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La chapelle du Bienheureux Jean-Joseph Lataste par l’artiste Jean-Marc Cerino à Montferrand-le-Château

Dans la perspective de la béatification du père Lataste, les soeurs de Béthanie décident de réaménager, à côté de leur église, une chapelle dédiée à leur fondateur et dans laquelle elles transfèrent, en octobre 2010, son corps. Pour le réaménagement de cette chapelle, dite du Bienheureux Lataste, elles souhaitent faire appel à un artiste contemporain et à un architecte pour réaliser un lieu de recueillement, facilement accessible aux nombreux fidèles qui viennent y prier. Les soeurs prennent conseil auprès du frère Marc Chauveau, responsable du patrimoine artistique de la Province de France, qui leur présente l'artiste Jean-Marc Cerino.
Publié le 14 juin 2012
Le Bienheureux Lataste, fondateur des Dominicaines de Béthanie

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Le Bienheureux Jean-Joseph Lataste (c) D.R

Le dimanche 3 juin 2012 à Besançon, s’est déroulée la béatification du père Jean-Joseph Lataste, connu comme ayant été apôtre des prisons et prêcheur de miséricorde. Né en 1832, Alcide Lataste entre chez les Dominicains, et fait une expérience spirituelle en 1860 devant les reliques de sainte Marie-Madeleine à Saint-Maximin : « Les plus grands pécheurs, les plus grandes pécheresses ont en eux ce qui fait les plus grand saints » écrit-il. Envoyé prêcher en 1864 une retraite aux détenues de la prison de Cadillac, il s’adresse à elles en les considérant comme ses sœurs. Il leur prêche la miséricorde de Dieu et déclare à ces détenues que Dieu regarde ce que nous sommes et non ce que nous avons été. Il leur parle de réhabilitation. « Vous les auriez vues relever doucement la tête, comme des fleurs après l’orage… ».

Certaines de ces détenues font part de leur désir d’entrer dans la vie religieuse à leur sortie de prison. Il publie en 1866 Les Réhabilitées afin de sensibiliser l’opinion publique sur le sort des femmes sortant de prison. La même année, il fonde avec la mère Henri-Dominique, dominicaine, la maison de Béthanie à Frasnes en Franche-Comté. Cette maison rassemble des femmes dont certaines sont d’anciennes détenues, dans une absolue discrétion sur le passé de chacune. Ainsi nait la congrégation des dominicaines de Béthanie. Le père Lataste décède en 1869 à Frasnes. Son procès de béatification s’ouvre en 1937. À cette occasion, son corps est transféré dans l’église du couvent des sœurs de Béthanie à Montferrand-le-Château.

Aujourd’hui on trouve des sœurs dominicaines de Béthanie en France, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Lettonie et en Suisse. À cela s’ajoute un rameau, inattendu, aux États-Unis. En effet, en 1998 des détenus de la prison de Norfolk dans le Massachusetts aux États-Unis ont entendu parler du père Lataste et de Béthanie. Enthousiasmés par cette histoire, plusieurs d’entre eux ont demandé à devenir laïcs dominicains ; les cinq premiers engagements définitifs ont eu lieu en 2003. Ils sont toujours détenus, mais ils ont découvert à l’école du père Lataste qu’ils avaient en eux ce qui fait les plus grands saints. Dans leur prison, ils mènent une vie de prière et d’étude de la Bible et soutiennent leurs camarades les plus fragiles. Ils se sont lancés dans une telle aventure parce qu’ils savent que Béthanie existe et qu’il y a des communautés dans lesquelles des femmes qui ont pu connaître le même genre d’échecs qu’eux ont donné leur vie à Dieu et témoignent de sa miséricorde. C’est ce qu’avait imaginé le père Lataste, non une grande congrégation mais de simples « maisons de Béthanie ».

Dans la perspective de la béatification du père Lataste, les sœurs de Béthanie décident de réaménager, à côté de leur église, une chapelle dédiée à leur fondateur et dans laquelle elles transfèrent, en octobre 2010, son corps. Pour le réaménagement de cette chapelle, dite du Bienheureux Lataste, elles souhaitent faire appel à un artiste contemporain et à un architecte pour réaliser un lieu de recueillement, facilement accessible aux nombreux fidèles qui viennent y prier. Les sœurs prennent conseil auprès du frère Marc Chauveau, responsable du patrimoine artistique de la Province de France, qui leur présente l’artiste Jean-Marc Cerino.

Le choix de l’artiste Jean-Marc Cerino pour le réaménagement de la chapelle

Le choix de Jean-Marc Cerino est motivé au regard de trois projets antérieurement menés par l’artiste : une commande pour un édifice religieux, l’église de Vassieux-en-Vercors ; une expérience et un projet artistique réalisés en milieu carcéral ; un travail sur la représentation iconographique de Marie-Madeleine. Chacun de ces projets rejoint la spiritualité de Béthanie et l’attente des sœurs quant à l’aménagement de cette chapelle. Les lecteurs de Narthex peuvent prendre connaissance du travail de l’artiste dans les précédents articles parus sur le site de Narthex.

– Le chœur de l’église de Vassieux-en-Vercors, haut lieu de la Résistance, inauguré en 2006, pour lequel l’artiste a réalisé deux vitraux et l’autel, in www.narthex.fr/creations/a-decouvrir/152uvres-de-jean-marc-cerino-integrees-dans-des-projets-architecturaux.

– Une partie du travail de Jean-Marc Cerino s’attache à la représentation de personnes qui sont en voie d’effacement dans la société et leur perte de visibilité en raison de leur grande vulnérabilité. Notamment le projet Dépositions III pour lequel il a travaillé de longs mois en 2006 avec des détenus de la prison de La Talaudière à Saint-Etienne, in www.narthex.fr/creations/portraits/jean-marc-cerino-artiste-plasticien. Dans un second temps il propose aux détenus de réaliser leur autoportrait, qu’il redessine à l’échelle de leur visage sur des plaques de verre : un ensemble d’une cinquantaine de portraits intitulé Figures de fragilité.

– Enfin Jean-Marc Cerino a participé à une exposition itinérante (au Musée d’arts de Toulon en 2004, au Musée de l’Hospice Comtesse de Lille en 2005 et à l’Espace d’art contemporain de Saint-Restitut en 2007) autour du thème Marie-Madeleine contemporaine. Il réalise trois grandes figures de Marie-Madeleine imprimées sur plaque de verre (Les Veilleuses, 2004, sérigraphie, grisaille traditionnelle recuite sur verre, 195 x 95 cm chaque). L’une d’elle a pour titre : Je ne suis que cela, mais je suis tout cela.

Le projet artistique de la chapelle du Bienheureux Jean-Joseph Lataste

La rencontre entre les sœurs de Béthanie et Jean-Marc Cerino

L’expérience artistique de Jean-Marc Cerino avec des détenus de la prison de Saint-Etienne, la réalisation si juste de cette Marie-Madeleine et la personnalité de l’artiste convainquent les sœurs de Béthanie qui, touchées par la justesse et la pertinence de son travail, lui accordent leur confiance. L’une des sœurs lui confie à l’issue de la première rencontre : « Nous parlons le même langage ». Il leur semblait que son travail était parfaitement cohérent avec l’intuition du père Lataste et la spiritualité de Béthanie.

Beaucoup de rencontres, d’échanges ont lieu entre les sœurs et l’artiste. Rencontres dans un climat de confiance, d’écoute réciproque, d’estime. Dès le commencement, les sœurs font part de leur souhait que la chapelle soit un lieu paisible, silencieux, propice à la prière et au recueillement. Elles désirent une chapelle simple et sans prétention à l’image de leur fondateur.

Un projet artistique développé sur trois lieux

Dès le lancement du projet, celui-ci comprend trois lieux qui s’enchaînent dans une continuité : un espace d’accueil et d’information sur l’histoire de Béthanie ; une galerie conçue comme une aile de cloître donnant sur le jardin ; enfin la chapelle du Bienheureux Lataste. Cette progression est conçue selon un cheminement qui va d’un lieu d’information et de connaissance à un espace de prière en passant par un lieu de déambulation paisible.

 

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Vue de la chapelle avant travaux (c) D.R & Projet de la tombe (c) D.R

La chapelle, cœur du projet, concentre l’essentiel de la proposition artistique de Jean-Marc Cerino qui se décline en trois parties : le sol avec la tombe, le vitrail et deux murs de Figures de fragilités. Conçu comme un tout, nous sommes devant un projet global, une œuvre d’art totale.

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Vue générale de la chapelle (c) D.R
Le choix de l’architecte

À ce stade, il était nécessaire de faire appel à un architecte pour mettre en œuvre le projet. Le choix de l’architecte Dominique Vigier était important car il s’agissait de trouver un architecte qui se mette au service du projet artistique défini par Jean-Marc Cerino et validé par les sœurs. La posture de l’architecte a été remarquable par sa disponibilité, son humilité par rapport aux décisions de l’artiste, tout en assurant une présence en dialogue, essentielle, tout au long du chantier et veillant à la qualité de la réalisation et de la finition du projet ; tout se jouant in fine sur des détails. Les entrepreneurs et les ouvriers ont vite pris conscience de travailler à la réalisation d’une œuvre d’art et ont participé activement.

La chapelle du Bienheureux Jean-Joseph Lataste

La tombe

Jean-Marc Cerino propose, dès le premier rendez-vous, que la cavité qui recevra les restes du père Lataste soit au même niveau que le sol. Sa proposition rejoint le souhait des sœurs qui ne veulent ni d’un mausolée, ni d’une tombe traditionnelle.

 

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Tombe du Bienheureux Jean-Joseph Lataste (c) D.R

Le sol de la chapelle matérialise deux parties distinctes : un seuil, en parquet de chêne – dans le prolongement du sol de l’église, – crée une zone d’intimité, un lieu d’accueil ; l’autre partie de la chapelle avec la tombe est en béton ciré, dans prolongement cette fois du sol du chœur de l’église. Notons l’importance que la matière soit la même sur le sol et sur la tombe – dans une même continuité, dans un même geste. La tombe est partie intégrante du sol, délimitée uniquement par un creux ; elle est au même niveau que le fidèle qui vient se recueillir.

Depuis la mort du père Lataste, les sœurs reçoivent régulièrement du courrier adressé à leur fondateur. Jean-Marc Cerino crée devant la tombe un réceptacle en creux destiné à recevoir ce courrier. Les enveloppes se retrouvent alors au même niveau que la tombe, elles aussi dans la continuité du sol.

La mise au même niveau de l’ensemble des éléments n’est pas un nivellement, mais bien plutôt, dans le respect des singularités, déjà le partage d’une même humanité : « Tous égaux et tous différents ».

Le vitrail

À la place d’anciennes ouvertures géminées néogothiques situées en hauteur, Jean-Marc Cerino propose d’installer un vitrail, déposé au niveau du sol et dans l’affleurement du mur intérieur de la chapelle. Ce vitrail accueille la représentation de Marie-Madeleine. L’artiste inclut dans le titre même de l’œuvre la phrase : Je ne suis que cela, mais je suis tout cela. C’est justement cette phrase qui touche profondément les sœurs, car selon elles, ce titre dit bien la rencontre entre Marie-Madeleine et le Christ, et révèle la miséricorde divine, au cœur de la spiritualité des sœurs de Béthanie. Aussi, elles proposent à l’artiste que cette figure prenne place dans la chapelle. Cette figure de Marie-Madeleine, à échelle humaine et posée à même le sol, permet à chacun d’entrer dans un rapport d’horizontalité et de proximité avec elle, « les yeux dans les yeux ». Elle est aussi celle qui veille près du tombeau et nous invite à l’attente.

 

Vitrail de Marie-Madeleine (c) D.R

Détail du vitrail (c) D.R

Pour l’artiste il s’agit à double titre d’une représentation contemporaine de Marie-Madeleine : d’abord par le choix du modèle, une jeune femme d’aujourd’hui. De plus, Je ne suis que cela, mais je suis tout cela est également la traduction, dans une même temporalité, d’une réelle humilité et d’un retour simple de la dignité, « je ne suis que cette femme, mais je suis en même temps tout cela, une parcelle de l’humanité à part entière ».

Reprenant la technique mise au point pour les deux vitraux du chœur de l’église de Vassieux-en-Vercors, ce grand vitrail de 2,16 m x 1,5 m est réalisé par les Ateliers de Vitraux Thomas à Valence, en grisaille traditionnelle, sérigraphiée et cuite à 600° sur un verre dépoli d’un seul tenant, sans réseau de plomb. Marie-Madeleine apparaît d’un seul geste, dans toute son intégrité physique. Par la position du verre à même le sol, la figure de Marie-Madeleine se trouve accompagnée d’une ombre venant se déposer et s’étirer sur le béton ciré de la chapelle, redoublant ainsi sa présence. La qualité du verre dépoli nous permet de goûter les subtiles variations de la lumière et nous offre des perceptions nuancées de la figure de Marie-Madeleine tout au long de la journée.

Les verres et les Figures de fragilité

Il était souhaitable également d’évoquer dans la chapelle et autour de la tombe du père Lataste la diversité de la famille de Béthanie. L’idée était qu’une personne venant prier soit entourée, accompagnée par différents visages de cette famille à travers les rameaux de Béthanie notamment à Norfolk.

Vitrail et murs avec les verres (c) D.R

Pour cela, à l’entrée de la chapelle, sur le mur d’angle autour de la partie en plancher, Jean-Marc Cerino fait installer cinq grandes barres de bois de la couleur du mur, afin de servir de support à une cinquantaine de plaques de verre sur lesquelles il a repris en noir, à l’huile, divers dessins relatifs à Béthanie.

Dans la continuité des Figures de fragilité, réalisées en 2006, l’artiste sollicite donc les sœurs de Béthanie et des laïcs dominicains, détenus de la prison de Norfolk, afin de réaliser différents types de dessins : autoportraits, reprise d’images historiques de Cadillac, portraits du père Lataste et de la mère Henri-Dominique, ainsi que des phrases spirituelles du père Lataste traduites dans les langues des différents pays où sont présents des membres de la famille de Béthanie. Le portrait du père Lataste se trouve donc au milieu des siens.

Soeur de Béthanie près de son autoportrait (c) D.R

Dans son atelier l’artiste reprend certains de ces dessins et de ces phrases au pinceau sur verre. Par ce travail de reprise, il endosse ici le rôle de passeur. Des reprises qui ne sont pas pour autant des copies. En effet, l’écart entre les dessins originaux et les peintures sur verre est un point sur lequel l’artiste insiste toujours. La sélection des dessins, le passage du crayon au pinceau, le changement d’échelle, l’épaisseur de 3 mm des verres déformant le motif, sont autant de choix et de contingences qui créent la distance, l’écart entre copie et reprise.

En plaçant les verres sur ces longues barres de soutien, il souhaite également souligner par le regard cette absence de hiérarchie alors même que tous ces dessins (et plus particulièrement les autoportraits, représentant les 2/3 des verres) sont tous singulièrement distincts, ne serait-ce que par la diversité de leurs auteurs : tous symboliquement placés au même niveau et tous irréductiblement singuliers.

Autoportraits (c) D.R

Autoportrait et citation (c) D.R

La disposition des verres sur les barres ne saurait être figée. Le choix des longues barres permet en effet que les verres puissent être déplacés, voire changés ou renouvelés, traduisant ainsi la vitalité de la famille de Béthanie, véritable corps vivant au sein duquel le portrait du père Lataste est placé. Un dernier verre reprenant sa signature est déposé sur la tombe. Simplicité là encore : c’est l’unique inscription du père Lataste dans la chapelle.

Vue de la tombe et du vitrail (c) D.R
Conclusion

L’apparente simplicité de la chapelle résulte du lent et rigoureux travail de dépouillement opéré par l’artiste, ne gardant que l’essentiel. Le mur du fond de la chapelle, laissé volontairement vide, propose du silence visuel, propice à la méditation. Jean-Marc Cerino rend hommage au courage des sœurs d’avoir accepté, accompagné et porté un tel projet artistique à l’esthétique résolument contemporaine. Lors de la bénédiction de la chapelle en novembre 2010 par Monseigneur Lacrampe, archevêque de Besançon, l’artiste salue l’ouverture de cœur et d’esprit des sœurs.

          

Porte d’accès à la chapelle (c) D.R   &   Galerie d’accès à la chapelle (c) D.R

Déjà beaucoup de visiteurs sont touchés par les visages et voient, dans l’imperfection de leurs traits, tout l’esprit de Béthanie. Ainsi que l’écrit Hans Belting : « L’œuvre d’art témoigne non plus de l’art, mais de l’être humain qui, par l’appropriation artistique du monde, ne perd pas contact avec lui, mais au contraire s’en fait le témoin ». En reflétant dans une large mesure ce que nous sommes et ce qu’est notre monde, l’art contemporain opère un rapprochement de l’art et de la vie. Dans cette chapelle du bienheureux Lataste, l’intérêt humain prend le pas sur l’intérêt purement esthétique, sans antagonisme entre l’art et la vie. Tout en humanité. Tout en justesse.

Frère Marc Chauveau, o.p.
Responsable du patrimoine artistique de la Province dominicaine de France
Membre des comités artistique et de rédaction de Narthex.fr
 

Juin 2012 

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