Ainsi à Lognes avec Christophe Cuzin et à Crosne en Île-de-France avec David Tremlett. Des vitraux confiés à de grands artistes, comme récemment encore Soulages, Garouste, Sarkis ou Aurélie Nemours, confèrent ici et là un éclat particulier à une prestigieuse abbaye ou à une simple église de village. Presque partout avec plus ou moins de bonheur, des lustres et des spots mettent en relief les architectures intérieures. Et si certains lieux de culte désaffectés se sont transformés en musées ou salles d’expositions, d’autres se sont créés dans des quartiers neufs, de la modeste chapelle d’hôpital à la cathédrale d’Evry.
A Paris, en six ans, six nouvelles églises ont vu le jour, Notre-Dame-de-l’Arche-d’Alliance, avec les étonnants vitraux de Martial Raysse, Saint-Luc, Notre-Dame-de-la-Sagesse, Notre-Dame-d’Espérance, Notre-Dame-de-Pentecôte, et bientôt Saint-François-de-Molitor entièrement reconstruite.
Au coeur même de chaque édifice se trouvent le lieu de célébration de l’Eucharistie et le lieu de proclamation de la Parole remis en honneur dès 1963 par la liturgie restaurée de Vatican II.
La Réforme Vatican II est à l’origine de nombreuses créations contemporaines tant dans le domaine des objets liturgiques (ciboires, calices, chandeliers, ostensoirs, burettes,…) que dans celui du mobilier liturgique (autel, ambon, croix, tabernacle, siège du président, baptistère, bénitier, …), alors que son application s’est accompagnée de destructions regrettables ou de nettoyages indispensables.
Les designers qui se sont mis au travail dans ce contexte sont généralement très attentifs à l’esprit des lieux comme à la qualité des oeuvres présentes. Or, bien que l’architecture intérieure et la création du mobilier ou des objets soient leur domaine spécifique, et en dépit de la réputation internationale très ancienne de français comme Andrée Putman ou Philippe Starck, ce n’est qu’à l’extrême fin du XXe siècle que l’Eglise a fait appel aux designers des plus jeunes générations.
Parmi ces designers, certains ont vu leur projet refusé, d’autres, retardé, d’autres enfin réalisé, mais tous ont investi leur véritable compétence technique et créative pour trouver la forme la plus juste, la plus sensible et peut-être la plus forte afin d’inscrire un mobilier dans une architecture vivant de la foi de ceux qu’elle rassemble.
Pour commencer, ouvrons une parenthèse pour rendre hommage aux artistes, architectes et créateurs qui dans les églises ont véritablement fait oeuvre de designers avant la lettre. Des peintres et des sculpteurs renommés comme Léon Zack qui a tracé la voie à sa fille Irène, Pierre Székèly, et, plus près de nous, David Rabinowitch, François Arnal, Pierre Buraglio, ou encore Marc Couturier ; des orfèvres aussi, comme Goudgi, auteur du choeur de la cathédrale de Luçon. On ne peut passer sous silence les quelque trois cents créations réalisées depuis quarante ans par Philippe Kaeppelin et son fils Dominique, originaires du Puy. C’est à Philippe que l’on doit le bel et récent aménagement de la cathédrale de Versailles.
Le rôle des sociétés d’artistes chrétiens dont les premiers travaux remontent à 1889 mérite aussi d’être souligné. Elles ont fait l’objet de savantes recherches publiées dans Les cahiers du Tau par Henri et Geneviève Taillefert, eux-mêmes responsables de l’heureuse rénovation de Saint-Dominique (Paris 14e).
Mentionnons enfin l’importance de deux maisons de grande réputation : Houssard, plus que centenaire, et Chéret, créée en 1923, toujours axée sur la création contemporaine. L’une et l’autre continuent de fournir de nombreuses églises et acceptent volontiers de mettre au point ou à l’étude des projets que leur soumettent les autorités ecclésiastiques, tels les bancs de la cathédrale d’Evry de Mario Botta sortis des Ateliers Houssard, ou l’aménagement liturgique créé par les Ateliers Chéret pour la Chapelle des Sulpiciens, rue du Regard à Paris.
Quant aux architectes, rares sont ceux qui, comme Le Corbusier, Gehry ou Nouvel, sont d’authentiques créateurs de mobilier et reconnus comme tels. Plus rares encore sont ceux qui, comme l’italien Gio Ponti, le finlandais Alvo Aalto ou en France Jean-Michel Wilmotte, mènent une double carrière d’architecte et de designer. C’est à ce dernier, qui a magnifiquement oeuvré au Musée du Louvre, que le cardinal Jean- Marie Lustiger a confié son ambitieux projet culturel du Couvent des Bernardins qui accueillera dans trois ou quatre ans non seulement les bureaux de l’archevêché mais aussi les services qui lui sont proches. Rappelons également l’aménagement qu’il a réalisé dans l’église de Castelnau-le-Lez1.
N’ignorant pas les très nombreuses et sobres réalisations exclusivement conçues dans les cabinets d’architectes ni la conception du design qui peut être la leur et dont nous entretient par ailleurs Jean-Marie Duthilleul, nous ne donnons ici que deux exemples. Le premier, choisi parmi les églises Art Déco des Chantiers du Cardinal fort malmenées dans les années soixante-dix : Le Coeur eucharistique de Jésus (Paris 20e) dont la rénovation en 2002 avec un très beau baptistère est une incontestable réussite ; elle est le fruit des incessants échanges de vues entre l’architecte italienne Rita Bormioli, fin connaisseur de cette période, le sculpteur Jean Ferraton, auteur des fonts baptismaux, et le Père Robert d’Anglejan, très soucieux de liturgie. Le second exemple concerne les réalisations des deux jeunes architectes Catherine Bizouard et Jean-François Pin à qui nous devons le martyrium et la crypte des Pères des Missions étrangères de Paris2 après les superbes aménagements du Musée d’art sacré de Pont-Saint- Esprit et du Musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris.
Seraient également à signaler les réalisations ou projets d’architectes qui, s’engageant sur la voie d’un Gaudi, d’un Le Corbusier ou d’un Tadao Ando, assurent l’entière conception d’une chapelle ou d‘une église sans pour autant revendiquer la qualité de designer, ainsi Paul-Louis Faloci, Martin Robain ou Michel Maccary dont on reparlera.
Mais abordons maintenant les réalisations de ceux que l’on appelle aujourd’hui des designers, cette nouvelle profession apparue dans la seconde moitié du XXe siècle et célébrée par tous les musées d’art modernes dont le fameux Vitra Museum près de Bâle, entièrement consacré au Design.
Datant de ces dernières années, les créations des designers dans les églises sont encore peu nombreuses. Plusieurs d’entre elles ont déjà fait l’objet d’articles dans cette même revue, au fur et à mesure de leur réalisation, en particulier les vases liturgiques de Sylvain Dubuisson3 créés en 1997 pour les Journées Mondiales de la Jeunesse à Paris, et le mobilier de l’ancienne cathédrale de Saint-Paul-Trois-Châteaux4 créé en 2002 par François Bauchet. Dans le domaine des projets assez avancés, nous faisons des voeux pour que se réalisent les propositions de Martin Szekely pour la cathédrale Saint-Bénigne de Dijon et l’église Saint-Urbain de Troyes, qu’évoque Isabelle Renaud-Chamska dans le bel article qu’elle consacre à Martin Szekely.
D’autres réalisations de moindre ampleur ont été cependant l’oeuvre de designers renommés que le Père Bernard Violle fut sans doute le premier homme d’Église à solliciter. A peine nommé curé de Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts, en 1996, il confie la création du mobilier de la nouvelle chapelle de l’Agneau-de-Dieu, dépendant de sa paroisse, à Christophe Pillet alors scénographe attitré de l’espace contemporain du Salon du meuble. Pour ce lieu de culte situé au rez-de-chaussée d’un des immeubles récemment construits par Stanislas Fizer à la Gare de Lyon, Christophe Pillet a imaginé un autel, un ambon, une croix et le siège du président, très simples, en pierre grise et bleutée – dite pietra serena – de forme carrée ou rectangulaire, sans décor aucun, simplement évidée « comme pour marquer un espace sacré ». Sur la paroi du fond, légèrement détachée et décalée par rapport au centre, une grande croix en métal brossé, également évidée, projette son ombre et sa lumière.
Lors de la mise en place de cet ensemble, il se dégageait alors de la chapelle un climat de spiritualité toute cistercienne en parfaite harmonie avec l’architecture. Très libre dans son inspiration et dans le choix des matériaux, formes ou couleurs, Christophe Pillet surprend toujours. Rappelons qu’il a vu son champ d’action s’étendre à l’Italie, au Japon et aux Etats-Unis et qu’il continue de diriger avec une grande autorité l’espace contemporain du Salon du meuble à Paris, où chaque année sont présentées les dernières et plus belles créations de designers internationaux.
Très éloigné de l’esthétique minimaliste de Christophe Pillet se révèle être l’oratoire du dernier né des hôpitaux parisiens, l’hôpital européen Georges Pompidou dans le 15e. S’il fut envisagé de construire un lieu oecuménique, comme c’est le cas à Marseille avec la chapelle de Pistoletto, ou à Paris, avec celle de Buraglio à l’hôpital Bretonneau, on y renonça sagement pour créer une chapelle de culte catholique, jouxtant les locaux d’accueil réservés aux autres confessions. Sur proposition du Père Violle, elle fut confiée en 1999 à Olivier Gagnère.
Fils d’antiquaire parisien ayant appartenu au groupe milanais d’avant-garde mené par Ettore Sottsass, Olivier Gagnère avait déjà réalisé pour le musée du Louvre le fameux café Marly, mais il abordait ici une tâche difficile : transformer en chapelle harmonieuse une pièce de bureau d’environ 7 m sur 7, tout en décrochements et revêtue d’un bois sombre. Pari réussi : l’oratoire où le Père Bouvier et son équipe accueillent malades et visiteurs de toutes confessions, ne désemplit pas. Pour le trouver, on longe sous une verrière un large couloir qu’ornent deux pots géants de Raynaud et que bordent des plantes exotiques ; puis on aperçoit brusquement à travers une porte vitrée une grande croix dorée comme intégrée à l’architecture au fond d’une pièce qui n’est autre que la chapelle.
Devant la croix se trouve la table d’autel et le long des parois des bancs aux lignes élégantes et à la facture soignée, l’ensemble acajou clair avec un rappel d’or aux sabots des pieds. Les murs gris bleuté sont rythmés par des bandes brun clair où des appliques du même créateur diffusent une douce lumière, l’éclairage zénithal étant réservé à la célébration de la messe. Sur le mur du fond, un texte extrait du Nouveau Testament inscrit en groscaractères invite à la prière. Du côté de l’entrée, des bougies brûlent devant une Vierge gothique sortie des ateliers de reproduction du Musée du Louvre, posée sur un socle accordé au mobilier liturgique.
Ces deux aménagements pourtant très récents réalisés par des designers de grand talent sous l’autorité de l’Eglise se trouvent aujourd’hui quelque peu trahis par l’accumulation successive d’oeuvres et d’objets divers prenant prétexte d’un thème religieux au gré des coups de coeur de la paroisse et des propositions de dons et d’expositions des fidèles.
Ici, comme dans de nombreuses églises en France, se pose avec une certaine acuité le problème du respect dû aux créateurs des siècles passés comme à ceux d’aujourd’hui.
Le modèle à suivre ne serait-il pas celui du diocèse de Cologne où, depuis les années trente, art ancien et art contemporain se conjuguent en toute harmonie sans jamais se départir d’un certain dépouillement. Ce souci d’une harmonie avec les créations qui ont marqué le passé du lieu est bien ce qui caractérise le dernier aménagement de designer que le Père Violle a eu la joie de voir se réaliser. Il s’agissait alors de la création d’un nouvel autel et d’un ambon pour la chapelle de la Vierge à Saint-Philippe-du-Roule (Paris 17e) servant de chapelle de semaine.
Après de nombreuses consultations et la présentation de quatre ou cinq projets, le choix du père Gonzague Châtillon s’est porté en 1999 sur celui de Garouste et Bonetti que le Père Violle défendait avec beaucoup de vigueur. En effet, ces « enfants terribles » d’un design baroque et coloré, ces « barbares » d’une réputation internationale rivalisant avec celle de Starck, furent pratiquement les seuls à proposer de s’accorder au décor de ce choeur du XIXe siècle venu prolonger l’église de Chalgrin d’une sobriété toute classique. Placé sur un emmarchement en arrondi permettant désormais la disposition enveloppante de l’assemblée, l’autel légèrement incurvé est en pierre lisse et bouchardée, avec sur le pourtour des stries dorées. On ne peut ici que s’incliner devant l’élégance et la discrétion de ces créations de l’an 2000.
Verrons-nous demain la porte de Saint-François-de-Molitor confiée à un jeune designer comme celle de la cathédrale d’Agen à François Bauchet ? Ou encore le choeur d’une cathédrale ancienne ou d’une église moderne proposée aux frères Bouroullec ou à Matali Grasset ? Peut-être songera-ton aussi à certains peintres qui, grâce à leurs installations ou à leurs dessins muraux, se sont emparés de l’espace, y introduisant couleurs et lumières ? La réponse appartient à l’Eglise lors d’appels à candidature de créateurs venus de divers horizons, tous en quête de spiritualité. Nous ne doutons pas qu’elle puisse faire confiance, comme par le passé, à ceux que Paul Eluard a si bien nommés nos « frères voyants ».
Françoise Woimant (Cdas de Paris)
avec Claire Génin.
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Notes :
(1) Chroniques d’art sacré, 1996, n° 45
(2) Chroniques d’art sacré, 2002, n° 71 et 72
(3) Chroniques d’art sacré, 1997, n° 49 et 1998, n° 55
(4) Chroniques d’art sacré, 2000, n°63 et 2001, n° 66
Article extrait des Chroniques d’art sacré, numéro 75, 2003, © SNPLS
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