Dès que les évangiles ont été rédigés, les chrétiens ont aimé les lire dans leurs assemblées et en nourrir leur prière personnelle. Ils les ont copiés avec amour, les calligraphiant, les décorant de miniatures. C’est ainsi que les évangiles constituent le dépôt de manuscrits le plus volumineux et le plus précieux de nos bibliothèques.
Pour la proclamation liturgique, on utilisa d’abord le texte intégral des IV évangiles, en suivant les indications du Capitulare evangeliorum, qui indiquait le commencement et la fin de la péricope* à choisir pour tel ou tel jour. Mais on jugea bientôt plus pratique de rassembler en un volume le texte-même de ces péricopes. Ce fut l’évangéliaire. Il devait demeurer en usage jusqu’à nos jours.
La proclamation de l’Evangile
L’évangéliaire est destiné en premier lieu à la proclamation de l’évangile à la messe. Il apparaît comme l’icône du Christ ressuscité. Il est le signe de sa présence dans l’assemblée. Le symbolisme de l’évangéliaire est souligné par les rites qui, dans toutes les familles liturgiques, accompagnent sa double entrée : au début de la célébration d’abord, puis lors de sa proclamation. On notera l’importance de la déposition de l’évangéliaire sur l’autel, qui précède celle du pain et du vin. L’autel fait la jonction entre « le livre et le calice », comme aimait le dire Jean XXIII.
L’évangéliaire est porté dans la procession d’entrée des célébrants et des ministres et est posé sur l’autel. La procession qui prélude à la proclamation de l’évangile est la plus solennelle. Le diacre ou le prêtre ayant pris le livre le porte ostensiblement vers l’ambon, précédé du porte-encens et encadré par les porte-flambeaux, tandis que le peuple debout l’acclame en chantant Alleluia. Tandis que les porte-flambeaux ont pris place de part et d’autre de l’ambon, le diacre ou le prêtre encense l’évangéliaire. Celle-ci est précédée et suivie de l’acclamation du peuple « selon les coutume de la région ». En France, l’usage s’est répandu de faire l’ostension du livre avant de la déposer sur la crédence.
A Rome, on le déposait jadis dans un coffret précieux. On voit à Ravenne, dans le tombeau de Galla Placidia, une armoire pour les évangiles, tandis qu’au baptistère des Orthodoxes le livre est présenté sur une sorte d’autel-trône.
L’évangéliaire-icône
Si l’évangéliaire est honoré comme l’icône du Christ dans la célébration de la messe, il l’est aussi en deux circonstances majeures : à l’ordination de l’évêque et au concile.
Dans l’ordination de l’évêque, après avoir imposé les mains à l’élu avec les autres évêques, le consécrateur principal place au-dessus de sa tête le livre des évangiles ouvert, que deux diacres tiendront dans cette position jusqu’à la fin de la prière consécratoire. Le livre ouvert signifie que la Gloire de Dieu va prendre possession de son élu par l’effusion de l’Esprit. Ce rite rappelle aussi que le ministère de l’évêque est soumis à l’évangile du Christ. L’évangéliaire est associé ainsi à une véritable liturgie de transfiguration. Après sa consécration, le nouvel évêque reçoit le livre comme symbole de la mission, qui est de prêcher la parole de Dieu. La remise du livre, comportant la même signification, est également accomplie dans l’ordination du diacre.
Une fonction symbolique capitale est attribuée au livre des évangiles dans la célébration du concile. Il est placé sur un trône au sein de l’assemblée qu’il préside. Il en allait ainsi déjà au concile d’Ephèse (431), selon le témoignage de Cyrille d’Alexandrie : « Le saint Concile établit le Christ comme sa tête ; en effet l’Evangile avait été placé sur un trône sacré ». L’usage de l’intronisation du livre des évangiles fut observé au début de chaque séance du Concile Vatican II. On utilisa pour ce rite l’un des plus beaux manuscrits de la Renaissance italienne que possède la Bibliothèque vaticane, l’Urbinate latin 10, qui date des années 1480. Lors du dernier adieu à Paul VI, le pape du Concile, le livre des évangiles était ouvert sur le cercueil le soir du 12 août 1978. Là encore, il parlait de la Gloire de Dieu, il parlait de la résurrection.
Une œuvre d’art
L’évangéliaire est souvent une œuvre d’art. Au 1er rang, il faut citer l’évangéliaire de Charlemagne, copié entre 781 et 783 à l’usage de la chapelle palatine. C’est le plus illustre et le plus précieux des livres carolingiens.
Le recueil des évangiles fut l’objet d’une copie et d’une enluminure soignées, mais on prit souvent soin de lui donner aussi une couverture somptueuse. Celle de Monza (6e siècle) marie l’or et les pierres précieuses. L’âge carolingien nous a laissé les admirables couvertures d’ivoire de Milan (trésor de la cathédrale) et de Metz. La couverture de l’évangéliaire de Gauzelin est une pièce d’orfèvrerie hors ligne.
Un des grands objectifs de la réforme liturgique demandée par le Concile Vatican II a été de « promouvoir le goût savoureux et vivant de la Sainte Ecriture » et de « présenter avec plus de richesse la table de la parole de Dieu ». Les préliminaires de la 2e édition de l’Ordo lectionum Missae (1981) annonce la problématique : « Les livres où l’on prend des lectures de la parole de Dieu éveillent chez les auditeurs la mémoire de la présence de Dieu qui parle à son peuple. C’est pourquoi il faut veiller à ce que ces livres, qui, dans l’action liturgique, sont signes et symboles des réalités sacrées, soient vraiment dignes, harmonieux et beaux » (n.35)
Il ne s’agit pas là d’esthétisme délibéré, mais d’acquiescement à une triple exigence de cohérence symbolique, d’alliance culturelle et de fidélité à la tradition de l’Eglise. Comment peut-on, en effet, prétendre faire « acclamer la Parole de Dieu », à la fin de l’évangile, en élevant un objet dérisoire ? De même, alors que de nombreuses voix s’élèvent réclamant un art pour notre temps, faut-il laisser à la seule société civile l’honneur de la recherche créatrice ? (1)
Enfin, alors que se multiplie les expositions donnant à voir des livres liturgiques anciens de toute beauté, doit-on se résigner à les considérer comme les froids vestiges d’une époque révolue ?
L’Eglise de France avait déjà publié un Evangéliaire illustré par un artiste contemporain et qui fait référence, renouant ainsi avec la tradition des grandes époques éditoriales. Celui-ci fut illustré par J-M Alberola en 1992. Depuis, plusieurs livres liturgiques, le rituel des Ordinations et le rituel de l’Initiation chrétienne des adultes ont suivi le même chemin.
*une péricope : extrait de texte liturgique qui fait un tout en lui-même et qui permet un commentaire.
1. Texte précédant la notice: écrit par Jean-Louis Angué, ancien directeur du CNPL, extrait des Chroniques d’Art Sacré n°15, 1988