Matisse pour la chapelle du Rosaire à Vence, Art liturgique et modernité à l’Atelier des dominicaines. 1930-1990, Musée d’art religieux de Fourvière, 20 juillet 2011 – 8 janvier 2012, p.15

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