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Un écrin pour le Saint-Suaire de Besançon

En ce temps de Carême, sortons du trésor et faisons un petit détour dans la cathédrale pour nous laisser imprégner de l’atmosphère de l’abside du Saint-Suaire.
Publié le 30 mars 2018
Écrit par Chloé Baverel

« Alors Joseph acheta un linceul, il descendit Jésus de la croix, l’enveloppa dans le linceul et le déposa dans un tombeau qui était creusé dans le roc. » (Marc, 15, 46)

Abside orientale avant effondrement du clocher nord (Arch. Départ. Doubs, dessin d’Isaac de Robelin, 1699). 

La particularité du plan de Besançon est d’avoir deux absides opposées, avec le chœur, dédié à Saint-Jean, à l’ouest. Depuis la construction de la cathédrale au XIIe siècle, l’abside orientale était encadrée de deux tours de clocher. De celle du sud, il ne restait que les soubassements à l’époque moderne. Le 23 février 1729, l’effondrement pressenti de la tour nord détruisit l’abside romane et les premières travées de la nef mais heureusement pas les reliques et les œuvres d’art mises à l’abri par les chanoines. Dès le 9 mai 1731, la première pierre de la reconstruction est posée d’après des plans proposés par l’architecte bisontin Jean Galezot. Les travaux durent jusqu’en 1738.

Ne restait plus alors aux chanoines qu’à mettre en valeur cette page blanche destinée à abriter le Saint-Suaire de Besançon. Le projet d’aménagement de l’ensemble fut confié au célèbre architecte Germain Boffrand. En totale rupture avec la tradition locale du retable, le parisien propose de faire de cette abside une œuvre d’art totale, comme une invitation à prendre part à la Passion et à la Résurrection du Christ.

Abside du Saint-Suaire, Cathédrale Saint-Jean de Besançon © Pierre Guenat

L’espace intérieur est divisé en deux registres superposés. Le registre inférieur est rythmé par des pilastres jumelés corinthiens en marbre polychrome. De grandes baies cintrées les surplombent. L’entablement avec balustrade est rompu par le cadre du tableau principal représentant la Résurrection, une manière peut-être de suggérer le passage de la vie terrestre à la vie céleste figurée par cette immense gloire dorée. Toute la surface des parois de la chapelle est recouverte de marbres de couleur, du sol au plafond. Des sculptures d’angelots tenant les instruments de la Passion, du bisontin Julien Chambert, viennent compléter ce décor. Le programme iconographique est entièrement choisi par l’abbé Humbert et l’on décide de faire appel aux meilleurs artistes de l’époque, de Paris à Rome, pour réaliser les cinq toiles monumentales qui prendront place dans cet ensemble.

Carl Van Loo, La Résurrection du Christ, 1750 © Pierre Guenat

La commande est d’abord passée à Carl Van Loo en 1750 pour une toile représentant la Résurrection du Christ : au matin de Pâques, le Christ s’élève vers le ciel, ses longs bras chassent l’opacité des nuages et son corps nu nous illumine, tandis qu’un ange soutient la pierre tombale et un autre le suaire, qu’un garde sommeille alors que les trois autres s’effraient.

             

Jean-François de Troy, (à g.) Le Christ au Jardin des Oliviers, (à d.) Le Portement de Croix

Pour poursuivre la série, on fait appel l’année suivante à Jean-François de Troy pour la réalisation de deux peintures Le Christ au Jardin des Oliviers et Le Portement de Croix. Dans la première, un ange, tenant la coupe offerte pour le Salut du monde, réconforte le Christ, tandis que derrière lui ses disciples s’abandonnent à leur sommeil. Judas, au fond du jardin, conduit des soldats pour le leur livrer. C’est l’instant bouleversant de l’humble prière du Christ adressée à tous les hommes, les bras grands ouverts et la main du cœur tendue vers le spectateur. Dans le second, Jésus, le visage empreint de tristesse, porte le poids de toutes les violences. Il est précédé des deux larrons déjà dévêtus pour être crucifiés et suivi de Simon de Cyrène, venu à son aide pour soutenir la croix. Le peintre le représente corps et habits intacts, malgré flagellation et outrages, rappelant ainsi sa filiation divine.

               

Charles-Joseph Natoire, (à g.) La Descente de Croix, (à d.) La Mise au tombeau

Enfin en 1755, Charles-Joseph Natoire (1700-1777) termine le cycle en peignant La Descente de Croix où un ample linceul blanc jaillit de la croix comme une eau abondante qui coule entre les bras de Marie-Madeleine (à gauche), jusqu’aux mains de Joseph d’Arimathie (à droite). Le corps du Christ est soutenu par un jeune homme vêtu de rouge dont la force corporelle dit la vigueur spirituelle : c’est Jean, le disciple bien-aimé. Il peint également La Mise au tombeau avec saint Jean, toujours vêtu de rouge, et Joseph d’Arimathie, aux bras vigoureux, portant en sa tombe le corps du Christ. Joseph, le seul à nous regarder, nous interpelle de ses yeux profonds : quelle serait notre place lors de la Passion du Christ ?

Images de pèlerinages : représentations du Saint-Suaire imprimées sur tissu © Archives diocésaines de Besançon

Ce somptueux décor offre un écrin à la plus précieuse des reliques jamais conservée à Besançon : le Saint-Suaire. La relique est mentionnée dans les délibérations capitulaires à partir de 1523. Nous ne savons que peu de choses sur la manière dont elle est arrivée à Besançon, toujours est-il qu’à partir de cette date, le suaire sera largement vénéré des bisontins. D’abord conservé dans l’église Saint-Etienne-sur-le-Mont, détruite en 1670, il est rapatrié à Saint-Jean avec nombres d’œuvres d’art. La tradition des trois ostensions annuelles se transmet : on compte jusqu’à 30 000 pèlerins ces jours-là.

Plus la relique est précieuse, plus le reliquaire doit l’être. Ainsi, pour le Saint-Suaire de Besançon, on a reconstruit au XVIIe siècle une abside pour le conserver et un clocher muni de quatre balcons pour le présenter. A  l’image des poupées russes, dans une abside entièrement décorée sur le thème de la Passion, se trouve un autel contenant une cache dérobée. Au sein de celle-ci est disposé un coffre en bois de senteur – avec trois serrures dont les trois clefs sont détenues par trois ecclésiastiques – contenant un coffret précieux en vermeil, réceptacle de la relique enveloppé d’un tissu.

Coffre dit « du Saint-Suaire », Bois de santal © PIERRE GUENAT

 

Cette magnifique abside baroque est encore visible aujourd’hui, et les inventaires conservent un coffre en bois de senteur qui pourrait bien être celui dont parlent les sources. Malheureusement la relique a disparu à la Révolution et malgré bien des investigations au XIXe siècle, elle n’a jamais été retrouvée.

Chloé Monnier

Sources

Plaquette « A la découverte des tableaux de la Cathédrale » conçue en 2014 avec le Père Axel Isabey pour les visiteurs de la cathédrale.
Exposition « Le Saint-Suaire de Besançon, histoire et dévotion » proposée pour les Journées du patrimoine à la Cathédrale Saint-Jean de Besançon en 2016 par Aude DUFAY, Marylise FORSTER, Chloé MONNIER, Manuel TRAMAUX.
BRUNET Pascal « Le décor de l’abside du Saint-Suaire » dans La Cathédrale Saint-Jean de Besançon, Les Cahiers de la Renaissance du Vieux Besançon 7, Besançon, 2006, 100 p.

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