Père Bruno Mary, en tant que directeur du Service National de la Pastorale liturgique et sacramentelle de la Conférence des évêques; et Frédéric Bergeret, en qualité de secrétaire général à l’Association épiscopale liturgique pour les pays francophones (AELF), vous avez suivi la réalisation du nouvel évangéliaire.
Comment situer le rôle de l’évangéliaire dans la liturgie aujourd’hui?
Créer un nouvel évangéliaire ce n’est pas imprimer un livre en tant qu’objet, c’est concevoir le vecteur de la Parole de Dieu.
Père B. Mary : Je commencerais par insister sur le fait que, contrairement à l’Islam par exemple, le christianisme n’est pas une religion du Livre. Pour reprendre Sacrosanctum Concilium « le Christ est là, présent dans sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Église les Saintes Écritures. » (SC7): ce que les chrétiens acclament c’est donc la Parole de Dieu, le Christ qui nous parle, et non pas le livre qui la contient. Pour les chrétiens, Le Verbe s’est fait Chair en Jésus Christ. Cela va jusqu’à l’eucharistie où le Christ se donne en nourriture afin que les hommes vivent. Ce sont le pain et le vin consacrés que l’on place dans le tabernacle ; on n’y place pas l’évangéliaire: cela montre bien que la Présence réelle dans le pain et le vin consacrés n’a pas d’équivalence dans l’objet-livre en lui-même. Mais la préciosité de l’évangéliaire montre l’importance que l’Eglise donne à la Parole de Dieu.
Frédéric Bergeret : Pour « illustrer » plus concrètement combien l’évangéliaire n’a pas de dimension sacrée en tant que livre mais en tant que Parole qu’il porte, nous avons veillé à ne pas faire apparaître le nom de l’éditeur sur la tranche de la couverture comme c’est le cas pour toutes autres publications. Créer un nouvel évangéliaire ce n’est pas imprimer un livre en tant qu’objet, c’est concevoir le vecteur de la Parole de Dieu.
Pourquoi fallait-il créer un nouvel évangéliaire ?
Père B. Mary : La Réforme liturgique du Concile Vatican II a revalorisé la Parole de Dieu et souhaité rendre plus accessible cette Parole à l’ensemble des chrétiens. La liturgie de la Parole a ainsi pris une plus grande place à la messe avec l’ajout des lectures de l’Ancien Testament, le développement des Psaumes et la mise en place des années cyclées (A,B,C) qui permettent aux fidèles d’entendre davantage de passages de l’Ecriture. L’usage de l’évangéliaire qui s’était perdu au fil des siècles, et avec lui l’usage de l’ambon, ont alors été retrouvés. Le texte de l’Ecriture est proclamé dans sa version orale. C’est la traduction liturgique qui est la traduction officielle de la Bible pour l’Eglise.
En 2013 a été publié une nouvelle traduction liturgique de la Bible qui répondait à une double mission : être en phase avec l’évolution de la langue française puisque le but est d’adapter la Parole de Dieu à l’audition et qu’on ne parle pas en 2015 comme on parlait en 1990 ; et rendre cohérent la traduction de la Bible dans son ensemble (que le même mot grec soit traduit de manière identique du Livre de la Genèse à l’Apocalypse). Cette nouvelle traduction de la Bible demandait la mise à jour des textes de l’Evangéliaire paru en 1992 et illustré par Jean-Michel Alberola.
Frédéric Bergeret : Cette nouvelle édition était l’occasion de remédier aux défauts que 20 ans d’usage de l’ancien évangéliaire avaient fait apparaître : le poids trop lourd d’un ouvrage porté en procession ou maintenu ouvert lors des ordinations des évêques et diacres ; les dimensions trop importantes par rapport aux ambons des églises ; le prix trop élevé pour la plupart des paroisses. Des critères qui faisaient de l’ancien évangéliaire un ouvrage précieux surtout utilisé par les cathédrales ou les larges paroisses mais que l’on retrouve peu dans les petites églises. Pour rendre l’évangéliaire plus accessible à tous, la nouvelle édition est donc volontairement moins ambitieuse que la précédente mais la création artistique reste primordiale.
Qui a initié ce projet ? Quels sont les divers acteurs et étapes pour voir le projet se concrétiser ?
Que leurs interventions aient été artistiques, commerciales ou répondant à des missions d’Eglise, plus d’une personne est venue nous dire « c’est le livre de ma vie ».
Père B. Mary : C’est important de rappeler que ce projet est une œuvre francophone et non pas uniquement française, il a été décidé par la Commission Épiscopale Francophone pour les Traductions Liturgiques (CEFTL). Les instances d’Art Sacré de chaque pays ont donc été consultées et ont soumis des noms d’artistes.
Frédéric Bergeret : Parmi la dizaine d’artistes proposés à la CEFTL, les évêques ont fait le choix de réalisations d’œuvres non figuratives, sobres dans les couleurs et simples dans la forme, en écho à la « noble simplicité » voulue par Vatican II : une continuité de modernité qu’avait initiée Alberola mais plus facile à appréhender par le plus grand nombre. Les œuvres d’Odile de Rousiers répondaient pleinement à cette attente. Ensuite le choix de l’éditeur s’est naturellement porté sur les Editions MAME qui avaient édité la traduction de la Bible, des lectionnaires, et qui avaient aussi réalisé l’ancien évangéliaire de 1992.
Que retenez-vous d’une telle expérience ?
Père B. Mary et Frédéric Bergeret : Dans un monde de consommation et de changements constants, ce fut très fort de travailler à une œuvre pérenne. Cet ouvrage conçu pour durer plus d’une génération s’inscrit dans la continuité de tous les évangéliaires qui traversent les époques et dont certains se retrouvent aujourd’hui dans les Trésors de cathédrales ou les musées. Œuvrer à montrer le poids de la Parole a donné du sens au travail de tous ceux qui se sont consacrés au projet. Que leurs interventions aient été artistiques, commerciales ou répondant à des missions d’Eglise, plus d’une personne est venue nous dire « c’est le livre de ma vie ».