L’aventure commence en 2013 lorsque la Citadelle de Besançon, patrimoine mondial de l’UNESCO, commande à la société de production CLAP 35 un spectacle immersif multimédia sur l’histoire de la ville et de la fortification Vauban. Afin d’illustrer l’histoire médiévale de Besançon, CLAP35 commande à Richard Gardette des clichés d’une vingtaine d’objets du Trésor de la cathédrale Saint-Jean. Les clichés ont été réalisés gratuitement en échange des fichiers numériques libres de droit.
Il aurait été dommage d’en rester là. Depuis 2014, nous organisons régulièrement des campagnes photographiques à Pierre Guenat, photographe bisontin spécialisé dans la photographie de pièces d’horlogerie et d’industrie, d’œuvres d’art et d’objets de musées. L’objectif de ces campagnes est double : faire un inventaire photographique des collections et avoir des photos de grande qualité pour les publications, l’édition de cartes postales ou de cartes de vœux. Ces clichés haute définition permettent également à des spécialistes en France et à l’étranger de pouvoir étudier en détail certaines de nos œuvres et de rendre des avis sur des attributions ou des besoins en restauration par exemple. Un tel niveau de qualité nécessite à chaque fois l’installation d’un studio photo in situ, dans la salle du Trésor ou à l’archevêché de Besançon, et par là même le déménagement de tout le matériel nécessaire.
Photographe indépendant installé à Besançon depuis 1984, Pierre Guenat travaille au départ pour une clientèle d’industriels dans l’horlogerie, le jouet ou la lunetterie, secteurs d’activités très présents dans la région. Il réalise pour eux des clichés destinés à la réalisation de leurs catalogues publicitaires. Les qualités de photographe qu’il développe au contact de ces pièces microscopiques lui servent encore aujourd’hui lorsqu’il photographie des vases sacrés en métaux précieux notamment. L’arrivée du numérique dans les années 2000 marque un tournant pour les photographes professionnels. Le marché est bouleversé car tout un chacun est dorénavant en mesure de faire ses propres photos. Ainsi de nombreux industriels ont pensé faire des économies en réalisant leurs propres photos. Les photographes professionnels ont dû se surpasser pour prouver que la photo n’est pas qu’une question de technique ou de matériel. L’œil se forme, il faut sentir comment éclairer les objets et anticiper le rendu sur la pellicule et sur l’écran. C’est là que réside la sensibilité du photographe. Il a fallu également trouver de nouveaux débouchés.
En 2003, l’Association des conservateurs des musées de Franche-Comté lance un appel d’offre pour des campagnes de numérisations sur l’ensemble du territoire. C’est une aubaine pour Pierre Guenat qui a été choisi justement car il était spécialisé dans la publicité et l’industrie. Cette activité va débuter par de petits musées et prendre rapidement de l’ampleur. Elle représente aujourd’hui près de 75% de son activité. La photo numérique a ouvert de nouvelles possibilités pour les musées : photographier et numériser un grand nombre d’objets à un coût acceptable. Des campagnes ont été initiées sur l’ensemble du territoire, des budgets ont été débloqués par les villes, les régions, le Ministère de la Culture pour encourager les musées dans cette démarche de recollement. La photographie numérique a été une révélation pour les musées en offrant de nouvelles façons de travailler : découverte de détails mis en valeur par photo, échanges avec des spécialistes du monde entier, facilité de concevoir des expos en ayant toutes les œuvres en même temps à l’écran, création de « musées virtuels » pour des collections inaccessibles au public …
En s’ouvrant à cette nouvelle clientèle, Pierre Guenat a dû s’adapter car les conservateurs de musées avaient une vision très normée de leurs besoins : photos très neutres sans ombres, sans reflets, poses hiératiques de chaque face, … Son expérience dans le monde de la publicité lui avait appris à magnifier les objets avec des vues de trois quarts par exemple. Il a fallu faire accepter cette autre vision de la photo qui a fait la beauté des catalogues et ouvrages comme « Cathédrale de Besançon. Trésors cachés » notamment. Depuis 2003, il a participé à des campagnes de numérisation des collections de nombreux musées comme le Musée Gustave Courbet à Ornans, les musées de la Citadelle de Besançon, le Musée du Temps à Besançon, le Musée de l’Aventure Peugeot à Sochaux ou le Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon, … Dans ce dernier d’ailleurs, il a photographié l’ensemble de la collection de dessins, une des collections les plus réputées de France – ce qui représente près de 5 500 dessins. Ce chantier, qui s’est étalé sur 3 ans, a fait de lui la seule personne à avoir vu la collection dans son intégralité, d’après la conservatrice. Ces différentes collaborations l’amènent à côtoyer aussi bien la peinture, la sculpture, les objets ethnographiques, les collections d’histoire naturelle et l’art sacré : de l’armure de samouraï à la collection de papillons en passant par des dessins de Rembrandt.
Pour Pierre Guenat, ce qui est passionnant dans ce travail pour les musées ou les collections particulières, c’est avant tout la rencontre. La rencontre avec des gens passionnés qui partagent leurs connaissances et leurs savoirs : derrière un objet dans une vitrine, il y a un tout un monde. Il aime côtoyer toutes les professions dans les musées, du conservateur au restaurateur, car chacun en sait long dans son domaine. Curieux de nature, il poursuit généralement ces rencontres par des recherches personnelles. Deux choses l’ont beaucoup marqué pendant sa carrière. Une rencontre avec Pierre Petrequin, archéologue spécialiste des pierres polies dans le monde, qui lui a fait voir les « cailloux » extraits du site archéologique du lac de Chalain (39) d’une toute nouvelle manière, et la découverte de la collection de dessins du Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon, qui lui a donné envie de reprendre des cours. Pour Pierre Guenat, l’essentiel du discours de l’artiste est dans le dessin : il y transmet directement sa vitalité et sa pensée avec force, spontanéité et économie de moyens.
Chloé Baverel
Merci à Pierre Guenat pour le temps qu’il a consacré pour répondre à toutes mes questions et me permettre de rédiger cet article.
Références bibliographiques :
Chloé Monnier – Paule Zellitch – Eric Poinsot, Cathédrale de Besançon, trésors cachés, 2014, édité par l’Association Diocésaine de Besançon (2 volumes)