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Le chœur de l’église St-Hilaire par Matthieu Lehanneur en Poitou-Charentes

Un chœur contemporain dans une église romane…Il fallait tout le talent d’un jeune designer prometteur pour réaliser un pari « risqué » ! Le résultat est là : beau et simple qui parle à tous ! Découverte des lieux avec Inge Linder-Gaillard, membre du comité artistique de Narthex et le Père Brechoire, curé du lieu.
Publié le 27 juin 2013

Suite à une campagne de restauration initiée par les Monuments historiques, le chœur de l’église Saint-Hilaire, à Melle dans les Deux-Sèvres, s’est vu doté d’un ensemble liturgique singulier et cohérent, parmi les plus intéressants depuis un certain temps. Le jeune designer français Matthieu Lehanneur (né 1974), qui a étudié à la prestigieuse Énsci (École nationale supérieure de création industrielle) et qui depuis accumule clients et prix en design a vu son projet retenu. Ce projet est issu de la commande publique d’œuvres d’art contemporain et fut initié par le Père Jacques Lefebvre, l’Association Culturelle du Plateau Mellois, il fut soutenu par l’Etat, la DRAC Poitou-Charentes, la région Poitou-Charentes et la ville de Melle. L’ensemble fut achevé en 2011.


Cette belle église romane s’ancre dans la terre qui monte en colline sur son versant ouest. En entrant par les portes principales de la façade ouest, nous descendons dans l’église : nous prenons à l’extérieur une imposante série de marches qui continuent, une fois le porche passé, à l’intérieur. La lumière dans l’église est amplifiée par sa pierre blanche, éclatante.

 

L’église Saint-Hilaire de Melle – Crédits photos : Felipe Ribon


Nous traversons la nef et arrivons au chœur où il semble que nous retrouvons les marches que nous venons d’emprunter. L’ilot qui forme une sorte de socle pour l’ensemble du chœur est entouré par les colonnes du déambulatoire. Les côtés du socle sont en biais et montent comme des petites marches ou des ondulations d’eau en relief, devenues de marbre.


Les mots d’ordre pour l’ensemble sont à la fois l’organique (nous peinons à trouver un angle droit, le crucifix faisant l’exception) et le minéral (marbre, alabastre, béton). Au premier plan nous découvrons l’ambon et derrière lui, plus haut et sous l’axe du transept, l’autel. Les deux se démarquent par leur alabastre ambré. Le crucifix ancien en bois foncé, fin et élégant, se dresse sur la gauche derrière eux, interpelle.   


Les autres éléments se dévoilent au fur et à mesure du déambulatoire. Nous découvrons la petite table dite la crédence, à peine visible car en plexi transparente, et au centre de l’ilot, le baptistère, en creux, taillé dans le marbre du socle de l’ensemble.

 

L’ambon et L’autel – Crédits photos : Felipe Ribon


Cohérent, harmonieux et selon les utilisateurs, agréable à l’emploi (Mathieu Lehanneur s’est fait connaître en créant des objets dits « objets thérapeutiques » !) cet ensemble se démarque par un double enjeu réussi : il est à la fois fonctionnel et répond aux critères de la liturgie post-Vatican II et il est incontestablement de notre temps, tout en utilisant des matériaux anciens.


Inge Linder-Gaillard,
Juin 2013

 

 

5 questions au Père Jacques Bréchoire, curé de Saint-Hilaire de Melle par la rédaction de Narthex.fr


1. Père, pourriez-vous nous dire quelques mots sur vous, votre paroisse et votre ville ?


Je m’appelle Jacques Bréchoire, je suis curé de Melle, une petite ville rurale du Sud Deux-Sèvres de 4000 habitants. La ville est marquée par son « usine », spécialisée dans la chimie, elle offre 270 emplois. La ville est marquée aussi par une certaine précarité, l’attraction de la ville de Niort (30 kms) se faisant peu sentir jusqu’à ce jour. « Petite ville de caractère » dit-on, au patrimoine architectural impressionnant : anciennes mines d’argent sous les Carolingiens ; 3 églises romanes de toute beauté sur un si petit périmètre… De même, la ville accueille de nombreuses manifestations artistiques et de festivals.

 

2. Comment le projet du Chœur de saint-Hilaire est-il né, quel a été le rôle du Père Jacques Lefebvre ?


Le Père Jacques Lefebvre est nommé curé à Melle en 2002. A ce moment-là, les murs du chœur de l’église Saint-Hilaire étaient « léprosés » et ils avaient besoin d’un sérieux nettoyage. Le chœur avait été aménagé, après le concile Vatican II vers 1965, avec une estrade en bois dont plusieurs planches étaient pourries. Il possédait un grand autel en bois et un mobilier liturgique ancien.


A partir de 2004, le Père Jacques Lefebvre réfléchit avec quelques paroissiens à un nouvel aménagement du chœur de Saint-Hilaire. Il demande l’avis de l’évêque Monseigneur Rouet qui lui donne une réponse favorable. Ensuite, il s’est renseigné afin de trouver des mécènes et a consulté les instances communales, départementales, régionales et nationales qui étaient prêtes à soutenir le projet.


En 2005, la DRAC conseille le lancement d’un appel d’offre, ainsi que de monter un dossier dans lequel est défini le cahier des charges du projet. Ce dernier est établi avec les conseils de la DRAC et de l’Art Roman.
En 2006, une association est créée ACPM (Association Culturelle en Pays Mellois), ceci afin de pouvoir recevoir des subventions. Des dossiers de demandes ont été déposés auprès des instances communales, départementales, régionales et nationales, toutes ont répondu favorablement sauf une seule.

 

Vue du choeur – Crédits photos : Felipe Ribon


Un jury est alors créé. Il comprend divers membres : architectes des bâtiments de France, des Monuments Historiques, des représentants de la DRAC et des représentants de la paroisse de Melle. Il avait pour but de choisir l’artiste. Après consultation des dossiers, deux artistes sont retenus parmi les sept qui ont répondu.


Après cette sélection, le jury a demandé aux deux artistes retenus de revoir leur dossier et d’approfondir leurs propositions. En 2007, le jury s’est réuni de nouveau à l’église Saint-Hilaire de Melle pour choisir l’artiste. La présentation de Mathieu Lehanneur séduit les membres du jury. Il est retenu face à l’autre artiste qui présentait un aménagement plus conventionnel. 

 

Durant deux ans, de nombreux échanges entre Mathieu Lehanneur et le Père Jacques Lefebvre ont eu lieu afin de définir précisément l’espace du chœur et le mobilier liturgique (Mathieu Lehanneur n’ayant pas au départ de connaissances précises dans le domaine liturgique).


En 2009, La commune de Melle se porte Maître d’œuvre du projet. Avec la consultation du bureau d’études (Philippe Smith) ainsi que de diverses entreprises, le dossier est finalisé en fin d’année 2009.


Ensuite les choses s’accélèrent : le 1er avril 2010, les travaux de l’aménagement du chœur commencent. Ils se terminent en novembre de cette même année. Le 23 janvier 2011, la messe de dédicace de l’autel présidée par Monseigneur Rouet, et enfin en avril 2011 a lieu l’inauguration civile du chœur de l’église Saint-Hilaire de Melle !

 

23 janvier 2011 – Dédicace de l’autel présidée par Monseigneur Rouet
Crédits Photos : Marc Taillebois/ Sédicom Poitiers
3. Que ressentent les paroissiens et visiteurs lorsqu’ils pénètrent dans l’église ?


Après deux années d’usage, les paroissiens sont fiers d’un aussi beau chœur qui contribue grandement à la qualité de la liturgie. La plupart ont retiré leurs impressions premières, pleines d’inquiétudes légitimes.


Les habitants de la cité, en général peu concernés par les choses religieuses, sont également ravis de la mise en valeur de « leur » église. C’est incontestablement aussi l’église de la cité, faisant partie de son identité.


Les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle et les visiteurs en général sont très impressionnés par la beauté de ce chœur et cette alliance heureuse de l’ancien et du contemporain. Le livre d’or fait souvent état d’une très grande joie. D’autres, sur ce même livre ne manquent pas de témoigner de leur sentiment de mécontentement devant une œuvre contemporaine qui, selon eux, n’a pas sa place dans un édifice à vocation religieuse.

 

23 janvier 2011 – Dédicace de l’autel présidée par Monseigneur Rouet
Crédits Photos : Marc Taillebois/ Sédicom Poitiers
4. Comment le curé vit-il quotidiennement et pratiquement cet aménagement ?


Le curé que je suis ne se lasse pas de se réjouir de cette œuvre. Les soucis néanmoins – les beaux tourments ! – ne manquent pas d’arriver : comment faciliter l’impression religieuse ou spirituelle de cette œuvre sur les visiteurs. Nous voudrions que l’effet produit ne soit pas qu’esthétique. Mais cela relève du secret de chaque personne devant ce chœur. Notre crainte est que l’église devienne encore plus une sorte de « musée ». Nous accompagnons la découverte de l’œuvre par des notices très discrètes et excessivement courtes sur les composantes d’un chœur d’église (ambon, autel, piscine baptismale, siège de la présidence…), sachant que peu de nos contemporains savent maintenant ce qui se fait dans un chœur d’église.

 

Vue depuis le choeur – Crédits photos : Felipe Ribon


La communauté chrétienne veut faire en sorte qu’on n’oublie pas, qu’on y prie, qu’on y baptise, qu’on y célèbre l’eucharistie, que tout homme puisse y rencontrer son Dieu. Nous pensons que cette œuvre et l’édifice entier deviennent maintenant les rares signes religieux existants, dans une société sécularisée, et que ceux-ci continuent d’être « parlants », ou plutôt c’est Dieu, qui à travers eux, s’adresse de chacun.


5. Comment se passe un baptême à Saint-Hilaire de Melle ?


Comme souvent maintenant, la célébration du baptême « se promène » en plusieurs lieux significatifs de l’église : accueil sur le parvis (ici, magnifique) ; écoute de la Parole dans la nef ; intercession de Marie, à la chapelle de la Vierge ; évocation de l’eucharistie à venir, autour de l’autel… L’originalité de cette église est qu’il y a une piscine baptismale.


Elle se situe dans le chœur, derrière l’autel : site certes inhabituel, voulu en raison du symbole de la source jaillissante de la pierre (la masse de la plateforme du chœur en marbre), à deux pas d’une petite rivière, la Béronne…Au moment du baptême proprement dit, la famille se rend dans le chœur, les acteurs principaux se tenant autour de la piscine, les autres dans le déambulatoire (avec une vue parfaite). L’immersion du bébé est pleine de sens ; la forme habituelle du baptême est bien sûr pratiquée aussi, l’enfant étant tenu au-dessus de la piscine, mais en se penchant au maximum, pour signifier l’humilité du baptême, du baptisé bien sûr d’abord, mais aussi du baptiseur qui doit se baisser pour atteindre le niveau de l’eau en contre bas et qui de ce fait, doit être en bon état de marche ! Ce peut être un critère, lors des nominations des prêtres pour cette Paroisse !

 

Le Baptistère. Crédits photos : Felipe Ribon


La critique peut être faite au sujet de l’exiguïté du lieu (nous sommes dans un chœur, un chœur roman, étroit) et donc du manque de visibilité. Mais faut-il que la naissance à la vie divine soit à ce point publique, et donc qu’elle exigerait d’être vue de tous ? Du reste, la naissance du petit d’homme ne se fait-il pas davantage en public, mais dans l’intimité qui convient à un acte aussi secrètement mystérieux ? Simplement, dans le cas de plusieurs baptêmes, les familles viennent les unes après les autres auprès de la piscine.


Entretien réalisé en juin 2013

 

Fiche pratique :

(informations voir http://www.mathieulehanneur.fr/):
Date : 2011
Client : Commande publique d’œuvre d’art contemporain.
Projet initié par le Père Jacques Lefebvre, l’Association Culturelle du Plateau Mellois, et soutenu par l’Etat, la DRAC Poitou-Charentes et la ville de Melle
Matériaux : Marbre blanc de Namibie, alabastre, béton
Dimensions : 32 m2
Ingénierie mécanique : Philippe Smith
Réalisation : Entreprise de marbrerie Brocatelle

 

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