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La cathédrale Notre-Dame de Paris : comprendre la mobilisation

Un mois après l'incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, la question centrale reste celle du devenir de l'édifice, qui a ouvert un vaste débat sur la restauration et la conservation du patrimoine. Monument le plus visité d'Europe, la cathédrale, en raison de son appartenance au bien « Paris, rives de la Seine », figure sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO, et sa restauration sera donc scrutée de tous.
Publié le 20 mai 2019

Incendie de Notre-Dame de Paris, 15 avril 2019 © LeLaisserPasserA38 – Commons Wikimedia

La sidération, les larmes et la désolation face à l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris laissent peu à peu la place aux questionnements, aux invectives et à la colère. L’amertume ne disparaît pas, malgré la nouvelle du sauvetage des œuvres et de celle de la structure. Chaque jour révèle un nouveau point de vue sur lequel débattre et la décision du gouvernement d’adopter une loi pour la restauration de l’édifice, qui permettra de déroger au Code du patrimoine et des marchés publics, a une nouvelle fois enflammé les esprits.

L’affaire est éminemment politique. Mais par essence, tout affaire patrimoniale l’est ! La notion de patrimoine culturel est une construction récente, l’utilisation du terme ne datant que de la seconde moitié du XXe siècle. Si ce sentiment qui nous pousse à vouloir conserver coûte que coûte n’est pas si ancien, le patrimoine culturel, quelle que soit sa nature, est toujours le support de l’identité d’un pays, d’une région, d’une ville, d’un village ou d’un groupe. Il serait alors la preuve matérielle des prouesses techniques et artistiques, et de l’histoire d’un peuple. Les cathédrales et le patrimoine religieux ne dérogent pas à cette règle. Je dirai même qu’en France, ils sont au cœur d’une grande partie des discours historiques, mais aussi des polémiques.

Conserver Notre-Dame est un devoir

Notre-Dame en est l’exemple par excellence. Si elle suscite aujourd’hui tant de passion, c’est justement à cause de son pouvoir symbolique, composé, comme un mille-feuilles, de plusieurs couches, dans lequel les valeurs s’empilent et s’ajoutent. C’est pourquoi la conservation du patrimoine et plus particulièrement d’un patrimoine tel que celui de Notre-Dame de Paris, est conçue comme un devoir. L’engagement contemporain de l’État français dans la conservation de Notre-Dame s’inscrit dans l’histoire de l’art et de la culture du pays. Le roman de Victor Hugo consacré à Notre-Dame en avait révélé les failles jusqu’à imaginer un terrible incendie. Quelques années plus tard, l’édifice religieux a été restauré et sauvé par le bras armé de la très jeune administration des Monuments historiques, l’architecte Eugène Viollet-le-Duc. C’est donc une certaine incrédulité qui a saisi la foule au soir du 15 avril, puisque l’on croyait que, depuis, l’édifice était à l’abri pour le reste de l’éternité.

Notre-Dame, image de Paris et de la France

Au temps du tourisme de masse, la cathédrale est l’une des images de Paris, célébrée par les plus hautes instances patrimoniales, depuis qu’en 1991, elle fait partie du bien « Paris, rives de la Seine », classée sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.  Ce joyau de l’architecture gothique, témoin de l’évolution des arts de plus de huit siècles, attire ainsi pas moins de treize millions de visiteurs par an, faisant de lui le monument le plus visité d’Europe. Si sa destruction partielle a suscité autant d’émoi à travers le monde, c’est qu’outre sa qualité de symbole de la France, il est un lieu où chacun peut y trouver des valeurs qu’il chérit.
La cathédrale Notre-Dame de Paris, lieu de culture, d’art et d’histoire, n’en reste pas moins un édifice religieux. Elle est l’édifice catholique le plus important de la ville de Paris. S’il fallait en avoir une preuve, la plus évidente en serait les centaines de fidèles qui se sont réunis suite à la tragédie pour prier ensemble. Si elle peut se visiter comme certains visitent un musée, elle est avant tout un lieu de culte. Elle est un patrimoine vivant, comme peu de lieux peuvent encore l’être. Et c’est la caractéristique principale de cette catégorie que l’on nomme patrimoine culturel religieux.

Notre Dame, le lieu de tous

Notre-Dame est finalement un lieu de tous. Le régime, établi suite à la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905, entérine la propriété de l’État sur les cathédrales. Elle appartient ainsi au Domaine Public et de ce fait au peuple français. Cette appartenance à la nation française favorise et accentue le sentiment de propriété et l’effroi qu’a pu ressentir une partie de la population face à l’incendie. D’autant que contrairement à d’autres édifices publics, notamment culturels, le régime juridique de l’affectation religieuse, qui permet au clergé catholique français d’y rendre culte, s’oppose à son exploitation commerciale. L’entrée dans les édifices catholiques est gratuite, renforçant ainsi ce sentiment de propriété collective. Le seul obstacle est finalement son propre succès et les foules qu’elle attire, formant des files d’attente parfois interminables.
Ces valeurs d’ancienneté, d’histoire, d’art et de religion forment ainsi un sentiment complexe, variant selon les sensibilités de chacun, mais expliquant l’affection portée à l’édifice et l’émoi collectif provoqué par l’accident. Cette communion indéniable à laquelle on a pu assister le soir du 15 avril relève de ce que l’anthropologue Daniel Fabre a appelé les « émotions patrimoniales », désignant des formes d’émotions collectives concernant des éléments du patrimoine culturel. Amplifiée par sa portée internationale et sa diffusion sur les réseau sociaux, l’affaire attise les conflits partisans et remet sur le devant de la scène le problème du manque de moyens financiers accordés au patrimoine et notamment au patrimoine religieux.

Notre-Dame, un projet de restauration sous haute surveillance

Les questions de conservation et de restauration ne sont pas nouvelles et chaque grande restauration a engendré son lot d’interrogations et de débat. Mais la restauration de la cathédrale Notre-Dame ne sera pas une restauration ordinaire. Sa réhabilitation sera scrutée par les fidèles et les amoureux du patrimoine du monde entier. Qu’importe le temps que cela prendra ! Elle devra être soumise à un certain nombre de règles déontologiques nationales et internationales , portées par des corps de métier spécialisés.


Il y a d’ailleurs de quoi s’interroger sur l’évolution des politiques de protection du patrimoine dans le pays. De nouvelles initiatives, tel que par exemple le loto du patrimoine, si elles sont louables, sont autant de choix de conservation qui sortent du strict giron de l’administration de la culture et du patrimoine français, puisque leur organisation est confiée à des acteurs privés. La loi pour la restauration et la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris, une nouvelle fois, déroge aux règles établies. Peut-être que la gestion de la restauration de Notre-Dame marquera un tournant dans l’histoire du patrimoine français. Mais, jusqu’ici rien n’est encore fait. Architectes, conservateurs, restaurateurs historiens de l’art et spécialistes se mobilisent et travaillent déjà à redonner à Notre-Dame son éclat. Les prochaines semaines seront décisives. Et comme l’historien de l’art Marcel Aubert, l’écrivait déjà en 1909 :« Il faut espérer que rien ne menacera plus désormais la cathédrale de Paris, qu’elle restera longtemps encore en témoignage de la hardiesse et de l’habileté des architectes du moyen-âge, grâce au zèle intelligents de leurs successeurs du XIXe siècle qui l’on préservée de la ruine et restituée dans sa beauté expressive après des siècles de négligence et d’incompréhension  »

Espérons-en tout autant pour ce qu’il reste du XXIe siècle et les suivants.

Nathalie Cerezales

1- Plusieurs chartes internationales viennent encadrer la restauration des monuments historiques, comme la Charte de Venise de 1964 et celle de Cracovie de 2000.
2-  Marcel Aubert, La Cathédrale Notre-Dame de Paris. Notice historique et archéologique, Paris, D.-A. Longuet, Éditeur, 1909, p. 54.

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